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Jeanjass : « J’aimais beaucoup Danny Boffin »
Si Zlatan estime avoir fait connaître la Suède et Paris, JeanJass affirme avoir « foutu Charlouze sur cette foutue carte ». Moitié du duo de rap belge Caballero & JeanJass, celui qui vient d’être élu Carolo de l’année par sa ville natale de Charleroi laisse sa moitié au vestiaire pour parler des Diables rouges, de Benzema et de Riquelme.
Avant d’être rappeur, tu étais footballeur.Le foot, c’est mon premier amour. J’ai surtout joué au futsal, j’ai joué deux matchs en D1 espoirs avec le club Action 21 Charleroi, qui à l’époque était la meilleure équipe d’Europe, ils ont même gagné la Ligue des champions en 2005. C’est le plus haut niveau auquel je suis allé, mais physiquement, je ne tenais plus la route. Je fumais déjà et le foot n’était pas ma priorité. Je préférais me faire des gonzesses ou des trucs comme ça, comme un ado normal, j’imagine. Vu qu’en salle, j’étais défenseur, j’imagine qu’à onze, je serais une espèce de milieu défensif. Un échassier.
Quel est ton premier souvenir de foot ? Mon premier souvenir, c’était fin 1996, j’étais au Heysel pour un Belgique-Pays-Bas perdu 3-0. Je pense qu’il y avait Seedorf sur la pelouse, un de mes héros.
C’est marrant, c’était la Belgique qui jouait et tu parles de Seedorf comme ton héros sur le terrain… Ouais, parce qu’à ce moment-là, j’étais vraiment fan. Mais il y avait des joueurs belges que j’aimais aussi beaucoup à l’époque, t’avais Luis Oliveira, ou même Danny Boffin que j’aimais beaucoup. Il y avait évidemment les frères Mpenza. Mais bien sûr en face, les Pays-Bas, c’était incroyable, c’était Bergkamp, Kluivert. Tous ces joueurs-là, c’était la crème.
Dans la période 2002-2014 durant laquelle la Belgique ne fait aucune compétition, tu supportais une équipe en particulier pour compenser ? J’ai toujours été très France. En fait, moi, je suis un méga fan de Zizou.
Pendant la finale de la Coupe du monde 1998, je me suis pris les Bleus en pleine face, c’est cette équipe-là qui m’a le plus fait rêver. Mais je déteste les Français hein, attention ! C’est juste que j’aimais bien votre équipe de foot. Et puis la France, comme les pays qui sont énormes et qui ont une grosse influence sur le monde, les gens les détestent aussi. C’est comme sur les vidéos Youtube, si t’as un pourcentage de haters, c’est normal.
Comme on parle de la France et que tu dis dans un de tes textes, « Jeune rebeu riche comme Benze » , quel est ton avis sur le cas Benzema en équipe de France ?
C’est un gâchis sportif, parce que c’est vraiment un joueur performant. L’excuse de Deschamps, c’est la cohésion de groupe. C’est tout à fait logique. Je lui trouve plein de qualités, moi, à Didier Deschamps, mais là, je pense qu’il y a une erreur quelque part. Tu ne peux pas ne pas mettre Benzema au moins sur le banc. C’est juste impossible de se priver d’un tel joueur. Il me semble qu’il y a tellement d’autres exemples, pas que dans le foot, de personnes qui ont eu des ennuis judiciaires et qui restent tout à fait crédibles dans leur boulot. Pour résumer ce que je pense, je trouve que sa non-sélection est injustifiable. Ça n’a pas l’air d’être le plus futé de la bande ni d’être le mec le plus sympa du monde, mais ça n’a pas l’air d’être le pire non plus. Faites jouer Benze !
Caballero et toi, vous parlez beaucoup de foot dans vos textes, mais très peu de foot belge, alors que s’il y a un moment pour en parler, c’est maintenant. Je cite des joueurs belges, hein ! J’ai placé De Bruyne, Hazard et Fellaini, mais si tu regardes bien, je cite plus des joueurs des nineties ou des années 2000.
Je n’ai jamais cité Neymar ou Dybala, alors que je pourrais peut-être les citer dans dix ans. Mais là, ça me fait plus kiffer de faire une rime avec Clarence Seedorf. Tu es nostalgique de cette époque ? Peut-être, mais je ne suis pas nostalgique dans le sens triste du terme. Je pense qu’il y a un âge où le foot me passionnait encore plus et je ne pense pas que je retrouverai la même magie. C’est comme avoir vu Jurassic Park quand c’est sorti et le voir maintenant. Le foot, c’était déjà une merde pleine d’argent il y a vingt ans. C’est juste qu’aujourd’hui, c’est peut-être plus flagrant, que les gens le savent plus, mais le foot a toujours été pourri par le racisme, l’argent ou tout ce que tu veux. Les gens qui vont dire que la Ligue des champions, c’était mieux y a vingt ans, c’est les mêmes que ceux qui disent que le rap était mieux avant. Il faut juste qu’ils fassent des T-shirts. Dans un son, tu dis « Je pensais rendre les gens heureux comme Ronaldinho » . Est-ce que tu as encore aujourd’hui des joueurs qui te font autant rêver que Ronnie ? Non, mais c’est parce que j’ai changé. Même Messi ne m’a pas fait autant rêver que Ronaldinho, alors que Messi est encore plus fort que lui, je pense. Après, il y a encore des joueurs qui me font rêver. Kevin De Bruyne, je le trouve incroyable.
J’adore les joueurs qui jouent en marchant, vraiment j’adore ça. Kevin De Bruyne, il est à son aise, toutes ses passes sont incroyables, toutes ses idées sont incroyables. Pour le moment, c’est celui qui me fait le plus rêver, je crois. Je ne le connais pas du tout personnellement, mais son interview lors de laquelle il dit « Je m’en bats les couilles » a été suffisante pour me rendre fan. Franchement, rendre les roux stylés et cool comme il fait, c’est génial. Lui et Ed Sheeran, ce sont deux roux qui font du bien à tous les roux de la planète.
Tu aimes les joueurs qui jouent en marchant, d’où ta passion pour Riquelme. Ouais, Riquelme, c’est clairement un joueur romantique comme on dit. Ronaldinho, Riquelme, Okocha. Il faut toujours qu’ils aient une part de lose.
Par exemple, Messi et Ronaldo, ils ont tellement gagné que ça les rend presque inhumains, c’est ça qui dérange. En fait, ils auraient dû perdre un peu plus tous les deux. Parce qu’ils sont déjà méga populaires, mais les gens qui aiment Riquelme, ils pourraient tuer pour Riquelme. Riquelme, t’as envie d’être son pote et qu’il valide tes choix de vie. T’as pas ce même truc avec Ronaldo et Messi. À la fin du clip de Motivé, tu fais un discours d’entraîneur à la mi-temps. C’est quoi un bon discours de mi-temps? Moi, ce qui m’avait marqué, c’était un des discours de Jacquet dans Les yeux dans les Bleus. Pour moi, tu dois remotiver tes troupes pour un méga challenge, il faut essayer de calmer les gens, de les mettre à leur aise, de leur faire comprendre qu’ils sont maîtres de leur destin, et qu’ils ne sont pas des victimes, mais des gagnants. Tu dois redonner confiance à chaque membre de l’équipe, c’est ça qui est super important, il faut que personne ne se sente délaissé.
Et ça, tu le ressens dans quel entraîneur aujourd’hui ?Moi, je suis un méga fan de Guardiola, j’adore sa manière de faire jouer son équipe. J’aimais bien Roberto Martínez. Je l’aime toujours bien, mais je trouve qu’il n’a pas trouvé son système avec les Diables. D’ailleurs, je ne comprends pas trop son problème avec Nainggolan, ça doit être extrasportif. Peut-être qu’ils ont baisé la même gonzesse, va savoir. J’aimais beaucoup Sir Alex Ferguson aussi. En Belgique, j’aime bien Michel Preud’homme.
J’ai toujours aimé la manière dont ses équipes jouaient, avec beaucoup de cœur. Et nous le savons tous, Michel Preud’homme finira par entraîner les Diables rouges, c’est évident. Si on parle de foot, de musique et de Belgique, on est obligés de parler de Damso…C’est une grande défaite pour la Fédération, qui est passée pour un groupe de teubés qui font quelque chose, mais qui n’assument pas ; pour les différents sponsors qui passent pour des chiants ; pour les féministes ; pour les gens qui ont perdu leur hymne… En fait, tout le monde a perdu, sauf Damso. Il a gagné une pub monstre, le morceau est bien, les gens vont l’écouter, son album sort aux alentours de la Coupe du monde… Donc voilà, il y a un gagnant et y a plein de perdants, c’est ça qu’il faut retenir.
Tu penses que ça aurait pu se passer autrement ?Franchement, je sentais que c’était trop beau et qu’il allait se passer un truc. À partir du moment où on casse encore les couilles à Orelsan six ans après… On casse les couilles à un blanc qui gagne une Victoire de la musique, donc un renoi qui dit parfois des trucs vulgaires dans ses textes, il n’y avait aucune chance que ça se termine bien. Nous (avec Caballero, N.D.L.R.), on nous l’a proposé, on l’a proposé à Roméo (Roméo Elvis, N.D.L.R.) aussi.
Pourquoi avoir refusé ?On a refusé parce que c’était un truc trop gros, et qu’après, t’es dépassé par l’ampleur du truc. On nous aurait probablement cassé les couilles avec la weed ou un truc pareil. On te présente face à une trop grande masse de gens qui ne te connaissent pas et qui peuvent mal comprendre ton délire, c’est à double tranchant. C’est comme l’Eurovision, c’est le même principe. Damso, c’est une mégastar, du coup, il pouvait assumer ce genre de rôle. Il faut évidemment se rendre compte que c’est de la fiction. Ce genre de problèmes n’existe pas aux États-Unis. Regarde Migos, c’est le meilleur exemple. Migos, c’est le bendo, c’est la vraie street, et aujourd’hui ils font des trucs pour Tasty, ils font des pubs à la mi-temps du Superbowl. Les gens aux États-Unis comprennent bien que tout ça est fictif. Dans dix ans, ça n’arrivera plus ce genre de trucs, mais là aujourd’hui, les gens ne sont toujours pas prêts.
Sortie de l’album Double Hélice 3 le 1er juin 2018
Propos recueillis par Nicolas Fresco et Noé Boever
Photos : ©Kevin Jordan O'Shea