- Décès de Jean-Pierre Mocky
Jean-Pierre Mocky : « Un hooligan, une fois arrêté par les flics, il s’écrase »
Jean-Pierre Mocky, l'un des derniers géants du cinéma français, est décédé jeudi, à 86 ans. En octobre 2004, à l'occasion du seizième numéro de So Foot consacré au rapport entre le foot et le cinéma, il évoquait son rapport au football et son film À mort l’arbitre, qui raconte l'histoire d'un arbitre pourchassé par une bande de supporters enragés. Interview culte.
« Alors votre journal comment qui marche ? » . Comme tous les dirigeants de PME, Mocky s’intéresse aux expériences des autres. « So Foot, vous avez bien choisi votre titre… parce que si vous aviez parlé de tennis… » Mocky est un génie, mais pas toujours transcendé. Le foot, pour être franc, il n’en connaît pas grand-chose. Mais il en a fait un film À mort l’arbitre !, avec un arbitre (Eddy Mitchell) et un hooligan (Michel Serrault). Une œuvre à propos de la bêtise des foules envers le corps arbitral. Entre un porno, Les Couilles en or, ou un documentaire sur le motocross, Mocky touche à tout. Alors avec un film par an en moyenne, le plus indépendant des cinéastes français s’est essayé au foot. C’était en 83, À mort l’arbitre ! donc, un film censuré par la FFF. Un film une fois de plus construit sur un fait divers (l’agression d’un arbitre en Écosse et à Nîmes), pas forcément le plus réussi de Mocky, mais dont la principale qualité réside dans le parallélisme entre l’évolution du personnage de Michel Serrault et celle des décors. Au début, tout commence dans un univers urbain, la ville de Rouen, Serrault est clair. Au fur et à mesure qu’il perd la raison, les décors évoluent vers des ensembles plus organiques, faits de tubes et de colonnes (on est à Noisy-le-Grand), métaphores de l’intérieur du corps du personnage, bordélique comme il se doit (boit ?). Puis, quand il devient carrément bestial, incapable d’être raisonné, nous sommes dans une carrière, on pense fossiles, origine de l’homme, stade animal, et le film se termine sur une mort dans un nuage de fumée. Une réussite esthétique, mais quelques choix de mise en scène hasardeux. On voulait en savoir plus, on s’est pointés chez lui. C’était à la fois grand et vide.
Vous avez déjà joué au foot ? Oui, quand j’étais jeune, entre 8 et 12 ans. Je jouais goal, mais j’ai abandonné la discipline pour faire du motocross. Je jouais à Vallauris-Antibes et nous sommes montés de D3 en D2. Nous étions amateurs… J’avais comme condisciple Charles Pasqua. C’était notre ailier droit.
Véridique ? Non, c’est des conneries ! En fait, nous étions dans le même collège. Il est plus vieux que moi (de deux ans) mais lui, c’était un petit cancre. Comme il redoublait tout le temps, à force, nous nous sommes retrouvés dans la même classe. Et malheureusement, parfois dans les mêmes équipes de foot !
Pourquoi avoir choisi d’être goal ? Parce que j’étais grand et mince… Gardien, on échappe à la bagarre, même si c’est un poste assez sportif. L’intérêt du goal, c’est qu’il ne se fait pas casser la jambe, et qu’il prend moins de gnons que les autres ! J’ai bouffé avec Fabien Barthez, il y a deux ans, et je lui ai dit que bien qu’il ne soit pas très grand, il était finalement devenu une vedette ! Quand on regarde les équipes aujourd’hui, on se rend compte que les gardiens sont très grands. On suppose qu’ils vont mieux attraper la balle… Barthez n’est pas petit-petit, mais il est plus petit que grand (sic) !
Comment vous est venue l’idée de faire À mort l’arbitre ?
J’ai assisté à un match Glasgow-Manchester. C’est de là que viennent la plupart des hooligans (sic). Ce sont des endroits très pauvres, où les gens n’ont rien à bouffer. Donc, leurs seuls plaisirs sont le foot et la castagne ! Le match avait mal tourné ; l’arbitre, on lui a crevé les yeux, puis cinquante mecs ont violé sa femme ! Soi-disant, parce qu’il avait arbitré en faveur de Glasgow… Moi, j’étais dans le coin, j’ai lu la presse le lendemain, et ça m’avait frappé. Bon… Plus tard, je me trouvais à Nîmes pour un match de D2, et là, on a poignardé un arbitre ! Ces deux faits divers m’ont poussé à faire ce film. J’aime le foot, comme sport, mais pas les supporters qui vont au stade uniquement parce qu’il y a beaucoup de monde. Qui vont se décharger parce qu’ils en ont besoin… Ce sont des types brimés par leurs femmes, leurs patrons. Ils sortent trois fois par semaine pour aller au stade, comme les bandes de banlieues qui s’emmerdent et viennent foutre le bordel en ville. Ils ont besoin de s’extérioriser. Leur truc, c’est de casser la gueule à des mecs. Ils sont étouffés par la société, leur environnement, leur routine. J’ai vu 83 matchs pour préparer le film ; en France, en Italie, en Allemagne… Je n’observais pas le terrain mais les tribunes !
Le foot est-il particulièrement cinématographique, selon vous ? Ce n’est pas un film sur le foot. J’ai fait des documentaires sur le motocross ou sur d’autres sports, comme le water-polo… Mais au cinéma, le sport en tant que sport, ne passe pas. La vie de Pérec ou celle de Zidane, personne ne viendrait voir ça au cinéma ! Les journaux ont tout dit, on les voit à la télé… Au cinéma, il faut dramatiser, et la dimension dramatique passe surtout dans la boxe. Les rapports supporters/arbitres étaient par contre intéressants, mais je ne referai pas de films sur le foot. Cinématographiquement, le fait que les matchs aient lieu la nuit, c’était mieux. J’aimais le concept d’un film qui commence avec le match en début de soirée, et finit à 5 heures du matin. Il y a un film splendide de Robert Wise sur la boxe (Nous avons gagné ce soir, titre original : The Set-Up, sorti en 1949, N.D.L.R.), qui a frappé tous les cinéastes. Il commence sur un plan de l’horloge à 9h15 (du soir, N.D.L.R.) et ensuite, tout est filmé en temps réel. Un chef-d’œuvre… Je voulais aussi que le stade soit dans la ville. Comme c’était le cas à Rouen, ville dans laquelle nous avons tourné. On peut assister aux matchs de l’immeuble d’à côté, et c’est d’ailleurs ainsi que débute mon film. Et puis, la folle traque de Serrault et ses potes qui sont obsédés par l’idée de tuer l’arbitre, c’était mieux la nuit. Je me suis inspiré, à la fois de l’événement de Glasgow, et d’un bouquin sur ce thème (The Death Penalty, d’Albert Draper, sorti en 1972), même si j’ai ignoré l’histoire de racisme. Ça se passait en Angleterre, des hooligans s’en prenaient à un Indien, enfin, pas un Peau Rouge, hein… Mais c’est un autre sujet.
Eddy Mitchell en arbitre, il fallait y penser… On voit que quand il met le carton rouge, il n’est pas branché foot… L’arbitre devait être joué par Daniel Auteuil, mais nous nous sommes embrouillés. J’ai donc proposé à Eddy, qui a accepté. Pour certaines scènes dans le stade, nous avons pu fignoler après le match, avec des figurants. Mais pour celles sur le terrain, avec Eddy en arbitre, il fallait faire vite ; il était important que le stade soit plein pour que ce soit crédible, et nous ne disposions que du quart d’heure de la mi-temps pour opérer. Eddy avait un peu forcé sur la boisson, il n’était pas vraiment prêt. Nous étions un peu paniqués, car il avait du mal à se tenir. Quand il met le carton rouge, il fait un tour complet sur lui-même, comme pour montrer le carton aux spectateurs… Je ne sais pas pourquoi il a fait ça. Il n’y connaît sans doute rien au foot. On n’avait pas le temps de faire beaucoup de prises, donc on a gardé celle-là, pas le choix ! C’est un film sans grands moyens, tourné en quatre semaines, en ne travaillant que la nuit.
Son personnage est assez candide, il traverse les évènements sans paniquer… Eddy ne croit pas qu’on va le tuer. Mais les deux inspecteurs du travail tués récemment ne savaient pas qu’on allait les flinguer. On ne sait jamais à quel point un type peut être dangereux.
Serrault, justement, qui joue le rôle du « type dangereux » , il est un peu âgé. Il n’est pas tellement typé « hooligan » … Serrault, c’est un beauf ! On ne sait rien de sa vie, mais on la devine. Il dit que sa femme le fait chier… C’est curieux, mais j’ai l’impression que le foot intéresse plus les vieux que les jeunes, qui vont en discothèque, draguent… Les vieux s’emmerdent ! Donc, dans les stades, il y a plus de gens âgés que de jeunes (????, N.D.L.R.). Et même, les plus dangereux sont souvent les vieux ! Il y a un mec super qui jouait dans mon film Vidange (sorti en 1998), un ancien garde du corps de Johnny Hallyday. Il s’est fait poignarder un an après dans un train, par un supporter du Celtic. Il est mort. L’assassin avait cinquante ans ! Il a été acquitté, d’ailleurs. La misère… La saturation est plus importante chez un mec au fur et à mesure qu’il vieillit. C’est normal. D’une manière générale, je pense que les vieux sont plus méchants que les jeunes. Les skinheads ne sont pas représentatifs de la jeunesse de tous les jours, ils sont heureusement marginaux. Serrault, par son sérieux, n’a pas l’air d’être un hooligan ; c’est ce qui m’intéressait. C’est un lâche, un peureux. Il ne peut qu’attaquer en foule ; il participe à la surenchère. S’il est tout seul, il pleure, il faiblit. Un hooligan, une fois arrêté par les flics, il s’écrase.
Même si le foot n’est pas le sujet du film, mais un prétexte pour aborder les phénomènes de foule, la folie, c’est aussi un prisme sociologique particulièrement intéressant pour vous, non ? Le foot, c’est un espéranto : dans un café, le matin, on peut voir un éboueur, un cadre, un patron et un étudiant être sur la même longueur d’ondes. Ils discutent du match de la veille ou de celui du lendemain. Ils s’expriment de la même façon ; c’est extraordinaire. C’est le seul sport qui a la vertu de faire communiquer des gens si différents. Dans les banlieues, je préfère voir les jeunes jouer au foot et qu’ils en rêvent. C’est mieux que la Star Ac’ ou le loto. Le football, c’est, avec la religion, le seul lien entre les gens. C’est fraternel. Ceux qui ne peuvent pas aller au stade vont dans les cafés. C’est une convivialité qui permet d’exister, et c’est très intéressant sur le plan sociologique. C’est le seul sport qui réunisse des gens tellement différents. Et ça continue : les femmes s’y mettent. Au début, on disait qu’elles accompagnaient leurs hommes, mais non, maintenant, elles sont là ! Le foot va prendre de plus en plus d’importance, les enjeux étant considérables… Le vedettariat dans le football est plus important aujourd’hui que dans le cinéma.
À la fin, Serrault et sa meute finissent par retrouver Eddy, l’arbitre. Pourquoi le retrouve-t-on dans un décor aussi futuriste ? Il fallait un truc immense pour qu’ils aient du mal à le trouver, que ça monte en puissance. C’est aussi pour montrer cette espèce d’incommunicabilité entre les gens, entre les immeubles. Le style est mussolinien, limite fascisant : carré, en béton. C’était cinématographique. C’est moi qui l’ai « donné » aux Monty Python, ce décor. Terry Gilliam est ensuite venu tourner là.
Le détective que vous interprétez est vite dépassé… C’était Michel Constantin qui devait le faire, mais il était retenu dans le désert pourLes Morfalous; il n’a pas pu venir au dernier moment. J’ai pris le rôle à la volée. Je n’aime pas beaucoup les flics, mais là, je voulais un gentil. Un type sympa, mais impuissant. Il est témoin : il ne peut rien faire.
Comment le film a-t-il été perçu à sa sortie ?
J’ai été emmerdé par le président de la fédération de foot. Il m’a dit : « Monsieur Mocky, ce que vous racontez est faux. Il n’y a pas de gens comme ça, qui lancent des cannettes » , etc. J’ai eu un conflit avec tous les arbitres de France. Le seul qui m’a soutenu, c’est Raymond Kopa. Il m’a dit : « Tu as raison, ils reçoivent des cannettes » . Dix ans après, j’ai vu un arbitre qui m’a dit : « Tu avais raison, on a mis des filets pour empêcher les cannettes d’arriver sur les joueurs » . Comme je le montre dans mon film, les cannettes, on les cachait dans les tambours. Moi, je leur répondais qu’il y avait eu 300 000 morts dans le foot ; pas en une fois, évidemment, mais depuis le début, et dans le monde entier ; c’est ce que j’avais lu dans les journaux. Ce n’est pas rien ! Il y a parfois eu 500 morts d’un coup, à cause de bousculades en Amérique du Sud. 300 000 sur un siècle, ça doit bien être ça. Pas que des morts, mais aussi des blessés, des gens qui ont perdu un œil, des invalides…
Deux ans après la sortie du film, c’est le Heysel…
On me dit toujours que mes films sont visionnaires… Mais c’est seulement parce que je dénonce des choses quand elles sont encore taboues. J’ai juste quelques années d’avance sur le moment où on peut en parler sans provoquer. Les gens ne veulent pas parler des choses au moment où elles se passent. Ils ne veulent pas voir traiter en fiction des sujets sensibles qui sont au cœur de l’actualité. Si je fais un film réaliste aujourd’hui, où l’on voit un otage se faire décapiter, il sera boycotté. Pourtant ce serait indispensable, car c’est d’autant plus dommage que ça existe depuis toujours, et qu’il y aura de plus en plus d’otages, fatalement. Si À mort l’arbitre était sorti après le Heysel, on me l’aurait reproché encore plus. Là, je viens de faire un film sur la pédophilie : ça faisait longtemps que je voulais, mais on va m’accuser de faire de la récupération avec les derniers drames.
Un film sur l’industrie du foot, ça ne vous plairait pas ? Non, ça ne marcherait pas. D’ailleurs, dans À mort l’arbitre, j’ai fait un film où je n’ai pas attaqué les joueurs, ni les arbitres ; je les ai défendus. En revanche, il y a des footballeurs qui veulent tourner avec moi. Cantona fait un peu de cinéma, alors il voulait que je fasse un film avec lui. Et puis Zidane…
Zidane ? Oui, il veut en faire un, et je pense qu’il en fera.
Il vous a fait une demande explicite ?Non, personne ne vous demande ça directement. Mais ça se sait. Zidane, ce n’est pas tellement qu’il veuille faire du cinéma avec moi spécialement, mais il voudrait tourner avec un directeur d’acteurs. Moi, j’ai donné ses premières leçons à Lino Ventura, qui était catcheur ; il ne savait pas jouer. Les sportifs ne sont pas forcément intelligents, mais les acteurs non plus : il n’y a pas de grandes différences à ce niveau-là ! Il y en a des intelligents, mais la plupart sont simplement des bêtes de quelque chose : de cinéma ou de sport, mais ce ne sont pas des intellos ou des lumières, même s’il ne faut pas leur dire ! Comme je suis un autodidacte, et eux aussi, il y a de la sympathie. Ils viennent vers moi. C’est pour ça que j’ai beaucoup bossé avec des gens comme Bourvil, des gens du peuple, comme on en trouve dans le foot…
Tous propos recueillis par Vincent Riou, Damien Jeannes et Sophie Annese-Lévy