Il paraît que t’es un grand supporter de l’OM ?
Mon père m’a transmis le truc. Il supportait déjà l’OM avant de partir de Côte d’Ivoire pour la France. Il nous a tannés avec ça, à crier devant la télé. Nous, on se demandait pourquoi et après, on a suivi. Mon premier match au stade, c’est un OM-Monaco, finale de Coupe de France en 1989. L’OM gagne 4-3 avec un triplé de JPP, un but de Sauzée. Mais j’ai jamais vécu à Marseille. J’habitais à Caen. Mon « baye » , c’est Caen en numéro 1, Marseille en 2 et Milan AC en 3. Lors d’un Caen-OM, je suis pour Caen, direct.
Appeler son fils Zlatan quand on est supporter de l’OM, c’est pas n’importe quoi ?
Comment tu sais ça, toi ? À la naissance de mon fils, Zlatan jouait pour le Milan. Je suis vraiment un grand fan de lui depuis l’Ajax. Je m’étais donc dit que dès que j’aurais un fils, je l’appellerais Zlatan. J’hésitais entre Cristiano et Zlatan. J’ai appelé un pote qui m’a dit que Cristiano, ça faisait ringard. Putain, j’appelle mon fils Zlatan et deux mois après, le mec il débarque à Paris. Ils m’ont bien baisé la gueule, ces bâtards. Parce qu’à l’époque, c’était quasi impossible d’imaginer Zlatan à Paris.
Tu tapais le ballon plus jeune ?
Tu rigoles ou quoi ? Je jouais en U15, U17 nationaux, à Mondeville, près de Caen. Je jouais contre des Bernard Mendy ou Jean-Alain Boumsong. Je faisais partie de l’élite quoi (rires). J’ai même été champion de France du fair-play une année. On avait gagné une place pour un France-Pays-Bas, le premier match de Vieira.
Souvent, c’est le prix qu’on donne à une équipe de nullos dans un tournoi…
Pas là. On était quatrièmes. Le Havre avait tout niqué. Ils nous en avaient collé 7 à l’aller et 3 au retour. On n’était pas un centre de formation, mais des mecs de quartiers. On avait quand même battu Caen. Franchement, on était bons. Certains sont partis en centre après. J’étais parti faire des essais à Rennes. Il y avait Ousmane Dabo, Mikaël Silvestre et Fabrice Fernandes à l’époque. Mais je suis parti au bout d’une semaine. J’aimais pas l’ambiance entraînement/muscu. On se réveillait à 8 heures et tu touchais pas le ballon de la journée. J’ai appelé ma mère qui est venue me chercher. J’avais sans doute le niveau mais, dans ma tête, j’étais trop artiste, trop dans la dimension du plaisir.
Tu jouais quel poste ?
Milieu droit, mais j’avais du feu dans les jambes. Quand je partais de derrière, j’étais inarrêtable. Je faisais des trucs solo en dribbles. Inarrêtable, je te dis. Je rentrais souvent le râteau / petit pont. J’étais un Pastore des temps modernes.
Tu crois en la Côte d’Ivoire pour ce Mondial brésilien ?
Sincèrement, ça peut faire quelque chose de sérieux. En Coupe du monde, on tombait toujours dans un groupe de fou, avec la Hollande, le Brésil ou l’Argentine. Avec la Grèce, la Colombie et le Japon, y a moyen. Et j’aimerais bien que Didier soit remplaçant, en joker quoi. Faut qu’on mette un Gervinho en pointe. Et j’ai un amour particulier pour Max-Alain Gradel.
Vous êtes un peu le pays maudit en Afrique ?
Oui, c’est vrai. Depuis 1992, on n’a plus gagné de CAN, mais on a vraiment une génération de ouf, avec Yaya Touré. Après, j’ai l’impression que la Côte d’Ivoire a un problème de mentalité, des branleurs les mecs, contrairement aux Camerounais, qui ont plus de couilles que nous. Ils ont faim, les mecs. Kalou, le mec de Lille là, par exemple, je trouve que c’est un branleur.
Mouais. Disons des branleurs esthètes quand même, nan ?
Ouais, mais combien de fois le Cameroun nous a mis à l’amende alors que sur le papier, on est 15 fois meilleurs qu’eux ? Parce que dans la tête, ils sont ivoiriens. On est un pays de menteurs-branleurs. Alors que le foot, c’est un truc de guerrier. Après, je dis ça, mais j’ai un énorme respect pour Yaya Touré, un des meilleurs joueurs du monde. Je le kiffe trop ce mec, trop élégant.
T’aurais pas pu appeler ton fils Yaya ?
Non, faut qu’on s’en sorte quand même.
Et Max-Alain ?
J’aime bien. Si j’ai un autre fils, pourquoi pas.
Je rigole pas, Xavier Gravelaine, il est allé en équipe de France en jouant à Caen, quand même !
Pour toi, le foot, ça représente quoi ?
Le foot, c’est la vie. Tu t’entraînes pour progresser, comme dans la vie. Un mec bien éduqué, c’est un mec qui joue au foot. Ceux qui n’ont pas joué, c’est des connards. Si tu remarques bien, la plupart des connards dans la vie n’ont pas joué au foot. Le foot, ça t’apprend à être anti-raciste, faire les efforts pour les gars, à gagner ensemble, à perdre ensemble aussi, à respecter l’adversaire vu que tu vas lui serrer la main en fin de match. Mon fils, obligé, je vais le mettre au foot.
Tu vas souvent au stade ?
Au Parc oui, parce que j’ai quelques places avec le Before. Et ça me fait mal de le dire, mais c’est plutôt beau à voir. Mais le stade que j’ai le plus saigné, c’est le stade Vernoix de Caen, avant d’Ornano, quand ils jouaient la Coupe d’Europe. Caen-Saragosse, putain… Xavier Gravelaine, Stéphane Paille, Benoit Cauet, Richard Dutruel. Gravelaine, le bordel qu’il a foutu à Caen… Pfffiou… Truc de ouf, mon gars. Je rigole pas avec ça, Xavier Gravelaine, il est allé en équipe de France en jouant à Caen, quand même !
T’as joué avec des joueurs qui ont percé au fait ?
Cédric Hengbart, à Mondeville. On a fait deux ans de U17 ensemble. Il était remplaçant au début, puis est devenu titulaire en défense centrale. C’est là qu’on s’est lié d’amitié. Son père avait une ferme vers Falaise. On y avait bu du Fanta et mangé du saucisson. Mais Cédric, il était dans le collège d’un de mes meilleurs potes et il lui cassait toujours la tête avec « JP par-ci, JP par là, il est fort de ouf » . Son père venait toujours à l’entraînement, alors que les nôtres, ils ne savaient même pas qu’on était à l’entraînement. Son père me ramenait parfois et je l’entendais donner ses conseils à son fils. Cédric, c’était mon gars à l’entraînement. Y en avait des 15 000 fois meilleurs que lui. Mais la vie, c’est comme ça : Cédric était un travailleur de malade mental. Il rigolait pas à l’entraînement. Nous, l’entraîneur nous parlait et on lui disait « Vas-y, ferme ta gueule » . Des trucs de gamins, quoi. Quand je suis parti, Hengbart est monté en équipe première, a joué en CFA avec plein d’autres mecs de mon équipe, et ensuite il est parti direct au Stade Malherbe en Ligue 1. Un jour, je regarde Téléfoot et je vois la tête de mon Cédric qui cale un but ! Je vois ça, je me dis : « Le Cédric Hengbart ? Mon gars ? Avec sa tête de con ? Ah, l’enculé… » Je l’ai vu au marquage de Cristiano Ronaldo quand même. Lui, Cédric… La vie, c’est du travail de ouf de toute façon. Y a pas de secret. Cédric, il avait déjà tout compris. Chapeau.
Mais c’est un regret pour toi de ne pas avoir moins fait l’artiste pour tenter une carrière dans le foot ?
Je sais que je ne serai jamais heureux dans ma vie. C’est ma plus grande blessure du monde. Parfois, tu sais, je rêve la nuit, que je suis pro et que je joue un match de Coupe de France. Puis, je me lève le matin et je dis « putain… » . Je ne comprends pas pourquoi j’ai arrêté le foot sur un coup de tête, alors que je jouais depuis mes 8 ans. J’étais même pas blessé, hein. J’ai fait mes deux années en U17, et puis basta. Un fou. Je me souviens avoir joué un match de Coupe de France avec Cédric. Boumsong me chargeait, mais je l’avais tellement dribblé que je l’avais fatigué. Son entraîneur n’arrêtait pas de lui crier dessus. Je me disais « Mais pourquoi tu cries ? Ça sert à rien, j’ai une technique insolente. » Et, plus tard, je vois ce métisse aux yeux bleus à la télé… « Aujourd’hui, on est là » , je le dis souvent dans « c koi les bayes » . Cela veut dire que quelque chose n’a pas fonctionné. Pour nous, le Before, Canal Plus, c’est une chute. Normalement, si ma vie s’était bien passée, là, j’ai 33 ans, et je serais en équipe de France. Et ce serait ma dernière Coupe du monde.
Tu n’aurais pas joué pour la Côte d’Ivoire ?
J’aurais aimé, mais j’ai trop la culture équipe de France. Et puis, en plus, en 98, vu que j’aurais été joueur d’Auxerre, quand il m’aurait pris avec les Zidane et tout, obligé, je me serais saigné pour rester en équipe de France. 2002, ça aurait été l’année où je pétais tout. Franchement, c’est ma plus grosse blessure. En plus, c’est moi qui l’ai choisi, à 17 ans, de dire « Nique sa mère » . N’importe quoi.
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