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Jean-Michel Aulas, le paradoxe vivant du foot français

Par Nicolas Kssis-Martov
4 minutes
Jean-Michel Aulas, le paradoxe vivant du foot français

Jean-Michel Aulas fête aujourd'hui ses 70 ans. Nul ne peut lui contester qu'il a réussi à occuper une place à part dans le foot français. Celui qui croit encore possible un modèle français de réussite économique et sportive dans un sport mondialisé et ultraconcurrentiel a fini par incarner son club aux yeux de tous. Le boss de l'Olympique lyonnais a surtout appris une leçon essentielle, aussi bien dans les affaires que dans le petit monde du ballon rond : mieux vaut être détesté qu'ignoré.

On a l’impression qu’il s’agit d’une éternité. Avant l’arrivée des Qataris a Paris. Une époque où remporter deux titres successifs constituait un exploit. En 2002, l’Olympique lyonnais décroche enfin sa première consécration. La première d’une série de sept qui installe les Gones sur le toit du foot français. Avec les deux pieds dessus, un Jean-Michel Aulas qui toise ses rivaux, autrefois si méprisants pour la capitale des Gaules de sa tranquille assurance. Les lignes budgétaires dans une main, les talents (Dhorasoo, Malouda, Benzema, Juninho, etc.) dans l’autre, il se sait ou se croit intouchable, au-dessus du lot. Bernard Tapie avait certes donné un premier visage moderne à « l’entrepreneur » dans le ballon rond, loin des notables bedonnants ou des bons gars qui élèvent des poulets. Le foot hexagonal ressassait encore des affaires de caisses noires quand Nanar se mit à dépenser sans compter jusqu’à damer le pion aux grandes puissances italiennes. Mais c’était un coup, un braquage qui a mal fini. Rien de similaire chez Aulas.

Le cercle vertueux d’un capitalisme bien de chez nous

Quand son club règne, c’est pour durer. Il construit. Patiemment. Il façonne son OL comme une entreprise vouée à devenir hégémonique sur sa part de marché. Il investit dans la recherche (la formation), le foncier (son stade), il se diversifie (le foot féminin) et trouve des partenaires (des investisseurs étrangers). Le cercle vertueux d’un capitalisme qui reste bien de chez nous. Il fonctionna ainsi toujours aussi à l’ancienne en tissant une relation unique avec son cercle lyonnais, en bon notable de province, entre Gérard Collomb, centriste du PS futur ministre En marche, et Thierry Braillard, ministre des Sports sous Hollande. Il sut cultiver ses réseaux au sein de la République qui ouvre les portes pour faire sauter les permis de construire et faciliter la vie face au fisc. Il continua aussi de hanter les couloirs de la Fédération et de la Ligue, au cas où… Il fut également plutôt visionnaire en investissant lourdement dans son stade (quand tous ses confrères continuent de quémander le loyer le moins cher aux villes qui se sont ruinées à les construire), ou en mettant un (petit) billet sur les filles, qui lui offrirent enfin sa « Coupe d’Europe » et un Ballon d’or.

Tout le monde aime détester l’OL

Beaucoup l’ont détesté depuis. Dans les années 2000, les couleurs du brave et modeste Fleury Di Nallo sont devenues celles du triomphe du foot moderne, capitaliste, arrogant, sans âme ni histoire. La success story, jusqu’à une demi-finale de Ligue des champions, dans un pays amoureux d’égalité qui suspecte toujours la réussite d’être dangereuse et au détriment du bien public, provoque le rejet général. Tout le monde aime détester l’OL. Et son président propre sur lui, au sourire carnassier, qui imagine qu’il est désormais seul maître à bord. Ce moment historique où Olivier Besancenot, supporter d’un PSG qui court derrière le « gros club » sur les bords du Rhône, y voit le repoussoir de tout ce qu’il déteste dans le foot, notamment son bourgeois de patron. On se demande alors si, quelque part, Jean-Michel Aulas ne savoure pas ce statut de « seul contre tous » . Il en fera parfois, par-delà le fossé social et les malentendus provisoires (le cas Genesio en ce moment), son programme commun avec les supporters et les ultras, avec lesquels il entretient une relation spéciale, assez rare pour être signalée.

Seulement voilà. Il voulait imposer le modèle indépassable d’un foot pro à la française. Or, si la solidité du club et son patrimoine impressionnent, l’arrivée des Qataris a remis ses prétentions à leur juste place et à genoux – sauf petites revanches sur la pelouse – devant la réalité de l’économie mondiale et mondialisée. Désormais, le voilà condamné à toujours se battre pour la seconde place (et à prier pour un accident industriel parisien). Il existe pourtant un domaine dans lequel il a décidé de rester à jamais le mâle alpha : l’art d’énerver. Il sera surtout de son temps en utilisant son smartphone comme arme d’existence massive, rendant dépendant un foot qui s’ennuyait désormais devant la cavalcade annoncée d’avance chaque saison des Parisiens, et leur échec prévisible en Ligue des champions (lui au moins sait à quoi ressemble l’ivresse de passer les quarts). À coups de tweets et de punchlines, de provocations, de mises en cause de l’arbitrage, face à des Stéphanois qui le ciblent (son derby prenant le pas sur le Clásico) ou Marseillais qui veulent tout casser chez lui (c’est peu dire à quel point il pèse)… Il semble dire « venez me chercher » . Jean-Michel Aulas est un président unique, le paradoxe vivant du foot français et il n’est pas près de raccrocher. Vous ne l’aimez pas. Il s’en fout. Il sait qu’il vous manquera.

Happy Birthday Mr. President !

Dans cet article :
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Par Nicolas Kssis-Martov

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