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Jean-Michel Aulas a-t-il ruiné son image ou celle du foot français ?
Jean-Michel Aulas a su occuper le devant de la scène durant la crise du Covid-19, en menant une folle bataille médiatique et juridique pour imposer la reprise de la Ligue 1. Seul problème, seule la victoire est belle, et sa défaite en rase campagne a considérablement égratigné son image. Est-il donc désormais devenu le mouton noir du foot français, et a-t-il entraîné par égoïsme le ballon tricolore dans sa Bérézina personnelle ?
Jean-Michel Aulas continue sa stratégie, la même qui a assuré sa réputation sur les réseaux sociaux. La meilleure défense, c’est l’attaque. Récemment, il l’a encore démontré dans un entretien pour Canal Plus : « Ça arrange beaucoup de gens de dire que j’agis par intérêt personnel en défendant mon club. Encore que défendre mon club, ça me passionne. Mais là, je défends l’intérêt général. Ça donne une image de manque d’unité ? Vous pouvez aussi dire que ça donne une image de courage et de détermination [de ma part]. Si l’image du football français a été écornée, ce n’est pas de mon fait. J’en suis convaincu. » Bref : j’ai raison, j’ai toujours eu raison. « Je lisais dernièrement dans un grand journal sportif que j’étais le seul à avoir défendu ma position. On découvre aujourd’hui que c’est la France qui est la seule à défendre sa position au sein de l’UEFA. D’ici quelque temps, tout le monde reviendra sur terre. On saura qui a dit la vérité et, surtout, qui a défendu l’intérêt général. »
Tout cela avant de s’amuser dans un tweet des contradictions de ses adversaires : « Ligue 1-Ligue 2 : la LFP souhaite « 100 % du public » dans les stades – L1-L2 @OL @lfp @Cazadieu la LFP aurait été bien inspirée de promouvoir 100% des matchs de la saison : heureusement que le ridicule ne tue plus ! » Il faut reconnaître qu’il a le droit de l’avoir mauvaise. En dépit de son acharnement, de son engagement total et de sa campagne de communication digne d’une primaire US, les vents contraires l’ont emporté. Le chêne lyonnais a rompu devant la loi, l’État et la défection de la plupart de ses « amis » à la tête des autres enseignes de nos championnats pros. Le système l’a brisé, ses alliés potentiels l’ont lâché.
Vilain petit Gone ?
Jean-Michel Aulas est du coup passé du statut de grand patron du foot hexagonal, de digne représentant d’un modèle tricolore de construction d’un grand club (formation, propriétaire de son stade, projet européen…), de défenseur et promoteur indéfectible du foot féminin au rôle du vilain canard qui donne une bien mauvaise réputation au petit monde du ballon rond. Les erreurs d’appréciation du patron de l’OL sont tellement évidentes qu’on peine à comprendre comment elles ont pu lui échapper. Son discours s’est toujours d’abord fondé sur un sentiment d’injustice (absence en Ligue des champions) qui, de fait, concerne surtout l’OL. Voilà pour le nombrilisme, alors que les statistiques morbides grimpaient.
Il n’a ensuite cessé de citer en exemple ce qui se passait ailleurs, et d’invoquer une quasi-prééminence de l’UEFA. Un point de vue qui peut s’entendre à Londres ou à Madrid, mais pas à Paris. A-t-il oublié à quel point la crise du Covid-19 s’était révélée infiniment plus grave chez nous qu’en Allemagne, par exemple (et plus mal gérée pour X raisons, dont l’affaiblissement de notre système de santé depuis une décennie) ? La France reste un pays marqué par le besoin de croire que l’État garde la main, surtout en période difficile, et sait s’imposer y compris face au « marché » . Chez nous, pour être un chef d’État, il faut savoir dire non (de De Gaulle à Londres à Chirac face à la guerre en Irak). Il a cru peut-être soulever l’enthousiasme des foules en leur apportant au nom de « l’intérêt général » le retour de la L1, alors que son pays rêvait surtout d’une bière en terrasse et que beaucoup s’angoissaient pour l’avenir de leur emploi. Comme a tenté de l’expliquer Noël Le Graët dans Ouest-France, « le foot n’est pas le plus à plaindre ».
Anar de droite ?
Le foot français, et notamment ses pairs, en ont soupé. Au-delà de ses arguments parfois recevables – après tout, le Conseil d’État a invalidé la descente d’Amiens et Toulouse –, c’est surtout sa méthode obstinée, le choix de la confrontation avec les pouvoirs publics (alors que la LFP recevait un joli prêt garanti par l’État pour tenir jusqu’à l’été), jusqu’à ses échanges peu amènes avec la ministre, qui ont lassé et conduit à l’isoler. Si certains ont pu râler, ils ont finalement vite compris le message : celui du Premier ministre, devant la représentation nationale. Ils avaient conscience qu’à domicile, il n’est jamais très inspiré de citer le modèle allemand ou l’Angleterre du Brexit en exemple.
Infantino n’a pas de mandat pour décider de ce qu’il se passe sur le territoire de la République. Noël Le Graët a donc eu beau jeu d’expliquer que le foot amateur payait, lui, le prix le plus lourd au contexte exceptionnel du confinement. Pour sa part, l’UNFP a mis en avant la santé des « salariés » alors que les ultras signaient pétition sur pétition pour réclamer un foot plus responsable et civique. Cher Jean-Michel Aulas… En France, on aime les anarchistes de droite. Mais seulement en littérature et dans le cinéma. D’où, peut-être, le conseil inspiré de Roxana Maracineanu dans les colonnes de L’Alsace : « Si Monsieur Aulas a différents scénarios à proposer, je l’invite à en faire un film et à le proposer en salles puisqu’il y aura du public. »
Par Nicolas Kssis Martov