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Jean-Marie Lartigot : « L’arbitre a un rôle de triple protection »

Propos recueillis par Julien Duez
10 minutes
Jean-Marie Lartigot : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>L’arbitre a un rôle de triple protection<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Si le début de la saison 2021-2022 a été émaillé par moult incidents en tribunes, celui de l’exercice actuel l’est par la multiplication des polémiques liées à l’arbitrage. Entre cartons rouges dégainés à la vitesse de l’éclair, bousculades et petites phrases assassines, la vie des hommes en noir semble plus compliquée que jamais. Ancien arbitre de Ligue 1 et de Coupes d’Europe entre 1981 et 1994, Jean-Marie Lartigot continue d’exercer son regard sur un métier qui lui est cher. On a profité de la trêve internationale pour lui demander de livrer son analyse.

Ce mardi s’est tenue une réunion organisée par la Direction technique de l’arbitrage (DTA), à laquelle un peu plus de la moitié des entraîneurs de Ligue 1 ont participé. Que vous inspire ce genre d’initiative ? Pour moi, c’est une bonne idée, car c’est un milieu qui est en constante évolution. Mais ce n’est pas la première fois que les arbitres vont à la rencontre des clubs. D’ailleurs, par le passé, certains allaient même participer à un entraînement. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et je trouve ça dommage. Tout comme je trouve regrettable que seuls onze clubs aient répondu favorablement à cette invitation. Je ne comprends pas qu’on n’envoie pas, à défaut, au moins un adjoint ou le directeur sportif. D’un côté, on a une contestation massive et lorsque la DTA fait un pas en avant, on ne vient pas. Il ne faudra pas venir pleurer après.

À entendre certains discours, on aurait en France les pires arbitres du monde. Pourquoi la situation est-elle actuellement aussi envenimée selon vous ?Un élément m’interpelle particulièrement : à la fin de cette saison, il y aura 20% de descentes en Ligue 1 et en Ligue 2, et un tiers en National 1. C’est énorme et les clubs commencent déjà à compter les points. À l’époque où j’arbitrais, ce qu’on appelait le « match de la mort » avait généralement lieu à l’avant-dernière journée, maintenant c’est carrément à la dixième. Donc cela n’arrange pas l’atmosphère générale. Ensuite, on est passé d’un football tactico-technique à un football tactico-physique. J’ai arbitré environ 245 matchs de Ligue 1 pendant treize ans et je ne me souviens pas d’avoir vu des arcades sourcilières qui explosent sur un coup de coude. Les joueurs sont certainement plus affûtés qu’avant, mais on voit des gestes de plus en plus violents, et au milieu de ça, l’arbitre doit faire le tri, et je ne pense pas que la DTA ait lancé une politique du chiffre, avec un certain nombre de cartons rouges à sortir, déterminé en début de saison. L’arbitre a un rôle de triple protection : celui du jeu et donc du spectacle, celui de la santé des joueurs et celui de sa propre autorité.

Je ne vais pas aller jusqu’à dire que c’est le reflet de la société, mais on vit dans un monde où tout le monde conteste.

Quand le président du Stade de Reims, Jean-Pierre Caillot, dit ouvertement qu’il y a « un problème avec l’arbitrage français », ça vous choque ? Bien sûr, même si ça fait 28 ans que j’ai quitté les terrains et quatre ans que j’en ai terminé avec mon poste d’observateur. Je ne défends pas mon ex-corporation, mais neuf fois sur dix, ces contestations n’ont pas lieu d’être, et j’ai de plus en plus de mal à entendre ces critiques qui émanent souvent de personnes bien placées dans les tribunes. Je ne vais pas aller jusqu’à dire que c’est le reflet de la société, mais on vit dans un monde où tout le monde conteste. On est pour ce qui est contre et contre ce qui est pour, et à partir du moment où les choses ne tournent pas en faveur de son équipe favorite, on se déchaîne, verbalement et physiquement, dans les tribunes, sur le terrain et les réseaux sociaux. Je regarde encore beaucoup de matchs, en France et à l’étranger, et souvent je me dis : « Mon pauvre arbitre, qu’est-ce qu’il prend ! »

Vous pensez à une rencontre récente en particulier ?Quand je vois Pierre Gaillouste à Metz contre Guingamp, il a vraiment été courageux. Si la deuxième expulsion messine est discutable, la première et la troisième ne le sont absolument pas. Et on en arrive à défendre un joueur qui postillonne au visage de l’arbitre et un autre qui met un tacle dans le genou de son adversaire, quitte à le fracasser pour le reste de la saison. Pour retrouver le sommeil après un match comme celui-là… (Il soupire.)


Pourtant, cette atmosphère n’est pas nouvelle. Déjà en 1984, elle était illustrée dans le film À mort l’arbitre (Il coupe.) Je m’en souviens très bien puisqu’on a été invités à l’avant-première avec Michel Vautrot. C’étaient les prémices de ce qui allait arriver, mais sur le terrain, ça ne se passait pas comme ça. Je fais partie d’une génération qui a connu des conflits et des coups de gueule à la fin des matchs. C’était la période de présidents comme Tapie, Bez, Borelli… Mais au bout d’un quart d’heure, c’était plié, on n’en parlait plus, on pensait déjà au match suivant. Aujourd’hui, on dit que les arbitres se renferment sur eux-mêmes, mais ils sont constamment agressés ! Qu’est-ce que vous feriez, vous, si on vous épiait et on vous jugeait constamment ? Ils se protègent.

J’ai connu la contestation, un peu de violence même, avec des artistes comme Éric Di Meco, Patrick Colleter ou Gernot Rohr. Mais ça n’avait rien à voir avec aujourd’hui et les meutes de joueurs qui se jettent sur l’arbitre.

Une solution pour faire redescendre la pression ne serait-elle pas d’équiper les arbitres de micros, comme cela se fait déjà au rugby par exemple ?Là, vous touchez un point sensible, car j’habite sur le bassin d’Arcachon, où la culture rugby est très présente. Ça peut être positif, au moins pour que les joueurs se taisent. Au rugby, les échanges sont très courtois, bien éloignés de ce qu’on a vu avec Kimpembe contre Brest. Mais il faut aussi prendre en compte la mentalité des spectateurs qui n’est pas du tout la même. Quand les enfants prennent leur première licence en club, on leur apprend les lois du jeu et à respecter l’adversaire et l’arbitre. Au foot, on leur donne une paire de chaussures et un ballon et on leur dit : « Tu vas jouer au foot. » Pendant un match de rugby, un seul joueur a le droit de parler à l’arbitre : le capitaine. Si un autre s’approche, il se fait remettre dans son en-but vite fait bien fait. Moi, j’ai connu la contestation, un peu de violence même, avec des artistes comme Éric Di Meco, Patrick Colleter ou Gernot Rohr. Mais ça n’avait rien à voir avec aujourd’hui et – j’emploie un terme un peu violent – les meutes de joueurs qui se jettent sur l’arbitre. Il faut faire quelque chose, le football est en train de prendre un virage dangereux. Que ce soit économiquement, dans les tribunes ou sur le terrain. Et ça ne concerne pas que la Ligue 1. Vous avez une idée de l’atmosphère qui règne au niveau amateur ? Tout le monde pleure, personne ne veut perdre.

Peut-être qu’on s’inspire inconsciemment de ce qu’on voit chez les pros.Absolument, surtout chez les petits. Ils s’identifient à Mbappé ou Griezmann, veulent s’habiller comme eux, se coiffer comme eux, faire les mêmes gestes sur le terrain et ils contestent comme Verratti. Je comprends que ces joueurs soient des exemples, mais il y a bon et mauvais exemple. Tant qu’on n’aura pas assaini le climat sur le terrain, dans les tribunes et sur les bancs de touche, on n’avancera pas. Si les arbitres appliquaient les dix-sept lois du jeu, même avec discernement, il n’y a pas beaucoup de matchs qui se termineraient. Et ce n’est pas la VAR qui servira de solution miracle.

On a effectivement l’impression qu’elle crée plus de problèmes qu’elle n’en résout.80% des incidents ne sont pas résolus. Là où ils le sont, c’est sur les situations de hors-jeu. Et ça me fait mal au cœur, parce que c’est millimétré. Si le joueur chausse du 48, il dépasse d’un centimètre et c’est dommage parce que le football, c’est justement marquer des buts. Je préfère personnellement un match qui se termine par 5-3 plutôt que 0-0. Après, la VAR est un bon outil, mais c’est trop restrictif.

Y a-t-il un modèle dont il faudrait s’inspirer pour « assainir le climat » ? Regardez les matchs européens, où l’on pratique le même sport avec les mêmes règles. Vous trouvez qu’il y a autant de cartons rouges ? Non. Pourquoi ? Parce que les joueurs font beaucoup plus attention, tout simplement parce que les sanctions disciplinaires et financières de l’UEFA sont beaucoup plus sévères. En tout cas, j’en suis persuadé. Si mes souvenirs sont bons, les appels concernant les sanctions disciplinaires ne sont presque jamais prises en compte. L’UEFA est un monument d’organisation sportive et disciplinaire, et les arbitres sont très protégés quand ils officient lors des matchs européens.

En quoi consiste le métier d’observateur que vous avez exercé jusqu’en 2014 ?La finalité de ce rôle est d’évaluer la prestation d’un arbitre. Est-ce qu’il est bien à ce niveau, est-ce qu’il peut aller plus haut ou au contraire, est-il trop élevé pour lui. Ce qui compte, c’est la manière dont il conduit les débats, est-ce qu’il domine son match pendant les moments chauds, est-ce qu’il respecte bien les consignes de la DTA, et sa prestation est soumise à une appréciation globale. On n’est pas là pour le sermonner parce que la touche n’a pas été effectuée à l’endroit précis, ça c’est en jeunes, pas chez les pros. Et finalement, on va lui indiquer peut-être deux pistes de travail à retenir. C’est suffisant, pas besoin d’en lister une cinquantaine. Mais vous savez, dès le coup de sifflet final, l’arbitre sait souvent lui-même évaluer correctement son match. D’ailleurs, ils sont tenus de faire leur propre débriefing avant de l’envoyer à la DTA.

Terminons avec deux cas pratiques. Tout d’abord, le rouge reçu par Jean-Clair Todibo au bout de neuf secondes face à Angers. L’arbitre a-t-il « tué le match » ? Je pense qu’il est bien placé dans l’axe et il voit un joueur qui perfore la défense, certes, bien alignée, et il a beaucoup de chance de se présenter seul face au gardien, même s’il est encore à 21 mètres du but. Le geste de Todibo, c’est un acte d’antijeu caractérisé, et l’arbitre, techniquement, ne peut pas faire autrement que de lui mettre un carton rouge. Il applique la consigne. Pour moi, la décision est bonne. Concernant les neuf secondes, ça ne change rien. On n’a pas le droit de mettre un croc-en-jambe à la première seconde comme à la 90e minute. Les sanctions doivent être prises en fonction du geste, pas du temps qu’il reste à jouer, même si après c’est compliqué parce qu’il faut tenir fermement la barre du bateau pour éviter qu’il ne tangue.


Dernier exemple : l’expulsion du Rémois Bradley Locko face à Monaco, après laquelle le directeur de la DTA Pascal Garribian est venu faire son mea culpa sur le plateau de La Chaîne L’Équipe. Là, on peut discuter. Il veut dégager le ballon, mais, accidentellement, ne maîtrise plus la fin de son geste, et la chaussure vient s’écraser sur le mollet de son adversaire. Si vous faites un arrêt sur images au moment de l’impact, c’est rouge. Mais il faut aussi prendre en compte l’intention du joueur, qui est de jouer le ballon. Pour moi, un carton jaune aurait été beaucoup plus adapté à la situation. Quand Pascal Garibian vient s’expliquer à la télé, c’est parce que la polémique est très forte et qu’il se doit de soutenir ses arbitres, quitte à en égratigner un qui est tombé dans l’excès. Les arbitres aiment se sentir soutenus de temps en temps, vous savez, et quand leur patron vient parler pour eux, ce n’est pas mal. Quand on reste trop longtemps dans le silence, c’est qu’on est un peu fautif.

Pas sûr que cela suffise à calmer Óscar García, qui criait au complot contre Reims en conférence de presse après la dernière journée. Il n’y a pas de complot, au contraire. Le gars qui va arbitrer Reims va justement redoubler de vigilance pour ne pas tomber dans l’excès. Mais s’il y a rouge, il y a rouge, il fait son boulot, en espérant qu’à la fin du match, les joueurs et les entraîneurs viennent lui serrer la paluche. Il suffit de voir Pierre Gaillouste après avoir arbitré Lille-Toulouse. Il sortait de son match à Metz, et on voyait que c’était l’homme le plus heureux du monde parce qu’il n’avait presque pas eu à mettre la main à la poche (seulement deux biscottes contre les Dogues, NDLR). Dans ces moments-là, on se dit : « Merci messieurs pour votre état d’esprit, maintenant je vais bien dormir. »

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Propos recueillis par Julien Duez

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