- Coupe du monde 2018
- Bilan
Jean-Marc Guillou : « Un pays d’Afrique dans le dernier carré en 2030 »
Ancien joueur de l'équipe de France, fondateur des académies à son nom en Afrique et en Asie, Jean-Marc Guillou est un esthète et un idéaliste du football. Et comme tout passionné, il a suivi le Mondial 2018. Il nous parle de la France, de l'Afrique et de l'Asie, avec pas mal d'admiration pour Kylian Mbappé, sans surprise.
Depuis dimanche dernier, l’équipe de France est l’objet de certaines critiques concernant son jeu, qui serait trop défensif au goût de certains. Quelle est votre opinion personnelle sur le jeu qui a été pratiqué par les Bleus au Mondial ?Sans aucun doute, cette équipe a misé sur un jeu plutôt attentiste et donc basé sur le contre. Cela dit, pour avoir la maîtrise du jeu, dans un match, il est absolument nécessaire d’avoir des milieux de terrain très fort techniquement. Les avions-nous ? Je ne crois pas. Deschamps a donc choisi des joueurs physiquement très forts et probablement ce qui se faisait de mieux quand même au niveau technique, mais probablement techniquement insuffisants pour maîtriser le jeu face au milieu belge ou croate. Cette équipe a forcé sa chance, elle a eu foi en elle. Même dominée, on sentait que tout était possible. Il n’y a aucune honte à gagner avec ces arguments, on peut au contraire être fiers d’y être parvenus.
La critique concernant le manque d’initiative dans le jeu se tient-elle, alors que la France a la meilleure attaque du Mondial à partir des huitièmes de finale ?Qu’elle ait réussi à être la meilleure attaque à partir des huitièmes est dû selon moi à un jeu de contre rendu possible par la vitesse et le talent de Mbappé et, il faut aussi le dire, à la chance (but c.s.c., buts sur corner, et sur penalty grâce à la vidéo). En finale, après une première mi-temps difficile, elle va au vestiaire avec un but d’avance contre toute logique. Puis après avoir subi le début de seconde mi-temps, sur un autre contre de Mbappé, Pogba fait le break. L’importance de Kylian Mbappé a été selon moi déterminante.
Certaines voix à l’étranger ont évoqué une « victoire africaine » , en raison du grand nombre de joueurs d’origine africaine en équipe de France. Mais ces attaques ne soulignent-elles pas paradoxalement une réussite du modèle français en matière d’intégration sociale dans le football ? Nous devons être fiers de cette équipe, elle a d’ailleurs été prise en exemple par Barak Obama récemment dans un discours en hommage à Nelson Mandela.
Beaucoup de joueurs formés en France jouent pour d’autres équipes nationales. L’échange est-il équilibré ?Je n’ai jamais évalué le nombre de joueurs formé en France et jouant pour une équipe africaine. Mais nous devons reconnaître que pour le moment, les Africains sollicités par le sélectionneur français préfèrent jouer pour la France que pour leur pays d’origine. On peut et on doit les comprendre. Ils ont tout simplement plus à gagner à jouer pour l’équipe de France.
Le continent africain n’a pas réussi à placer une seule équipe en huitièmes de finale. Que ressentez-vous par rapport à ce bilan négatif ?Cela s’est joué à pas grand-chose entre le Japon et le Sénégal. Et quand on a vu le mal qu’a donné le Japon à la Belgique, on peut se dire que l’écart entre les grandes nations du football et les petites se rétrécit. Il y a en tout cas un fait important qui doit donner de l’espoir à tous les pays : l’Uruguay a 5 millions d’habitants, la Croatie 4 millions, l’Islande 350 000. Aucune de ces équipes n’a été ridicule, bien au contraire.
L’impression qui domine par rapport à l’Afrique, c’est d’avoir deux équipes, le Nigeria et le Sénégal, qui ont clairement laissé s’envoler leurs opportunités, et trois autres, comme la Tunisie, qui ont été très naïves… Il manque quoi aux équipes africaines pour vraiment s’affirmer sur la scène mondiale ?Des bons joueurs, principalement. Ensuite, des bons clubs pour pouvoir garder ces joueurs. Donc une très bonne formation et des clubs devenant professionnels. Cela dit, pour l’Afrique noire, il est nécessaire de voir venir des investisseurs pour faire de bonnes structures de formation et créer dans la foulée des bons clubs. C’est exactement le projet que je vais mener en Côte d’Ivoire. On en reparlera dans une dizaine d’années.
Les plus grandes nations actuellement sont justement celles qui disposent d’un système de formation performant. À votre avis, l’Afrique est-elle sur la bonne voie pour combler son retard sur l’Europe et pourrait-elle, à terme, former l’essentiel de ses internationaux ?Sans doute pour la première phase. Probablement pour la seconde. L’exemple ivoirien que nous allons donner aux autres pays africains en matière de formation pourra, si ce projet va au bout, sans aucun doute permettre à un pays africain d’accéder au dernier carré du Mondial de 2030.
L’Asie n’a pas fait beaucoup mieux que le continent africain, avec seulement le Japon en huitièmes, mais la Corée du Sud s’est offert un coup d’éclat contre l’Allemagne, et l’Iran n’a pas été loin de réussir l’exploit contre le Portugal ou l’Espagne. Quand, à votre avis, des pays comme le Japon ou la Corée du Sud, qui ont fait de gros efforts structurels en 30 ans, pourront devenir des puissances mondiales et plus seulement continentales ?Le Japon est celui qui est sur la meilleure voie. Il travaille très bien au niveau formation. Plus l’arbitrage vidéo prendra d’importance, plus ces pays poseront des problèmes aux grandes nations.
Sur un plan purement tactique, qu’est-ce que vous retenez de ce Mondial ? Y a-t-il une équipe qui vous a impressionné et mérite d’être érigée en exemple à suivre ?La France, grâce à son esprit de corps, sa foi et grâce aussi au talent de Mbappé, Griezmann et Kanté, mérite ce titre. Mais il ne faut pas croire que seulement cet esprit de corps et cette foi auraient été suffisants. Car sinon, l’Islande aurait joué la finale.
Parce qu’il a remporté l’épreuve, Didier Deschamps doit-il être considéré comme le meilleur entraîneur et tacticien du tournoi ?Le meilleur entraîneur est celui qui a la meilleure équipe et souvent le plus de chance. On peut penser que la Belgique, le Brésil et même la Croatie avaient au moins autant d’arguments que les Français, la chance en moins. De ce point de vue, Didier Deschamps mérite quand même ce titre avec tous ces adjoints, car la chance ne vient pas par hasard.
Le joueur qui vous a plu le plus ?Mbappé, Hazard, Modrić, Cavani, Kagawa ou encore Kanté…
Propos recueillis par Nicolas Jucha