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Jean-Marc Furlan : « Un stade vide, ça fait trop flipper »

Propos recueillis par Mathieu Rollinger
6 minutes
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Pour Jean-Marc Furlan, en temps de confinement, les coups de fil se passent généralement au guidon de son vélo d'appartement. Et c'est en tournant les jambes et sans perdre son souffle que l'entraîneur d'Auxerre se projette sur la prochaine étape : une reprise potentiellement à huis clos, qu'il considère comme un défi à relever, si cela peut être utile à la société.

La perspective de reprendre la compétition avec des matchs à huis clos vous effraie-t-elle ?D’une manière très spontanée : oui ! Ce serait horrible, affreux. Le football, pour moi, c’est le partage avec la population, le public et les supporters. Même dans le club de ton village, tu joues pour la dizaine de copains qui viennent te voir jouer, ta copine, ta fiancée, ta maman ou ton papa. Là tu joues juste pour ton coach… déjà que certains ne peuvent plus me voir en peinture ! (Rires.) Ceci dit, cette question implique une seconde réponse, puisqu’il faut aussi réfléchir en prenant en compte cette situation inédite. Comment on finit le championnat ? Comment les clubs vont-ils s’en sortir économiquement ? Et, surtout, comment répondre à des gens qui ont envie de voir du football à la télé, à défaut de pouvoir sortir ? Il y a beaucoup de gens qui souffrent de ne pas pouvoir suivre des rencontres de football ou de rugby à la télé. Ce raisonnement me fait dire : oui, on y va. Mais sincèrement, un stade vide, ça fait trop flipper.

Comment s’adapte-t-on quand on doit disputer un match sans public ?J’ai 62 ans, ça ne m’est jamais arrivé. Ni en quinze ans de carrière de joueur, ni après vingt ans sur un banc de touche. Compte tenu qu’on devait jouer la 29e journée contre Lens à huis clos avant qu’elle soit annulée, j’avais demandé à pouvoir faire deux entraînements dans notre stade vide. On a fait une opposition d’une heure et demie, dans les conditions de match, pour trouver des repères. Après, cela n’a rien de scientifique, hein.

N’est-ce pas trop contraignant pour un entraîneur qui voudrait donner des consignes tactiques en cours de match ?Il faut déjà savoir que, dès que tu es dans un stade de Ligue 2 avec 3000 ou 4000 personnes – en Ligue 1, je ne t’en parle même pas –, les joueurs ne t’entendent pas. Nous on s’amuse, et moi le premier, à faire des grands gestes, à crier, mais pfff… même le mec à dix mètres, ton latéral, il est dans son match. C’est juste sur des touches ou des arrêts de jeu que tu peux faire passer un message.

Jouer dans ces conditions a-t-il un réel impact sur la performance sportive ?Un huis clos, ça met à contribution nos capacités d’aller chercher ailleurs la motivation et le dépassement de soi. C’est du même acabit que lorsque tu es à domicile et que tes ultras balancent des banderoles contre toi : ton équipe doit prouver ses valeurs psychologiques et mentales.

Pour un club comme le PSG, le huis clos ne changera pas grand-chose. À l’inverse, ceux qui entrent sur le terrain sans avoir de plan bien défini, ils se chieront dessus qu’il y ait du monde ou pas en tribune.

Stratégiquement, ça suppose que les joueurs doivent suivre une méthodologie comme s’il y avait 50 000 personnes dans le stade. Mais le plus important, c’est de savoir quel genre d’aventure ils auront envie de construire entre eux.

Certaines équipes pourraient donc être avantagées dans le sprint final ?Cela va privilégier les vestiaires sains, qui seront capables de développer une force motivationnelle collective. Pour qu’une équipe en difficulté réussisse à se transformer dans de telles conditions, ça arrive une fois sur 20 ou sur 40. Pourquoi le PSG a été costaud contre Dortmund ? Parce qu’il y a un travail de profondeur, des fondations très solides, un cadre de travail très strict défini par le coach. Donc pour eux, le huis clos ne changera pas grand-chose. À l’inverse, ceux qui entrent sur le terrain sans avoir de plan bien défini, ils se chieront dessus qu’il y ait du monde ou pas en tribune.

La fin de saison risque donc d’être un casse-tête pour les coachs en matière de gestion.Une reprise à huis clos serait un gros point d’interrogation au-dessus de nos têtes. D’où le fait que certains entraîneurs veulent arrêter le championnat de suite. Pour moi, c’est un beau challenge, mais je comprends ceux qui sont bien placés pour une accession ou un maintien. Le problème que l’on a tous, c’est que si on doit jouer quatre matchs en 10 jours, cela suppose d’avoir 24-25 joueurs opérationnels dans son effectif. Ça peut être dangereux pour les joueurs d’enchaîner les matchs à ce rythme, donc ça avantagera les clubs qui sont capables de faire un roulement et de concerner tout le monde. Sans compter qu’on n’a pas encore réglé le problème des fins de contrat et des prêts.

Le plus dérangeant, selon moi, serait d’attaquer la nouvelle saison dans la foulée. Les joueurs ont besoin de congés.

Quelle est votre position personnelle concernant la reprise ?Ce que j’ai dit dans le groupe WhatsApp des entraîneurs de Ligue 1 et de Ligue 2, c’est que pour le public, pour la société, si ça peut rendre les gens heureux, alors on doit y aller. Si les conditions sanitaires sont réunies, si on peut faire tous des tests régulièrement et que les joueurs ne sont pas en danger, je suis pour. Le plus dérangeant, selon moi, serait d’attaquer la nouvelle saison dans la foulée. Je ne parle pas physiquement : le football est bien plus épuisant psychologiquement, avec l’anxiété, le stress ou la déprime qu’il peut engendrer… Les joueurs ont besoin de congés. On aimerait que les gars aient 20 ou 25 jours de repos entre les deux saisons, une préparation normale de cinq semaines et donc ne pas commencer la saison 2020-2021 avant septembre.

Cette période de confinement ne peut pas être considérée comme une période de repos ?C’est différent. D’habitude, je me lève chaque matin avec du stress ou une incertitude, parce que je m’occupe de 40 ou 45 mecs, staff compris. Là, pendant 10 jours, ça m’a fait beaucoup de bien, j’avais l’impression d’être en vacances. Comme je suis un optimiste, je me suis dit que ça n’allait pas durer plus de 15 jours, donc j’en ai profité. Je suis resté à Auxerre, mes joueurs sont restés à Auxerre. Alors, je me pose sur mon vélo et je les appelle tous chaque jour, un par un, de façon à leur dire que s’ils ont besoin de nous, on est là. Mais plus les jours passent, plus une angoisse revient : que va-t-il se passer pour l’après ? Entre les incertitudes sanitaires, économiques, sportives, on est dans le flou complet. Le plus gros facteur de stress, c’est l’incertitude. On parle de football, mais c’est d’autant plus vrai pour les restaurateurs, les commerçants et tout un tas de métiers.

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