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Jean-Marc Furlan : « Je me suis chié dessus en début de saison »

Propos recueillis par Aymeric Le Gall
Jean-Marc Furlan : « Je me suis chié dessus en début de saison »

Arrivé dans un club en totale reconstruction l'été dernier, Jean-Marc Furlan ne s'attendait pas à jouer les premiers rôles cette saison avec le Stade brestois. Avant un match au sommet contre Reims, le spécialiste des montées en Ligue 1 a pris le temps de décrocher son téléphone. Entretien franchise, rêve éveillé et langage fleuri.

Malgré votre victoire face au Havre à la maison (2-0) samedi dernier, l’équipe n’a pas montré son plus beau visage de la saison. C’est important de savoir gagner ce genre de rencontre. Ouais, à la mi-temps, j’étais en colère vu à quel point on était passif et en dessous de notre niveau habituel, et je leur ai dit : « Si vous choisissez de rester dans vos 21 derniers mètres et que vous gagnez le match, alors peut-être qu’on aura franchi une marche. » Je disais ça pour déconner, un peu ironiquement, et c’est ce qu’ils ont fait. Après, c’est sûr que je préfère quand on attaque et qu’on joue. Le match qu’on a vu mardi soir (City-Monaco, ndlr), putain, moi je veux en voir tous les soirs des trucs comme ça ! Et sans me dire : « Est-ce que Sidibé ou Mendy ont fait une couille défensive ? » Putain, mais je m’en fous qu’il y ait des erreurs défensives du moment que les mecs s’éclatent, que les spectateurs s’éclatent, tu vois des actions, de l’engagement, du rythme, des prises de risques. Après, c’est normal d’analyser les erreurs, mais sur le coup tu apprécies juste ce que tu vois et tu savoures.

On revient à Brest. Quand vous êtes arrivé au club, il y avait un effectif de quinze joueurs dont trois gardiens et c’était le chantier à tous les étages dans le club (changement de direction et de locaux). Vous avez craint pour le début de saison de votre équipe ? Oh, mais moi, attends… Je ne veux pas être grossier, mais je ne vois pas comment le dire autrement, je me suis chié dessus en début de saison, ce n’est pas compliqué (rires) ! Le staff et moi, on était aux abois. On avait douze joueurs, dont six néo pros. Six néo pros ! Lors des trois premières semaines d’entraînement, j’ai eu la trouille de ma vie. Quand le directeur sportif a dit : « Jean-Marc, les agents sont là, faut signer les contrats pour qu’on les envoient à la Ligue » , j’ai répondu : « Je ne signe rien, moi, je veux voir le président d’abord. » C’est là que je me suis entretenu avec Denis (Le Saint, ndlr) et que je lui ai dit : « Si vous voulez finir dans les dix premiers du classement, il faut prendre quelqu’un d’autre comme entraîneur. »

Donc si vous êtes là aujourd’hui… (Il coupe) On s’est mis d’accord tous les deux, il a compris. Gregory Lorenzi a appuyé mon raisonnement, il lui a dit qu’avec cet effectif-là, on jouait le maintien. Il fallait qu’on prenne au moins dix joueurs, on en a pris onze, mais je n’étais pas certain que la mayonnaise prenne. Il peut arriver, avec autant de recrues, qu’elle ne prenne jamais. Ça arrive. Il faut du savoir-faire, il faut s’appuyer sur autre chose que le football. Je leur ai dit : « On ne se connaît pas, durant les amicaux et les premiers matchs du championnat, qu’est-ce qu’on fait ? Oh les gars, on fait preuve de solidarité et puis c’est tout. » On était partis dans l’idée de grappiller un point par-ci, un point par-là.

À l’arrivée sur les quatre premiers matchs, c’est un nul et trois victoires et aujourd’hui vous êtes solides leaders. Comment on peut expliquer ça ? Pffff, est-ce que c’est explicable ? Non, ça ne l’est pas. C’est ça le football et c’est pour ça qu’il est aussi populaire, rien ne s’explique. Même moi, là, après huit mois, je me dis encore : « Mais qu’est-ce que c’est que ce délire ? » Jamais je n’aurais imaginé qu’on soit premiers aujourd’hui, je me pince tous les jours.

Pourtant, malgré l’urgence, votre recrutement est loin d’être dégueu. Oui, mais la précarité d’un projet sportif, je l’ai connu à Troyes, tu la vois au nombre de prêts. C’est pas bon, ça veut dire qu’il y a eu une reconstruction, une page blanche, appelle ça comme tu veux. Tu sens une forte précarité. Ça veut dire que nous, la saison prochaine, qu’on soit en Ligue 1 ou en Ligue 2, il faut reconstruire complètement le groupe. Certains me disent que c’est mieux ça que d’avoir quarante-cinq joueurs sous contrat comme au Stade rennais ou ailleurs. Je ne sais pas (rires) !

Est-ce que dans ces cas-là il y a des trucs, des combines pour souder un groupe qui se connaît à peine ? Comme je suis un malade mental de l’entraînement sur le terrain, on a tout misé sur la solidarité et les entraînements, sur le fait de passer des heures et des heures ensemble à travailler. Et quand je dis des heures, ce sont des heures, hein ! Matin, après-midi, matin, après-midi, matin, après-midi. Toujours avec le ballon, avec des fondamentaux très forts, afin que personne ne joue sa propre partition, mais bien celle du collectif.

Vous êtes arrivé dans un club en reconstruction. Est-ce que c’est l’idée de pouvoir bâtir quelque chose de zéro qui vous a motivé à rejoindre Brest ? Non. Je vais te dire la vérité, moi si je m’étais maintenu avec Troyes en Ligue 1, j’aurais pu avoir… (Il réfléchit) En vieillissant, je me disais : « Bordel, ça serait bien un club avec un gros budget, en Ligue 1 ou en Ligue 2, un club très solide, avec un effectif de haut niveau déjà construit. » J’en rêvais de ça. Parce que depuis vingt ans que j’entraîne, j’ai toujours dû construire quelque chose avec peu de budget et je rêvais d’autre chose. Donc ce n’est pas ça qui m’a séduit à Brest, non. C’est le discours du président. Quand je suis venu discuter avec lui, je connaissais le contexte du club, je savais qu’il n’y avait pas d’installations et j’étais parti pour refuser. Mais voilà, par respect j’ai accepté de venir passer une journée avec lui. Bon, il y avait un truc qui me plaisait bien, c’est la pelouse. Je savais qu’elle était neuve et de bonne qualité et ça, pour moi, c’est primordial. Si tu veux pratiquer le football tel que je le conçois, il te faut les conditions pour le faire. Mais sinon, c’est vraiment le président qui m’a plu, son discours, sa personnalité, c’est une affaire humaine. En revanche, jamais je n’ai su que le chantier était aussi grand, j’en parle avec lui de temps en temps, je le chambre là-dessus (rires).

Grougi disait : « On en bave au quotidien, mais comme c’est fait dans la bonne humeur et avec plaisir, on ne se rend pas compte qu’on a autant bossé. » C’est ça votre méthode ? Oui, mais c’est un constat qui n’est pas propre qu’au football et qui se retrouve aussi dans le monde de l’entreprise ou autre. Au XXIe siècle, tu n’as pas le droit de ne pas proposer à tes garçons de prendre du plaisir au quotidien dans leur boulot. Je bâtis des séances d’entraînement que j’aimerais pouvoir faire moi aussi avec eux si j’avais l’âge et la santé. Quelque chose d’à la fois constructif dans ta thématique et ton projet de jeu, mais quelque chose dans lequel les joueurs se régalent. Je veux qu’il y ait des sourires, que l’ambiance soit légère. Contrairement au management du XXe, je ne crois pas que tu sois bon parce que tu fais la gueule et ce n’est pas parce que tes joueurs vont se faire plaisir qu’ils ne vont pas être rigoureux. Je pense même que c’est l’inverse.

L’un de vos objectifs en débarquant à Brest, c’était de réconcilier le public avec son équipe. Est-ce que vous diriez que c’est d’ores et déjà acquis ? Oui, oui. Je n’étais pas au courant de ça en arrivant, du fait que le public brestois était en froid avec le club. Ce sont les gens qui m’ont dit ça quand je les croisais en ville. Et aujourd’hui, j’entends des supporters qui me disent : « Quoi qu’il arrive, on est heureux, on est réconcilié avec notre équipe et son football. » Il y a un autre truc ici qui m’a fait halluciner, c’est que les gens me remerciaient d’être venu à Brest. « Merci de nous avoir choisis » , ils disaient. C’est drôle comme phrase. Je me demandais ce qu’ils voulaient dire par là. De toute évidence, ils ont du mal à convaincre des gens de venir à Brest et pas qu’au foot, hein, de manière générale. Je discutais avec des chefs d’entreprise et en effet, ils rament pour faire venir les gens à Brest, au bout de la terre, pour travailler. Moi, je m’y sens bien.

Il y a quelques mois, vous disiez : « L’objectif cette saison c’est de ne pas trop souffrir en Ligue 2. Le plus grand danger pour une équipe, c’est de monter en Ligue 1 quand le club n’est pas prêt. » On a l’impression que les joueurs sont en train de vous prendre de court, vous et les dirigeants brestois. Ah ben là pour le coup, oui (rires) ! Je ne sais pas si on va aller en Ligue 1 parce que ce n’est pas du tout fait pour l’instant, mais là, évidemment, quand on voit les résultats… Je ne sais même pas comment exprimer ce qu’on ressent. Ils nous ont mis devant un fait accompli qu’on n’avait jamais imaginé avec le président et le staff. Et si jamais ça tient jusqu’au bout, ça va faire tout drôle, c’est clair.

Vous iriez jusqu’à dire que ça serait un cadeau empoisonné ? Non, bien sûr que non. C’est ça le sport, il faut accepter l’idée de donner cette émotion aux gens, de la joie aux joueurs. Et puis on est des compétiteurs, on s’est pris au jeu. On n’en parle pas entre nous, mais quand on se regarde, on comprend. Pas besoin de parler de montée, ça se sent dans l’enthousiasme qu’on met au travail, on voit que tout le monde se bat pour ça.

Dernière chose : ce match de Coupe de France face à Fleury et cette décision de ne pas porter réclamation et donc de laisser la qualif’ aux adversaires… Comment s’est prise la décision ? Ça a été très simple et très rapide. D’abord, nous, on a été nuls sur le terrain. Et avec Greg (Lorenzi, ndlr), on n’a même pas eu besoin de réfléchir plus de dix secondes. On s’est regardés et on s’est tout de suite dit : « On arrête là. » C’était spontané, naturel et sans aucun calcul. On n’a pas pris cette décision pour faire les beaux, mais parce que c’est ce qu’il y avait de plus logique, c’est tout. Pourtant, autour de moi, j’ai vu que cette décision n’avait pas plu à tout le monde, des yeux se sont baissés dans mon vestiaire et dans mon staff. Mais moi, je n’en ai rien à foutre de gagner sur tapis vert. On n’imaginait pas les conséquences positives que ça aurait. D’habitude, quand tu te fais sortir par plus petit que toi, tu passes pour un con, alors que là, on nous a félicités pour notre défaite (rires) !

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Propos recueillis par Aymeric Le Gall

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