- Coupe du monde 2018
- Bilan
Jean-Marc Furlan : « Deschamps est le meilleur sélectionneur que l’on puisse espérer »
Entraîneur de Brest, Jean-Marc Furlan a tout de même naturellement pris le temps de regarder la Coupe du monde. Entre le faible nombre de hors-jeu, la fin des règnes espagnol et allemand, et le style Deschamps, le technicien lâche ses analyses sans calcul.
Une petite curiosité dans ce Mondial 2018 : très peu de hors-jeu. Une explication rationnelle ?Je vais être paradoxal en disant que le niveau tactique global de cette Coupe du monde est faible par rapport à la Ligue des champions. Une grande sélection doit se baser sur un ou deux clubs qui font son ossature. Les exemples, ce sont l’Espagne de 2010 – Barcelone et Real – ou l’Allemagne de 2014 – Bayern Munich –, or quand tu n’as pas une sélection avec ce type d’ossature, cela engendre un nivellement par le bas. Chaque sélection est composée de joueurs qui évoluent dans une multitude de clubs, et ne se côtoient que très peu. Et donc tu ne peux pas aller très loin dans la construction collective. La base d’une construction collective, c’est la discipline collective défensive, et les « petits » de cette Coupe du monde ont été très bons dans ce registre. Un bloc bas, consistant, et donc peu de situations pouvant amener à un hors-jeu, car les défenses sont beaucoup trop basses et dans le contexte de sélection, la plupart des entraîneurs ne veulent pas s’installer dans les trente derniers mètres de l’adversaire. La seule exception de ces oppositions avec au moins un bloc bas, c’est le France-Argentine où sur de nombreuses séquences, cela partait dans tous les sens. D’ailleurs, l’Argentine a été très naïve de positionner son bloc aussi haut face à une équipe comme la France. Ils ne pouvaient que se faire punir.
Donc en gros, c’était une Coupe du monde défensive, c’est ça l’explication ?On a peu de hors-jeu, car peu de collectifs se sont permis de jouer haut et d’aller presser leurs adversaires dans leur camp. À mon grand regret d’ailleurs, car le jeu dans les trente derniers mètres a été beaucoup plus faible que dans les éditions précédentes, notamment parce que l’Espagne ou l’Allemagne étaient en dedans, et qu’elles étaient les chantres de ce football très agressif dans le jeu. On a eu beaucoup de défenses qui ont dominé leurs trente derniers mètres.
Ce Mondial peut-il influer sur les stratégies des clubs européens pendant la saison à venir ?Ne vous inquiétez pas de voir cette tendance défensive s’installer dans les championnats. D’une part, en tournoi, il y a la pression de l’élimination directe qui pousse à limiter les prises de risque, d’autre part, sur une saison complète, on ne peut pas demander à des grands joueurs qui se côtoient toutes les semaines de jouer de la sorte. Dans un club ambitieux, on doit proposer un projet collectif, si possible offensif. Parce que c’est la régularité qui paie. Sur une Coupe du monde, c’est un esprit coupe avec un enjeu très fort, mais avec des joueurs qui se connaissent moins.
Dans cette configuration « coupe » , les équipes prétendument faibles ont d’ailleurs su vendre chèrement leur peau grâce à ces organisations défensives très solides…Personnellement, j’ai été impressionné par la qualité de l’organisation défensive de l’Iran, du Japon ou encore de l’Australie, qui a été très performante contre la France. Ces « petites » équipes n’étaient pas moins bien organisées défensivement que les « grosses » .
En tout cas, elles ont réussi à les déstabiliser grâce à cette approche, l’exemple ultime étant pour moi le match Russie-Espagne, où le choix était assumé de ne faire que défendre. La plupart des équipes se sont donc appuyées sur des principes d’équilibre avant tout, parce qu’elles ne pouvaient pas se permettre d’être plus ambitieuses. La Croatie est l’une des rares exceptions, car on a un groupe qui se connaît très bien, des joueurs qui sont ensemble depuis longtemps. La stabilité, c’est ce qui permet à une sélection de jouer offensif, car un fonds de jeu offensif, cela se construit sur la durée. Didier Deschamps peut l’installer dans le futur s’il garde la même ossature, au moins certaines paires comme Pogba/Kanté. On se souvient de l’évolution de l’équipe de France entre 1998 et 2000, voire 2002 : une recherche de l’équilibre en priorité en 1998, une équipe déjà plus offensive en 2000, une équipe à son meilleur niveau collectif en 2002. Dommage, c’était en mars.
Est-ce que le premier mérite de Didier Deschamps dans ce Mondial, c’est justement d’avoir été réaliste concernant ce qu’il pouvait demander à son équipe, et ne pas céder à ce que les observateurs exigeaient en matière de jeu offensif ?Deschamps est le meilleur sélectionneur que l’on puisse espérer : il est pragmatique, le fonds de jeu n’est pas sa priorité. S’il faut construire une équipe défensive pour commencer, il le fait, et dans deux ans, s’il a les cartes en mains pour faire une équipe offensive, qui maîtrise le ballon, car c’est le meilleur moyen de gagner, il le fera. Et je pense qu’il a une idée en tête, car il a pris des joueurs très jeunes, comme Hernandez, Pavard, Mbappé… Il a pris le risque de miser sur l’avenir, car c’est la possibilité d’avoir la même ossature sur la durée, ce qui permet d’améliorer le jeu.
On a nettement l’impression qu’on change de cycle, après deux Mondiaux où le vainqueur avait une identité de jeu très prononcée…On sort d’une période où l’on a été gâtés avec deux nations qui avaient atteint un niveau collectif exceptionnel, l’Espagne et l’Allemagne, grâce à une grande stabilité.
Je pense que l’on va retrouver une nouvelle période de ce type prochainement, mais il faut du temps. La maîtrise, cela ne s’improvise pas, cela se construit. On le voit en club, mais cela vaut aussi en sélection. D’ailleurs, cela ne vaut pas qu’en football, mais dans tous les sports collectifs. Même en handball ou en basket, les techniciens disent qu’il faut trouver des « paires » , deux joueurs qui interagissent parfaitement. Si tu as plusieurs paires dans ton équipe, tu es le roi du monde.
Elle était quand même belle cette Coupe du monde ? Il y a un point positif dans une Coupe du monde de ce type avec des collectifs pas assez poussés : cela fait émerger de grands joueurs, des joueurs de caractère. On en a vu quelques-uns dans notre équipe de France.
Par Nicolas Jucha