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Jean-Marc Benammar : « Les TPO vont faire exploser le système des transferts »

Par Nicolas Jucha
Jean-Marc Benammar : « Les TPO vont faire exploser le système des transferts »

Vendredi dernier, Sepp Blatter a annoncé fièrement la fin inévitable des contrats propriétés de tiers, ou TPO. Pour l'économiste Jean-Marc Benammar, professeur à l'Université Paris VIII, il ne s'agit que d'un effet d'annonce : d'une part, la FIFA n'a aucun pouvoir pour interdire ce type de contrats, et d'autre part, ils sont une évolution positive pour la « financiarisation du football ». Au nom du Père, du Fils et de Jorge Mendes. Amen.

Sepp Blatter a annoncé la future interdiction des contrats propriétés de tiers (Third-party ownership). Vous n’y croyez pas un instant ?

La FIFA n’a pas de pouvoir de justice. Ils font une annonce pour dire « les TPO ce n’est pas bien, on va l’interdire » . C’est un peu comme si vous réclamez au soleil de se lever ou non le matin, vous n’avez pas le pouvoir de le faire.

Peut-on considérer l’annonce et le vote du 26 septembre à la FIFA comme une simple manœuvre liée à la candidature de Blatter pour un nouveau mandat ?

Oui, car, actuellement, la presse du monde entier est en train de critiquer la FIFA sur cette question des TPO, et de dire « vous ne faites rien » . Moi, je suis favorable aux TPO et j’aimerais que cela se généralise à tous les joueurs professionnels du monde.

Pour quelles raisons y êtes-vous favorable ?

D’abord parce que cela fait entrer des capitaux dans le football. Il faut qu’il y ait de l’argent dans le football, le plus possible, et des gens qui investissent. Contrairement à ce que beaucoup pensent, ce ne sont pas forcément des mafieux colombiens qui investissent sur les joueurs de football. Ce sont des gens, comme vous ou moi, qui ont de l’argent et souhaitent le placer quelque part. C’est le principe d’une société commerciale.

Vous parlez d’investissements dans le football, mais ces fonds y restent-ils vraiment ? Quand Porto achète un joueur en co-propriété, il n’encaisse pas l’intégralité de la revente…

Et ils l’achètent moins cher également. Cela fait des décennies que la co-propriété existe en Italie (laquelle sera interdite à partir de 2015, ndlr). Cela n’a jamais gêné personne, avec les TPO. Ce qui est différent, c’est que l’on a des acteurs extérieurs au football. Ce sont pourtant ces gens qui financent, qui peuvent permettre aux clubs d’améliorer leur équipe et d’être plus performants. Pourquoi on leur interdirait ? Cela ne me paraît pas être du dopage financier.
Quel intérêt de connaître l’ensemble des propriétaires des droits d’un joueur ?

N’y a-t-il quand même pas un risque d’inflation ? Si plusieurs clubs sont capables de mettre 30 millions sur un joueur, automatiquement sa valeur dépassera les 30 millions...

Non, car cela va générer la fin du système des transferts. Avec les TPO, les clubs paient de moins en moins d’argent pour avoir les droits d’un joueur. Comme dans la vie de tous les jours : quand vous changez d’emploi, votre nouvel employeur ne doit pas verser d’indemnité à l’ancien. Vous ne lui appartenez pas. Le système des transferts actuel est, à terme, condamné par le droit. Carlos Tévez, quand il a été placé en Angleterre par le fonds d’investissement qui avait ses droits, il était très content car il gagnait plus d’argent.

Les opposants aux TPO parlent de « trafic d’êtres humains » . Or, à vous écouter, les TPO humanisent le marché des transferts…

Ce n’est pas du trafic d’êtres humains, pas du tout. Comment vous travaillez avec les artistes ? C’est la même chose : certains artistes créent des sociétés dont ils sont salariés pour facturer leurs services. Demain, vous aurez la même chose dans le football. Les joueurs ne seront plus salariés des clubs mais prestataires. Cela se fait déjà dans certains endroits avec les entraîneurs, qui viennent avec leur staff. Ils interagissent avec le club en tant que société commerciale. Le contrat signé est un contrat de service. C’est notamment ce qu’il se passe dans le cyclisme.

Généraliser les TPO, c’est se diriger vers la fin du salariat pour les footballeurs professionnels ?

Cela peut être intéressant de pouvoir payer son préparateur physique personnel pendant les vacances, d’avoir ses actions de sponsoring directement sur le compte de sa propre société. Si cela permet d’éviter de passer par des paradis fiscaux et d’avoir des sociétés immatriculées au grand jour, cela ne serait pas plus mal…

Justement, on accuse largement les TPO de nuire à la « traçabilité » des investissements dans le football et de compliquer les démarches administratives et les négociations…

Quel est l’intérêt de connaître l’ensemble des propriétaires des droits d’un joueur ? Vous voulez faire la liste de tous les actionnaires de Michelin ou Peugeot ? Cela ne servirait à rien du tout.

Pour le club acheteur, c’est essentiel…

Il n’y aura plus de clubs acheteurs dans le futur car il n’y aura plus d’indemnité. Le club n’aura que le « salaire » à payer. Le club qui pourra payer le salaire demandé par la société du joueur, c’est celui-là qui aura les services du joueur, tout simplement.

Le principe des TPO, c’est de répartir les droits contractuels d’un joueur sur plusieurs entités. Là, vous parlez comme s’il n’y avait qu’une seule entité. C’est quand même plus compliqué de négocier avec trois interlocuteurs qu’un seul ?

Il n’y a pas trois interlocuteurs, les actionnaires peuvent être en nombre illimité… Dans tous les fonds propriétaires de joueurs, il y a un grand nombre d’actionnaires à l’intérieur, des sociétés, des personnes privées… Voyez l’exemple de Berksire Hathaway et comment Warren Buffet fonctionne : c’est un monsieur qui dit « J’ai une grande compétence pour faire gagner de l’argent, si vous voulez me donner de l’argent et l’investir en me donnant une certaine somme, je vous garantis que les actions que vous aurez achetées vous rapporteront une plus-value et des dividendes. » Vous remplacez Warren Buffet par Jorge Mendes et vous avez la même chose dans le football. Jorge Mendes va voir des gens très fortunés et leur dit : « Voilà, je peux vous faire gagner de l’argent avec le football. J’ai une certaine compétence, je suis l’agent de Ronaldo, d’untel et d’untel. » Les gens, même ceux qui ne connaissent rien au football, peuvent comprendre qu’ils ont intérêt à faire affaire. Cela fait entrer de l’argent dans le football et accentue la financiarisation du football, qui d’ailleurs est déjà bien avancée malgré les efforts des Allemands. Les TPO sont très poussés en Espagne. Et c’est un pays puissant à la FIFA et à l’UEFA.

Vous évoquez des footballeurs avec la liberté de mouvement d’un employé lambda. Mais le système d’investissement dont vous parlez fait plus ressembler les joueurs à des œuvres d’art : on investit dessus en espérant que la valeur augmente avec le temps, pour revendre avec une plus-value…

Cela marche aussi avec les chevaux de course, il y a plein de systèmes similaires. C’est le système de la société capitaliste qui existe depuis le XVe de toute façon : investir des fonds pour essayer d’en avoir une juste rémunération, la plus élevée possible. Je suis d’accord avec vous que c’est la même chose de le faire avec un footballeur ou une œuvre d’art…

Donc aucun problème moral à faire de l’argent avec un footballeur ?

Non, ce sont les gens des clubs de football qui s’offusquent car ils voient l’argent leur échapper et surtout leur pouvoir. Ils ne comprennent pas que c’est une évolution inévitable dans la mesure où un footballeur est un « asset » , un actif pour ces sociétés-là. C’est aussi la rémunération d’un travail : les sociétés qui pratiquent les TPO en général acquièrent les services du joueur très tôt, lui ont permis de se structurer, de trouver des financements, des sponsors… Il y a également des services procurés par ces sociétés. Gestifute, créée par Jorge Mendes, c’est aussi une société de services. Un agent, ce n’est pas simplement quelqu’un qui vient s’asseoir à côté de vous pour négocier un contrat. Un vrai agent apporte des services en gestion de patrimoine, de recherches de sponsor, de gestion de carrière tout simplement. Il y a des gens qui font la même chose dans des cabinets de recrutement pour des cadres de haut niveau. Les footballeurs sont des cadres de haut niveau qui gagnent beaucoup d’argent. Ce qu’il y a, c’est qu’on a beaucoup tardé à arriver sur des structures adaptées aux valeurs ajoutées qu’amènent les joueurs. Il y a encore 20-25 ans, ils gagnaient des clopinettes et personne ne s’y intéressait. Les structures qui gèrent les footballeurs doivent s’occuper de personnes générant des sommes très élevées sur des périodes – et ça c’est important – très courtes.
Le jour où le Bayern Munich explosera, je serai très content

Il n’y a pas un conflit entre la carrière du joueur et les intérêts des investisseurs qui ont misé sur lui ? Leur intérêt premier est que le joueur soit transféré plus cher par la suite…

Non, car il ne sera plus transféré dans quelques années… Les transferts, ce sont des sommes ridicules par rapport à l’argent qui circule. Le FC Porto n’investit en général que 20 à 30% sur la valeur du joueur. Ce système peut résoudre pas mal de déficits, car ceux-ci sont avant tout causés par les balances de transfert négatives plus que par les masses salariales.

Mais ceux qui ont investi sur les 70 à 80% restant ?

Ils n’ont pas investi 40 millions. En général, ils investissent 1 ou 2 millions, ils ont pris le gosse quand il avait 16 ans. L’exemple type, c’est Falcao. Le joueur vaut 40 millions, mais cette somme tombe seulement si les droits du joueur sont revendus à un autre investisseur.

Justement, c’est tentant de revendre ses droits….

Il n’y a pas tellement de transactions dans ce milieu. Les investisseurs veulent surtout récupérer leur investissement à travers des bénéfices et des dividendes, et pas tellement à partir de ventes. Je n’ai jamais entendu parler d’une vente entre deux TPO.

Les propriétaires des droits ne se font donc pas d’argent sur les indemnités de transfert ou peu, comment ils générent leurs bénéfices dans ce cas ? Droits d’image ? Sponsoring ?

Le système de rémunération d’un agent, c’est le prélèvement d’un pourcentage sur les revenus du joueur, dont les salaires. Donc l’intérêt pour les investisseurs, c’est que le joueur fasse une énorme carrière en termes de revenus financiers. C’est principalement sur les salaires que cela se base. La FIFpro de son côté mène depuis longtemps un combat pour la fin du système des transferts, c’est l’un des objectifs des TPO. Bientôt, on aura des joueurs sous contrat dans des clubs, mais dans les « périodes de mutation » , si on leur propose plus d’argent ailleurs, ils partiront ailleurs, comme n’importe qui ferait. Ce qui va être formidable, c’est que cela va fermer les problématiques du fair-play financier : vous avez assez pour payer le salaire d’un joueur, il joue chez vous.

Grâce aux TPO, on va donc réduire les inégalités entre des clubs qui se surendettent sans soucis et les autres ?

L’objectif n’est pas de réduire les inégalités. Aujourd’hui il y a des grands clubs et des petits clubs, des grandes sociétés et des petites sociétés… Je ne veux pas, personnellement, que les inégalités soient réduites, je veux que chacun puisse travailler selon ses moyens. Si quelqu’un a de gros moyens, il fait du Manchester City ou du Paris Saint-Germain, qui créent du bonheur pour des millions de gens. Si mardi soir pour PSG-Barcelone, on avait dit « Ah ben non, vous ne pouvez pas faire jouer untel à cause du fair-play financier » , ce serait absurde. Le système actuel va exploser, le jour où le Bayern Munich explosera, je serai très content. C’est un club qui selon moi ne résonne pas sur des principes capitalistes, mais coopératistes. On est dans un monde capitaliste où le coopératisme n’a pas sa place. Et en même temps, le Bayern, cela ne les dérange pas d’aller chercher des joueurs un peu partout en Allemagne. Quand Manchester est allé chercher George Best à Belfast, cela n’a gêné personne…

Votre mot de la fin, c’est « vive les contrats propriétés de tiers » alors ?

Pour moi oui, oui, oui.

Par Nicolas Jucha

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