- Coupe du monde 2018
- Bilan
Jean-Louis Garcia : « La VAR va imposer une réforme du poste de défenseur »
Une première Coupe du monde avec l'arbitrage vidéo, cela mérite une petite analyse tactique. C'est l'ancien entraîneur troyen Jean-Louis Garcia qui s'y est plié...
La Coupe du monde 2018 a été marquée par l’utilisation de l’assistance vidéo. Cela a influé sur le jeu à quel degré ?L’introduction de la VAR a un impact quasi nul dans le jeu. En revanche, cela modifie toute la manière de jouer les coups de pied arrêtés et éventuellement le jeu dans la surface de réparation. Sur corners ou coups francs excentrés, un peu la même logique que les corners, on voit des arbitres très attentifs et soutenus par une équipe vidéo. Ce qui a pour conséquence de menacer le principe du marquage individuel. Avant, un défenseur ne s’occupait pas du ballon, mais simplement du joueur qu’il avait à marquer, et le perturbait par tous les moyens possibles. Si sur l’action, son attaquant n’avait pas marqué, c’est qu’il avait fait son job. Avec la VAR, ce défenseur a beaucoup moins de possibilités pour gêner son attaquant, ou alors il provoque un penalty. L’augmentation spectaculaire du nombre de penaltys vient directement de là.
Donc les défenses « marquage individuel » sont vouées à disparaître à cause de la VAR ?Les défenses vont devoir trouver des réponses collectives et le marquage en zone devrait redevenir la norme. En clair, plutôt que d’assigner un défenseur à un attaquant, on va assigner un défenseur à une zone.
C’est ce que les Croates ont mis en place en cours de match contre les Anglais et leur technique du petit train. Vu que les mecs sont impossibles à prendre en individuel – sauf en faisant faute – à cause de cette stratégie, les Croates ont adopté une répartition cohérente de leurs défenseurs sur les zones où était susceptible d’arriver le ballon. Ce qui en plus permet aux défenseurs d’attaquer le ballon et non de l’attendre, comme c’est souvent le cas dans un marquage individuel, puisque le défenseur doit suivre son homme. Le seul hic avec la défense en zone, c’est quand le corner est tiré à la rémoise, car cela pousse la défense à se désorganiser car les défenseurs ne peuvent pas rester statiques dans leur zone, mais doivent s’adapter à la position du ballon et aux zones où il peut arriver. Un défenseur qui bouge, il libère une zone dans laquelle un attaquant peut s’engouffrer. Aucun système n’est parfait, chacun a ses défauts et failles, mais la zone par exemple, c’est une réponse pertinente aux combinaisons offensives sur corner ou coups francs excentrés.
Pour les défenseurs, cela implique donc de revoir l’ordre des priorités dans leur « méthode » …Dans une défense en zone, les repères par ordre de priorité sont le ballon, l’espace et seulement après l’adversaire. En individuel, le seul repère c’est l’adversaire direct.
On peut donc dire sans trop simplifier que la VAR favorise l’équipe qui attaque sur celle qui défend ? La VAR favorise l’attaque sur coups de pied arrêtés.
Avant, il arrivait souvent qu’un arbitre siffle faute de l’attaquant, mais la vidéo met en avant les fautes des défenseurs. De manière naturelle, c’est plus facile d’attaquer que de défendre sur phase arrêtée. L’histoire de « Varane il a appris de 2014 », c’est de la littérature. Contre Hummels, il défendait, donc il a dû subir un joueur lancé et qui attaquait le ballon. Contre l’Uruguay, c’est lui qui attaquait le ballon. Avec la VAR, on enlève une arme aux défenseurs, celle qui consiste à retenir discrètement, donc les buts sur coups de pied arrêtés sont encore plus nombreux.
C’est donc très positif pour limiter les tricheries…La VAR, cela va favoriser les équipes qui défendent proprement, les joueurs comme Varane, qui restent quasiment tout le temps debout. Des joueurs forts dans le placement, l’anticipation… Laurent Blanc aurait été à l’aise, Cannavaro moins, même si cela ne l’aurait pas empêché d’être un grand défenseur. Sergio Ramos par exemple, qui est roublard, truqueur, il va devoir s’adapter. Ce Mondial a montré qu’il était moins à l’aise quand il n’y avait pas Varane à côté de lui, mais surtout, cela l’a contraint à avoir une manière de défendre différente. Cela me fait penser à la règle de la passe en retrait pour les gardiens au début des années 1990. On s’est demandé comment on allait faire, et finalement, cela a débouché sur une évolution très forte du poste, avec des gardiens très forts au pied dans certaines équipes. La VAR va imposer une réforme du poste de défenseur, plus dans l’anticipation et la lecture que dans le duel. Tacler dans la surface, cela va devenir encore plus rare, le défenseur devra être parfait.
A contrario, pour les joueurs de percussion, les attaquants dribbleurs, cela augmente leur dangerosité…Les attaquants comme Neymar, Mbappé ou Hazard vont devenir de plus en plus compliqués à gérer, car en tentant des dribbles dans la surface, ils augmentent les risques pour les défenseurs. La VAR est clairement une avancée pour les dribbleurs et les prises de risque individuelles.
La VAR a-t-elle radicalement changé le scénario de ce Mondial ?Sur ce Mondial, l’influence de la VAR a été d’autant plus prépondérante que l’on a beaucoup d’équipes avec des blocs bas, et qui dit blocs bas, dit décisions qui se font souvent sur phases arrêtées. Des grosses équipes comme la France, le Brésil ou l’Espagne ont eu du mal à battre des plus petites, car celles-ci ont réduit les espaces. En football, tu joues avec tes moyens, l’entraîneur d’une équipe plus faible doit trouver la meilleure stratégie pour niveler les valeurs avec l’adversaire plus fort. C’est ça qui permet à des petites nations de rivaliser avec une grosse le temps d’un match. Si on ajoute à ça la difficulté à défendre sur coups de pied arrêtés à cause de la menace de la VAR…
D’où des « petites » équipes qui font trembler des grosses…Pour moi, il y a eu des démonstrations défensives brillantes, comme l’Australie contre la France. Le jeu de possession des Espagnols, il est censé permettre d’aller vers le but adverse, mais pour être efficace, il exige de la mobilité et des changements de rythme. L’Espagne en a eu contre le Portugal, mais n’en a plus eu par la suite. L’Espagne nous a montré les limites du jeu de possession, quand tu n’as pas les joueurs ou les cannes pour le faire. Les autres équipes, dans la majorité, ont adopté un football d’attaques rapides, car c’est plus facile à mettre en place, cela demande moins de temps aussi pour être maîtrisé. Parce que si tu t’amuses à faire de la possession comme l’Espagne, mais que ta possession est stérile avec beaucoup de passes latérales, tu te mets en danger, souvent ta défense se retrouve en infériorité numérique à la perte de balle.
Quel bilan, donc, pour la VAR ?
J’ai toujours été favorable à la vidéo, et cette Coupe du monde renforce mon idée. La main de Dieu de Maradona, les Anglais ne l’ont toujours pas digérée. Je ne vois rien de beau ou d’émouvant dans une tricherie. Ceux qui prétendent ça, ce ne sont pas les acteurs du jeu. Car pour un entraîneur, c’est très dur de voir une semaine voire une année de travail réduites à néant par une injustice. Là, avec la vérification vidéo, on ne pourra plus aller à l’encontre de l’évidence.
Par Nicolas Jucha