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Jean-Laville, le stade de réserve
Pour son quart de finale délocalisé de Coupe de France, Moulins a choisi de jouer à 80 km de chez lui, au stade Jean-Laville de Gueugnon, qui s'est fait le spécialiste de l'accueil de matchs déplacés depuis quelques années. Reste à comprendre pourquoi.
Qu’ils soient supporters de Moulins (CFA) ou officiels des instances du football et/ou journalistes, ils seront nombreux à déferler sur la région rurale du Charolais, dans le Sud de la Bourgogne. Ils le feront obligatoirement par la route, le train ne s’arrêtant qu’au Creusot, à Mâcon ou à Paray-le-Monial, mais pas à Gueugnon. Ils rouleront sur cette voie accidentogène nommée la route Centre-Europe Atlantique (RCEA), reliant l’Hexagone d’Est en Ouest. Après avoir slalomé entre les camions et dépassant sur plusieurs bornes autant de bâtiments que sur une seule rue de Paris, les petits axes routiers déserts, entourés de prés et de bois, guideront ce beau monde vers la fin du trajet. Avec, en point d’orgue, les très voyants faisceaux lumineux jaillissant de Jean-Laville tels des clubbers en route pour une discothèque de campagne.
Champêtre, mais bel et bien réel, ce panorama précis accueillera ce soir l’affiche la plus inattendue des quarts de finale de Coupe de France, entre Moulins et l’un des outsiders à la montée en L1, Angers. Cette rencontre délocalisée de l’Allier voisin répond aux normes inviolables de la Fédération pour une rencontre de ce niveau. Comme pour Carquefou, Quevilly, Bourg-Péronnas ou Calais autrefois. Pour parer à cette équation, le club géré par les frères Benoît et Vincent Rondet ne s’est pas cassé la tête, choisissant le plus propice des stades en matière d’événement déplacé. Une question de proximité aussi, les deux villes étant distantes de 80 km. L’affluence attendue serait supérieure à 9 000 personnes ce soir, majoritairement derrière l’ASM. Un choix plein de sécurité surtout, comme l’explique l’adjoint aux sports Christophe Trivino, portier gueugnonnais entre 1974 et 1981, en D2, père de Richard, lui aussi gardien de but forgeron vainqueur de la Coupe de la Ligue en 2000 : « Vous savez, Gueugnon est un petit village gaulois, comme on dit ici. On est en plein centre de la France. Autrement dit, question tranquillité… Et ça, la tranquillité, les instances préfèrent. »
Plus confortable que Furiano ou Ange-Casanova…
Grâce au bon contact entretenu avec le monde du football par Christophe Trivino, à ce calme rural et un tarif de location low-cost – 10 000 € normalement, prêt généreux ce soir pour Moulins – l’enceinte de 14 500 places accueille fréquemment des matchs délocalisés depuis quelques années. Outre un match de l’équipe de France espoirs contre l’Ukraine en 2009 et l’épopée, toujours en Coupe, du FC Montceau-Bourgogne en 2007 et les venues de Lens, Bordeaux et Sochaux devant une belle foule, Jean-Laville a vu six matchs de L1 et de L2 se produire sur sa pelouse impeccable en 2012-2013. Une solution de repli de choix pour le SC Bastia et le Gazélec Ajaccio confrontés à la suspension de leur antre. Et ce d’autant plus que Jean-Laville n’a rien à envier à Furiani ou Ange-Casanova en matière de confort et de structures, bien au contraire, alors que son club résident, le FC Gueugnon, est tombé bien bas depuis la liquidation en 2011 et la descente administrative en DH.
Si l’aire de jeu bordant la plaine du Vieux-Fresne n’a pas toujours ressemblé à ce qu’elle est aujourd’hui, avec ses vestiaires trois étoiles, son espace presse qui accueillera comme un gant les caméras d’Eurosport ou ses espaces et son salon Bourgogne pour accueillir les VIP, elle a en fait pris le pli du professionnalisme au moment où le FC Gueugnon a fait venir la France entière du foot chez lui, comme s’en souvient Michel Berthommier, ancien joueur du cru aujourd’hui vice-président du FCG, retombé en CFA2 : « Le premier électrochoc a été la montée du club en D2 en 1971. Nous avons alors vu la pose de grillages de sécurité, d’une couverture sur les gradins et des pylônes électriques pour jouer en nocturne, ce qui a beaucoup changé les habitudes en matière de football ici à l’époque, puisqu’on jouait le dimanche après-midi. Puis, l’autre tournant, c’est la montée en D1 en 1995. Après la tribune Est cette année-là, nous avons construit la tribune Ouest en 2003, avec 4500 places assises, puis la tribune Nord, qui accueille le siège du FCG et les salons, en 2008. »
… Mais un outil sous-utilisé
Comme une éclaircie dans le brouillard de la CFA2 pour la ville et les fidèles du club, cette parenthèse enchantée va générer de l’effervescence à plusieurs niveaux aujourd’hui dans cette ancienne cité industrielle. « C’est bien simple. Avec une population présente au stade supérieure à celle de la ville, les commerces vont faire de bonnes affaires. Il va y avoir du monde dans les cafés, les restaurants, et quelques nuits d’hôtel sont réservées » , souligne à juste titre Christophe Trivino, l’adjoint aux sports en ballottage favorable avec sa liste pour le second tour des municipales ce dimanche. Michel Berthommier voit quant à lui l’occasion pour le FCG de revivre les grandes soirées d’antan pour son équipe et son institution, quand bien même l’organisation de la partie revient au club recevant : « La municipalité loue le stade et les bénévoles du FCG aident Moulins à la mise en place, pour les protocoles, la réception des officiels, etc. Moyennant une part sur les recettes des buvettes. Les clubs corses, avec lesquels on avait aussi fonctionné de la sorte, avaient été très contents de notre accueil et nous avaient envoyé du matériel en remerciement l’an passé. »
Pour le reste, la tristesse regagne la cité dès lors qu’une affiche de CFA2 se déroule ici, devant des gradins trop vides, « avec des joueurs du camp visiteur qui se prennent en photo avant l’échauffement tellement ils sont surpris de jouer dans des structures de cette qualité » , dixit Michel Berthommier, qui a vu la chose plusieurs fois cette saison, avec Chambéry, Bourges ou Andrézieux par exemple. Car Jean-Laville est aussi sous-utilisé qu’une salle de concert new look posée au milieu de rien. Le budget pour l’entretenir annuellement s’élève à 300 000 € selon une source locale bien informée sur la question, qui ajoute : « Le maire ne va pas le dire, mais en off, cette question du stade l’emmerde vraiment. » Car pour Gueugnon comme pour d’autres, à moins d’un miracle sportif en termes de renaissance ou l’arrivée d’un mécène à large portefeuille, se pose désormais la question du devenir de ces arènes sans grande utilité au quotidien. Et Christophe Trivino, lucide, de conclure sur cette interrogation : « Un stade, on ne peut pas le mettre sur roulettes et le déplacer. Or, on oblige les clubs à investir dans des infrastructures importantes, alors que tous les ans, ces mêmes clubs ne sont pas à l’abri d’un couac et d’une chute avec les aléas sportifs et financiers. Ne peut-on pas faire autrement ? »
Arnaud Clément