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Jean-Jacques Bourdin : « C’est plus difficile d’interviewer un sportif qu’un politique »
Vendredi soir, les auditeurs de RMC entendront une voix inhabituelle sortir de leurs enceintes grésillantes. Eh oui, le matinal Jean-Jacques Bourdin viendra passer une tête du côté du stade de France et commentera France-Colombie en direct. Un retour aux sources pour celui qui a commencé sa carrière comme journaliste sportif, et qui est aujourd'hui parrain du Nîmes Olympique. L'homme qui fait bégayer les politiques revient sur quelques décennies de passion et ouvre la boîte à souvenirs. Parce que les Français veulent savoir.
À peine sorti de quatre heures de direct et d’une interview avec Édouard Philippe, Jean-Jacques Bourdin se pose dans l’un des fauteuils rouges des locaux de RMC. La poignée de main qu’il offre en demandant « Comment allez-vous ? » est franche, et il suffit de répondre « Bien, et vous ? » pour que l’homme au micro rétro lance la machine. « Ça va très bien, on a gagné hier soir » , parade-t-il en parlant de la victoire du Nîmes Olympique contre Brest. Et cette interview du chef du gouvernement, elle s’est passée comment ? « Bien aussi, mais ça, c’est secondaire. Nîmes, c’est bien plus important que le Premier ministre. »
Le 12 juillet prochain, on fêtera les vingt ans de France 98. Et le 12 juillet dernier, vous receviez dans votre émission Bernard Berthouloux et Julien Reniers, le sélectionneur et le capitaine de l’équipe de France de football-fauteuil, qui venait d’être championne du monde. Pourquoi eux ? Vous avez peu l’habitude de recevoir des sportifs.Oui, c’est très rare. Je ne me souviens plus très bien de ce moment d’ailleurs, mais c’était pour marquer le coup. Ici, on est évidemment très portés sur le football, très attentifs à ce qu’il se passe. Mais j’accueille rarement des sportifs, car le rendez-vous est très connoté politique. Peut-être que je recevrai Didier Deschamps avant ou pendant la Coupe du monde, ce n’est pas impossible.
Il y a ce France-Colombie qui arrive, et que vous allez commenter. Comment vous êtes-vous retrouvé au casting ?Je suis au casting pour la première fois depuis tellement longtemps… C’est moi qui ai voulu commenter ce match, pour vivre ce que j’ai vécu il y a bien longtemps et puis pour me replonger dans ce bain. Mais je serai modeste à côté de Jean Rességuié. Il y aura aussi Lionel Charbonnier. Jean est tellement fort dans la description, il va tellement vite, que je serai évidemment dépassé par son allure. Je ne sais pas ce que je vais pouvoir apporter, je n’ai pas encore vraiment réfléchi.
Mais pourquoi vous avez eu cette envie soudainement ? Pourquoi maintenant ?L’idée est venue parce que ça m’excite, c’est un challenge, tout simplement. Et la Coupe du monde approche, c’est l’opportunité. La prochaine aura lieu dans quatre ans et je ne suis pas certain que, dans quatre ans, je serai encore ici à faire ce que je fais. Peut-être que je ferai autre chose. Donc c’est l’occasion ou jamais.
Vous avez commencé à réviser ?Pas encore, mais je vais le faire. Je vais me mettre à étudier l’équipe colombienne, que je connais peu à part Falcao et James Rodríguez. C’est un peu juste !
Et l’équipe de France, vous la connaissez mieux ?Oui, mais je vais réviser aussi pour en savoir un peu plus sur les joueurs et apporter des anecdotes si je peux.
Je trouve que la liste est pas mal, il fait entrer dans le groupe des joueurs dont on ne parlait pas, Hernandez, des joueurs comme ça, je trouve que c’est bien. On a des faiblesses sur les côtés et à l’arrière, donc il faut tenter. Pourtant, Didier Deschamps, c’est un conservateur. Mais là, il surprend et j’aime bien. Ben Yedder, je ne l’ai pas vu jouer, donc je ne sais pas ce qu’il vaut. Mais il a l’air très efficace. On verra s’il est complémentaire avec Griezmann.
Si vous reprenez goût au commentaire sportif, on peut vous imaginer commenter d’autres matchs, voire la Coupe du monde ?Si l’équipe de France va loin, j’irai probablement faire une ou deux émissions en direct depuis la Russie. Mais je n’irai pas là-bas en tant que commentateur !
Il n’y a rien de plus clivant que le football, et les commentateurs sportifs passent leur vie à être critiqués. Vous n’avez pas d’appréhension ?J’aime ces débats, et dans ce métier, il y a longtemps que je n’ai plus d’appréhension. Donc non. Je sais que de toute façon, je m’expose. Mais bon, ce qui compte, c’est le match, pas moi. Moi, je suis secondaire. Je vais me rendre là-bas comme ça, je passe. Je passe et je vais raconter.
Nous sommes à l’été 1982. Vous avez 33 ans et vous êtes en Espagne pour couvrir le Mondial pour RTL. C’était comment ?Ah, c’était exceptionnel ! On a commencé cette Coupe du monde en perdant contre l’Angleterre à Bilbao 3-1, on s’est dit que c’était foutu. Et ensuite on bat le Koweït dans des conditions… Avec l’émir qui descend sur le terrain, enfin bon, c’était folklorique. Et puis on se qualifie, et on se retrouve en demi-finale contre l’Allemagne avec ce match incroyable à Séville. Incroyable, incroyable… Et puis voilà… On a été éliminés.
Comment on reste journaliste quand on commente le France-Allemagne de Séville en direct à la radio ?Très difficile. Qu’on soit supporter ou pas, il y a une agression du gardien allemand sur Battiston, donc on ne pouvait pas ne pas être… Mais je n’aime pas trop la partialité, même dans le football. Je suis parrain du Nîmes Olympique, et je suis évidemment derrière mon équipe, mais si l’équipe est moins forte, je le reconnais. Mais contre les Allemands, on était plus forts !
L’arbitrage était discutable, mais l’arbitrage, l’arbitrage… Il est un coup favorable, un coup défavorable. J’ai horreur qu’on mette en cause les arbitres. Que les arbitres se remettent en question, c’est une chose. Mais que nous, on les remette en question, c’en est une autre. À eux de le faire. Les arbitres responsables, les meilleurs arbitres, savent se remettre en question. Après France-Allemagne, j’avais de la colère, du regret, mais c’est tout, ça s’est arrêté là. On est battus, on est battus. Il y a plus grave dans la vie, même qu’une demi-finale de Coupe du monde. Je crois qu’il faut relativiser le football, vraiment. Relativisons.
Les années 1980, c’était comment ? Vous aviez une coiffure à la mode ? Une chemise bariolée ? Et le monde du football, il ressemblait à quoi ?J’avais les cheveux longs, bouclés. Ah ouais, ouais, ouais, j’étais complètement comme ça. J’étais très ami avec Jean-François Larios, et il y avait cette opposition entre lui et Platini. Et je me souviens d’une anecdote que Jean-François ne raconte pas dans son livre qui est sorti il y a peu. Après le match contre l’Angleterre à Bilbao où il était titulaire, Michel Platini avait demandé à Hidalgo de ne plus le sélectionner pour des raisons extra-sportives. Jean-François était totalement déprimé, et je me souviens d’être un soir allé le chercher à l’hôtel de l’équipe de France. Il a fait le mur à minuit, et nous sommes allés passer la nuit ensemble dans des bars de Valladolid jusqu’à 6 heures du matin, et je l’ai raccompagné à son hôtel. Il y avait beaucoup moins de journalistes, on vivait avec les footballeurs. C’était un autre monde.
Ça donnait du contenu de meilleure qualité ?Non, mais ce qu’on écrivait et ce qu’on disait était essentiel. Il n’y avait pas les réseaux sociaux, il n’y avait pas cette multiplicité de médias. Il y avait quatre radios à l’époque, donc ce qu’on disait était très suivi.
Vous aimiez déjà faire des interviews à l’époque ?J’ai fait beaucoup de commentaires de match. Ma première spécialité, c’était le rugby. J’ai aussi fait six Tours de France, les Jeux olympiques de Moscou en 1980, et beaucoup de matchs de football, en Coupe d’Europe et en championnat. Et les interviews, ça me plaisait déjà, mais c’est plus difficile d’interviewer des sportifs que des hommes politiques.
Ils sont moins loquaces. Je retrouve la même langue de bois, mais il n’y a pas de malice chez le joueur de football. La malice des politiques, on peut aller la dénicher, la débusquer. Alors qu’il y a beaucoup de naïveté chez un footballeur. Pas chez tous, évidemment. Il faut arrêter de penser que les footballeurs sont tous des abrutis, il y en a qui sont formidables et qui ont beaucoup de choses à dire. Mais il y en a certains qui sont naïfs dans leur expression. Et j’ai des souvenirs de Robert Herbin qui entraînait Saint-Étienne, il répondait toujours par oui ou non. C’était infernal en interview. On lui posait une question, il disait oui ou non. Il fallait avoir trois questions en réserve derrière si vous vouliez obtenir quelque chose. J’ai connu ça avec Bernard Hinault aussi, il était très peu loquace, très fermé.
Vous allez retrouver le monde du football après une longue coupure, et il a bien changé. Est-ce qu’il y a des aspects qui vous dérangent dans le football d’aujourd’hui ? La place de l’argent, par exemple.Je ne me retrouve pas toujours dans les comportements. Mais il faut de l’argent dans le football, sinon il n’y aurait pas de football professionnel. Le football, c’est quoi ? C’est une entreprise de spectacle. Mais une entreprise de spectacle ne veut pas dire qu’on écrabouille des principes. Moi, je n’aime pas le comportement de certains clubs ou de certains joueurs. Quand j’ai vu ce qu’il s’est passé en Ligue 2 vendredi dernier quand deux joueurs d’Auxerre se battent sur le terrain, je ne peux pas comprendre ça. C’est inadmissible. Si j’étais président d’Auxerre… C’est ce que j’appelle une faute professionnelle, ils ont des contrats de travail. Quand on a un contrat de travail, eh bien on se comporte au travail comme tout salarié, ça me paraît logique.
Et vous ne sentez pas ce fossé générationnel qui fait que certains sont dérangés par les coupes de cheveux des joueurs, leurs habits clinquants, ou ce genre de choses ?Je n’aime pas entendre « c’était mieux avant » . L’état d’esprit était à peu près le même qu’aujourd’hui, il ne faut pas se leurrer. Il y avait moins d’argent, il y avait d’autres enjeux, mais ça n’a pas beaucoup changé. Mais les coiffures des joueurs, pffff… Il faut évoluer avec son monde, ça ne me choque pas du tout. Il n’y a qu’un truc qui m’énerve un tout petit peu, c’est quand les joueurs s’isolent trop, quand ils gardent leur casque sur les oreilles. Mais ça, ils le font moins maintenant. Je pense qu’on doit avoir de la tenue quand on est footballeur professionnel, parce qu’on est un exemple. C’était vrai il y a trente ans, ça l’est encore aujourd’hui.
Il y a un joueur actuel que vous rêvez d’interviewer ?Non.
Et les intervieweurs, vous en pensez quoi ? On voit parfois des choses pas possibles. Je ne veux pas citer de nom, mais bon, Paganelli quoi…Oui, il n’a jamais posé une question dérangeante. Mais il est dans son rôle, on lui demande ça. Je n’ai rien contre lui. Il participe à un spectacle, Paganelli. En plus, il interviewe avant le match, pendant, après. Ce ne sont pas les meilleures conditions pour mettre en déséquilibre un grand sportif. Mais parfois, c’est amusant. Je ne porte aucun jugement là-dessus. Franchement, ça ne me gêne pas.
Parlons du Nîmes Olympique, votre club de toujours. Plus jeune, vous alliez voir tous les matchs au stade. Vous avez gardé quels souvenirs de cette époque ?Le premier match de football que j’ai vu, c’était un Nîmes-Reims, avec mon grand-père. C’était il y a tellement longtemps, j’étais gamin, en 1960.
J’ai connu l’ancien stade, le nouveau, puis j’ai pris un peu de distance avec le Nîmes Olympique. Mais j’ai toujours suivi, accompagné, et encouragé l’équipe. Et maintenant, je me suis rapproché du club et du projet. Je me souviens de l’époque, c’était un stade particulier, le stade Jean-Bouin. Un petit stade, le public tombait sur la pelouse. Les tribunes étaient très proches de la ligne de touche, il y avait un mètre, vous étiez avec les joueurs sur le terrain. Il y avait une ambiance exceptionnelle. Aujourd’hui, ce n’est plus pareil, il y a plus de distance. Mais à Nîmes, il y a quand même un esprit football indéniable. Si on monte en Ligue 1, il y aura une ferveur populaire exceptionnelle. J’en suis persuadé, tout le monde va s’enflammer.
Quels joueurs vous ont marqué ?Ah, il y en a plein… Des grands joueurs, des étrangers, des joueurs que j’ai adorés. Gianni Rivera… Moi, j’aimais les artistes, je ne sais pas qui je peux vous citer, il y en a tellement. À Nîmes, il y avait un joueur exceptionnel qui n’a pas fait carrière, il s’appelait Jean-Marie Marcellin. Personne ne le connaît. Il était exceptionnel techniquement, mais un peu nonchalant. Je suis persuadé qu’il ne s’est jamais donné les moyens. Il jouait numéro 8. Je ne sais pas du tout ce qu’il est devenu. Mais à Nîmes, il y a eu des joueurs formidables. En 1971-1972, lorsqu’on termine deuxièmes du championnat derrière l’OM, il y avait une équipe formidable.
Et balle au pied, vous donnez quoi ?J’étais moyen, très moyen. Je jouais avant-centre, j’étais rapide, assez physique, mais un peu limité techniquement. J’ai beaucoup joué avec une équipe, les Cheminots d’Alès, puis un peu à l’OAC. On jouait dans un championnat avec les communes autour et physiquement, c’était très dur. Les coups pleuvaient tous les dimanches ! Mais j’aimais ça, j’adorais ça. Je n’avais pas peur, j’allais vite, je marquais pas mal de buts, mais pas sur des exploits techniques. J’avais une bonne frappe, je n’étais pas mauvais de la tête, j’étais le prototype même de l’avant-centre qui allait toujours au contact.
Vous êtes parrain du Nîmes Olympique. Comment êtes-vous arrivé à ce poste et en quoi consiste votre rôle ?C’est l’ancienne équipe dirigeante qui a disparu, et c’est une bonne chose pour le club, qui est venue me chercher. Quand le scandale a éclaté (une affaire de matchs truqués qui a éclaté en 2014, ndlr), j’étais très embêté et heureusement que Rani Assaf était aussi engagé comme moi dans le club.
Il l’a repris en main et je l’ai suivi. Depuis, on est très proches. J’aide le club dès que je peux. Avec Rani, on se dit les choses. On aime ce club, je connais ses projets, il me demande conseil, on en parle. Si je peux aider sur des transferts… Par exemple, Del Castillo qui a été prêté par Lyon cette année, c’est moi qui l’ai fait venir à Nîmes. Il devait partir à Brest et j’ai appelé Jean-Michel Aulas pour lui demander s’il pouvait nous le prêter. Voilà, comme ça, dès que je peux donner un coup de main. Là, c’est vrai que c’est grâce à moi.
Vous êtes proche des joueurs ?Bien sûr. Je vais sans arrêt dans le vestiaire.
Ils réagissent comment quand ils vous voient débouler ?Ils disent bonjour, il y a du respect. Mais en même temps, ils savent que je suis derrière eux, avec eux, et ils savent ce qu’ils sont en train de vivre. C’est ce que je leur ai dit. Vivre une montée en Ligue 1, ça n’arrive qu’une ou deux fois dans sa carrière, donc profitez de ce moment. Si vous y arrivez, vous allez vivre un moment exceptionnel de ferveur populaire, de satisfaction du travail accompli, et vous allez préparer une saison suivante qui va être enthousiasmante. Donc il faut se donner les moyens de la vivre, et ils le font. S’ils font les résultats qu’ils font, c’est qu’ils ont conscience de ça. Franchement, je suis optimiste. Je pense qu’on va être difficiles à aller chercher.
Donc la saison prochaine, on vous voit au Parc des Princes pour commenter PSG-Nîmes ?Ah ça, je peux vous dire que s’il y a PSG-Nîmes, je ne sais pas si je le commenterai, mais j’y serai !
Bon, pour terminer, voyons si vous êtes au point pour vendredi. Combien pèse un ballon de football, monsieur Bourdin ?Alors là… Combien ça peut peser ? Attendez… Deux kilos ?
Non. Entre 410 et 450 grammes !Seulement ? Gonflé ?
Eh oui. Allez, une dernière. Combien mesure un but de football ?En largeur, 7 mètres 32.
Exact ! Et en hauteur ?2 mètres 12, un truc comme ça.
2 mètres 44.Voilà. 7 mètres 32 en largeur, et 2 mètres 44 en hauteur.
Propos recueillis par Alexandre Doskov