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Jean-Baptiste Giniès : « Il y a peu de chances pour Amiens et les autres d’en sortir gagnant »

Propos recueillis par Florent Caffery
7 minutes
Jean-Baptiste Giniès : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Il y a peu de chances pour Amiens et les autres d’en sortir gagnant<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Amiens, Toulouse, Lyon... Quelques équipes de Ligue 1 s'estiment lésées et envisagent des recours pour contester l’arrêt du championnat. Pendant que ça chouine de part et d’autre, Jean-Baptiste Giniès, avocat du droit du sport au barreau de Montpellier, décortique, point par point, les schémas possibles pour que la Ligue fasse machine arrière. Et ce dernier se fait peu d'illusions pour les victimes du moment.

Amiens, Toulouse et Lyon s’activent de partout pour contrecarrer la LFP. Concrètement, où cela peut les mener ?Que ce soit Amiens, Toulouse ou Lyon, ceux qui sont en difficulté aujourd’hui ont le droit d’attaquer les décisions prises par la LFP. Il va y avoir deux voies de recours possible. La première est celle en excès de pouvoir. Amiens, par exemple, va attaquer la Ligue en disant que la décision du conseil d’administration de valider le classement et de stopper le championnat est illégale. C’est-à-dire que la LFP aurait abusé de son pouvoir pour prendre cette décision et qu’elle serait injuste. Ses dirigeants vont donc passer par les commissions internes de la Ligue, notamment la commission d’appel. S’ils perdent, il y aura ensuite un recours préalable devant le CNOSF (Comité national olympique et sportif français, N.D.L.R.). A priori, la FFF (qui délègue à la LFP l’organisation des championnats professionnels, N.D.L.R.) est saisie à ce moment-là. Devant le CNOSF, le club émettra des propositions à la commission de conciliation. Le CNOSF n’a pas autorité sur la chose jugée. Il y a débat. Après, soit le conciliateur rejette la demande, soit il accepte et soumet cette proposition à la Ligue et la FFF qui ont le droit de refuser.

S’ouvre alors un nouveau volet…Ensuite, on parle de recours devant une juridiction administrative, en l’occurrence le tribunal administratif de Paris qui est sur le territoire de la Ligue et de la FFF. Là encore, il y a une dichotomie à opérer. Il y a la voie classique et celle d’urgence que l’on appelle référé. Le référé-suspension peut aboutir à la suspension de l’acte de stopper les championnats. La procédure, au fond, sera jugée bien plus tard. Amiens et Toulouse n’ont pas envie de descendre, ils veulent que ce soit tranché au plus vite. Si le club obtient gain de cause, le juge administratif annulera la décision de la Ligue de stopper le championnat et l’enjoindra à prendre une nouvelle décision sur une base légale.

La voie classique prendrait plusieurs mois au moins, non ?Voire même un an. C’est l’exemple de Luzenac qui avait finalement obtenu gain de cause sur sa montée en Ligue 2, deux ans et demi après la décision de la LFP. Le club avait perdu en référé, mais avait eu un jugement en sa faveur sur le fond, longtemps après.

Et si Amiens perd à nouveau au tribunal administratif ?Il reste une dernière étape, l’appel du référé en saisissant le Conseil d’État. Il y aurait une réunion d’urgence, et étant donné les circonstances actuelles, ça devrait être réglé avant juillet. C’est très compliqué parce qu’il y a des délais très courts et en même temps des enjeux très importants. Et puis, avec le confinement, le contexte judiciaire n’est pas évident. Il y a des décisions rendues en ligne, mais le contexte n’est pas favorable aux clubs, c’est certain.

La deuxième possibilité pour les clubs contestataires est de réclamer des dommages et intérêts…C’est l’autre recours possible, oui. Jean-Michel Aulas en a parlé. Nous sommes avec les mêmes acteurs, mais c’est une procédure totalement autre que la contestation de l’arrêt du championnat. On parle de recours indemnitaire ou plein contentieux. On demande au juge qu’il accepte notre recours indemnitaire. Tout part de là. S’il refuse, le contentieux sur ce recours démarre devant le tribunal administratif et les débats sur la légalité de l’acte et la demande de dommages et intérêts ont lieu. Le but est d’obtenir réparation pour la perte de chance notamment, c’est-à-dire

En tant que juriste et avocat, je suis obligé de dire que tout est possible. Le juge a un rôle de contrôle des actes. Mais au regard du contexte actuel, c’est l’intérêt général du football qui risque d’être pris en compte.

ne pas avoir eu l’opportunité de finir à une meilleure place qui ne conduit pas à une rétrogradation et/ou à une perte financière liée au classement, droits TV, sponsors, etc.

La Ligue explique avoir pris cette décision de tout stopper dans l’intérêt général du football français. Pensez-vous vraiment qu’Amiens, Toulouse et Lyon peuvent avoir une possibilité d’obtenir gain de cause ?En tant que juriste et avocat, je suis obligé de dire que tout est possible. Le juge a un rôle de contrôle des actes. Mais au regard du contexte actuel, c’est l’intérêt général du football qui risque d’être pris en compte. Ça, combiné à la situation sanitaire, je pense qu’il y a peu de chances pour Amiens et les autres d’en sortir gagnant. Mais il peut y en avoir.

Comment ?À partir du moment où l’axe pris par Amiens ou Toulouse, par exemple, est celui d’une décision mal fondée, pas suffisamment justifiée en droit. On ne peut pas juste écrire « selon moi, en raison de la crise, on arrête tout ». Suivre le gouvernement, c’est bien, mais il faut donner une base légale à cette décision de la LFP de tout arrêter. Dans les situations d’urgence, il faut que l’État reste proportionné et n’outrepasse pas ses compétences. Il faut de la pédagogie juridique pour que l’ensemble des acteurs du monde pro, joueurs comme dirigeants, comprennent la légalité de cette décision.

C’est aussi pour ça que le gouvernement planche sur une mesure législative (qui devrait être présentée ce mercredi 6 mai) pour consolider ce choix de tout stopper ?La ministre des Sports (Roxana Maracineanu) en a parlé la semaine dernière. C’est un projet de loi ou une ordonnance. Il faut qu’elle soit très bien rédigée, qu’elle n’interdise pas un recours. Il faut que ce soit extrêmement cadré et contextualisé par ce que l’on vit en ce moment. L’objectif de cette loi est de priver de fondement les recours qui pourraient être faits. On va dire : « Vous pouvez faire des recours, mais en raison de ce texte que l’on vient d’adopter, votre recours tombera à l’eau… » On ne privera pas du droit au recours, mais on privera d’un résultat à ce recours. C’est embêtant, mais ça légitime les décisions qui sont prises.

Tout effet pervers de cette mesure législative doit aussi être évité, non ?Ça doit vraiment être lié uniquement à la saison 2019-2020 pour ne pas qu’elle soit réutilisable autant qu’on le souhaite à l’avenir.

Une décision du tribunal administratif ou du Conseil d’État en faveur des clubs contestataires ferait jurisprudence et serait un très mauvais signal également…L’engrenage ne s’arrêterait plus. Si le juge administratif ou la Ligue revenait sur sa position, cela créerait une instabilité énorme. Ensuite, on pourrait dire « tel club ne monte pas parce qu’il a fait jouer un joueur non autorisé ou encore d’autres choses particulières… » Ce n’est pas possible. Le recours doit exister, mais il ne faut pas que la Fédération ou la Ligue perde son socle légitime pour l’avenir. Si la décision est bien argumentée, la Ligue sortira plus forte de cette période.

Agiter l’opinion publique, est-ce la dernière carte abattue par les dirigeants amiénois ou encore lyonnais ?Clairement. Sachant que la LFP et le gouvernement ont adopté des positions très fermes, il est clair qu’alerter l’opinion publique et pas seulement en France, mais aussi en Europe, c’est une forme de lobby. Est-ce que ça aura un effet ? Je ne pense pas. Mais l’objectif de cette manœuvre est peut-être d’éviter le recours indemnitaire et de pouvoir obtenir un dédommagement adopté par la Ligue. L’idée est de récupérer des fonds pour limiter la casse. Forcément, pour Amiens, la descente en Ligue 2 n’est pas une bonne chose. D’où la menace des recours. Mais compte tenu de la situation financière actuelle, ça me paraît très compliqué.

Personnellement, en tant qu’avocat du droit du sport, il n’y a pas mieux comme période pour bosser…Je ne vais pas dire que c’est un rêve vu les circonstances, mais c’est évident que chaque jour, des questions de droit se posent. Ça fait une publicité au droit du sport qui est une matière à part entière. On dit souvent que ce sont des droits appliqués au sport, mais c’est un secteur qui prend de plus en plus d’importance. Tous les jours, j’essaye de trouver des réponses, c’est très stimulant. Y compris en matière de contrats de joueurs, de sponsoring, c’est un lot de problématiques sans précédent.

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