- Coupes d'Europe
Je t’aime comme un but à l’extérieur qui compte double
Alors que le huis clos généralisé a presque fait disparaître l'avantage de jouer à la maison, l'Europe du foot penche de plus en plus vers une suppression du fameux « but compte double » à l'extérieur. Il serait temps d'arrêter de déconner, et de sauver ce qui reste à sauver dans notre patrimoine foot.
Les anti-romantiques du football ne laisseront pas un mètre de terrain à leurs ennemis. Ils ont déjà pris le foot sans vidéo, tuent à petit feu les joueurs ne rentrant pas dans le moule et s’apprêtent à désosser la Ligue des champions que l’on aime en planchant en même temps sur une Superligue qui n’a de super que le nom. Et voilà qu’ils s’attaquent maintenant à l’un des piliers des soirées de milieu de semaine, la règle du but à l’extérieur. Oui, le règlement particulier des buts inscrits en prolongation donne plus mal à la tête qu’autre chose et mériterait un petit coup de polish. Mais faire totalement sauter ce concept ancestral (la Coupe des villes de foire y avait déjà droit) serait une aberration.
La prolongation, parlons-en. Ce moment de tension ultime entre deux formations se tirant dans les pattes doit rester un moment rare sur la scène européenne, d’autant que 180 minutes de combat en C1 ou C3 offrent déjà une bonne dose d’adrénaline. Ceux qui souhaitent des matchs à rallonge comme s’il en pleuvait peuvent se concentrer sur la Coupe d’Italie et la Copa del Rey, ou bien attendre patiemment les beaux jours des tournois internationaux (Euro, CAN, Copa América, Mondial, Gold Cup). Plus de prolongations, ce sera aussi plus de moments de solitude. Comme celui connu en mars par Sérgio Conceição, lequel avait eu droit à une conférence de presse express, car tout le monde était déjà parti roupiller après un combat de 120 minutes. Hormis en finale, les plus grands moments de la C1 ont rarement été offerts lors d’un extra-time, mais plus souvent dans le temps réglementaire des matchs retours au moment où chacun sort sa calculette pour savoir combien de pions nécessitent d’être envoyés au fond.
Qui veut d’un football où les meilleurs gagnent ?
Sans cette fabuleuse subtilité de règlement, Paris aurait eu des chances de passer à la trappe face au Bayern cette semaine. Le monde s’en serait donné à cœur joie pour expliquer que Keylor Navas, avec ses trois buts encaissés en deux matchs, était en fait une pompe à vélo. Toujours cette saison, les amateurs de ballon n’auraient sans doute pas eu droit à la surprise Porto face à la Juve. Comme si marquer deux fois sur la pelouse du nonuple champion d’Italie en titre ne méritait pas une petite récompense. Il y a deux ans, le Tottenham de Mauricio Pochettino aurait probablement pris la porte dès les quarts et le rouleau compresseur citizen aurait peut-être été l’attraction de la saison. Mais qui veut d’un football où les meilleurs gagnent ?
Le fameux but à l’extérieur… ? #ASRoma #UEL #AjaxRoma pic.twitter.com/mXcERNQ221
— AS Roma Français (@ASRomaFRA) April 8, 2021
Il faut le concéder : les délocalisations à Budapest, Bucarest ou Séville, ainsi que les huis clos font qu’un match à l’extérieur n’en est plus vraiment un en 2021. Mais le retour des supporters dans les stades est-il si loin, pour penser que l’avantage d’évoluer à domicile n’existera plus jamais ? Le jour où les doubles confrontations deviendront deux oppositions totalement identiques sans contrainte ni paramètre, alors le match retour ne servira plus à rien et l’on pourra boucler chaque tour en 90 minutes. C’est le but à l’extérieur qui fait naître les frissons lorsqu’une équipe, acculée dans son camp sur une pelouse adverse, garde néanmoins à tout instant le pouvoir de faire basculer la partie sur la moindre saucisse balancée vers son avant-centre. Il faut d’ailleurs rappeler que sa première utilité était d’inviter les équipes à pouvoir se lâcher loin de leurs bases, avec la possibilité de quasiment faire coup double sur un éclair. Que se passera-t-il quand cette carotte aura disparu, qu’aurait été la remontada du Barça sans le but d’Edinson Cavani à l’heure de jeu ? La dramaturgie offerte ce soir-là en aurait pris un sacré coup. Oui, ce sport est cruel, injuste et vicieux comme un but du genou de Demba Ba à la 87e : bienvenue dans le monde réel. Mais qui veut d’un football sans pleurs ?
Par Jérémie Baron