- Affaire Ruffier
- Interview Wilfried Rother
« Je suis impatient de voir M. Ruffier en Ligue Europa »
Modeste joueur de CFA2, Wilfried Rother est devenu le joueur amateur le plus sollicité de France depuis qu’il s’est pris le chou avec Stéphane Ruffier après une séance de tirs au but perdue contre Saint-Étienne. Au retour de l’entraînement, le joueur de Raon-l’Étape nous raconte comment il vit, malgré lui, ce passage de l’ombre à la lumière.
Alors, que s’est-il passé avec Stéphane Ruffier ? Qu’est-ce que vous vous êtes dit ?Déjà, Ruffier dit que j’ai eu des propos grossiers envers lui pendant le match. Lui étant gardien et moi défenseur central, il y a une distance qui nous sépare, et même sur les corners, je n’ai pas eu affaire à lui. À la fin de la prolongation, on rejoint le rond central avec deux coéquipiers et on croise Ruffier. Alors pour blaguer avec lui et pour détendre l’atmosphère, je lui lance : « Bon, celle-là, tu nous la laisses. » J’avais le sourire, je rigolais, mais lui n’a visiblement pas compris mon humour. Il se retourne et me dit : « Espèce de guignol, n’oublie pas de me regarder tous les jeudis en Ligue Europa. » Avec mes deux collègues on se regarde, un peu bouche bée, on ne comprend pas et on se dit : « À mon avis, il a mal pris le fait d’arriver aux penalties contre une équipe de CFA2 » , et ça peut se comprendre. Après, je suis passé à autre chose, on en a même pas reparlé dans le rond central. On avait une qualif’ à jouer, on était à deux doigts de faire l’exploit des 32es. Malheureusement, j’ai dû tirer un penalty et, vu ma précision, bah je l’ai loupé. Là, je suis à terre, abattu, je ne faisais même pas attention. Et je le vois qui s’approche et je l’entends me dire : « Espèce de guignol, rentre chez toi. » Et sur le coup de l’énervement, je l’insulte. À ce moment-là, l’arbitre vient me voir et me dit : « Numéro 5, ça ne sert à rien » , avec l’air de dire qu’il était coutumier du fait.
Donc au départ, tu ne prêtais pas trop attention à ce qu’il te disait, mais quand il revient pour te chambrer, tu as trouvé ça un peu déplacé de sa part.Je trouve que c’est un manque de classe. C’est le héros du match, entre guillemets parce qu’il a sorti le dernier péno, et moi, j’ai éliminé mon équipe. Il joue cinq divisions au-dessus, c’est un professionnel. À la limite, il serait venu, il m’aurait mis une tape amicale avec un petit « bien joué » , et puis voilà, on n’en parle plus, mais là, il vient me traiter de guignol !
Depuis hier soir, on parle beaucoup de cette histoire, Ruffier est devenu la risée des réseaux sociaux et les internautes prennent ta défense. Ça te fait quoi de te retrouver au milieu de l’actualité et de voir l’ampleur que ça prend ?Là… Ça me dépasse un peu. Ça a pris une telle ampleur ! Nous, on n’est pas habitués à recevoir des coups de fil tous les quarts d’heure. Aujourd’hui, je ne savais même plus quoi faire, donc je ne répondais plus aux appels. Il y avait la secrétaire du club dont je n’avais pas enregistré le numéro qui n’arrêtait pas de m’appeler et je ne répondais pas parce que j’avais peur que ce soit encore des journalistes. Finalement, elle m’a rassuré et elle m’a dit que j’avais juste à donner ma version des faits, donc autant leur répondre.
Tu trouves ça plutôt amusant d’être sollicité comme ça ?C’est un peu gênant parce que, malgré tout, ça fait couler beaucoup d’encre pour une petite histoire, mais pour moi, c’est amusant, parce que c’est la première et dernière fois que je ferai autant le buzz (rires).
Quel sentiment prédomine après le match ?On en parlait encore avec les mecs dans le vestiaire. On est déçus et même encore plus que déçus parce qu’on est passé tellement près… Après je pense que dans les prochains jours on pourra réaliser qu’on a fait un beau parcours et qu’on a tenu tête à une très bonne équipe de Ligue 1 mais là j’avoue qu’aujourd’hui on est déçus. Je n’ai pas dormi de la nuit parce qu’on se refait le match une dizaine de fois dans sa tête, alors difficile de trouver le sommeil.
D’un point de vue personnel, tu as fait tes classes à Troyes jusqu’à 22 ans, puis tu as bougé à Épinal et Raon-l’Étape. Ça te plaît de barouder comme ça ?Je ne sais pas si je suis un baroudeur (rires). En fait, j’ai passé toute ma formation à Troyes. À la fin, j’ai signé pro un an, puis j’ai resigné deux ans, et la première année, Troyes était en Ligue 1, donc ils m’ont prêté à Épinal. Je suis revenu à Troyes, mais à la fin de mon contrat, je suis parti à Istres. Ça s’est mal passé, on est descendus en National, et l’entraîneur m’a mis de côté en cours d’année. Donc je n’avais pas trop de propositions à la fin de la saison. Raon s’est proposé, et puis ma compagne travaille sur Épinal à côté, donc j’ai dit oui.
Tu es heureux à Raon, maintenant ?C’est sympa. On sent un club serein et plutôt bien structuré, malgré le fait qu’il soit en CFA2. On sent qu’ils essayent de faire le maximum pour les joueurs. Ils nous lavent même nos affaires, ça se voit qu’ils veulent être professionnels. Mais ça reste un club familial. On est très proches du staff, les présidents sont sympas avec nous… Tout va bien.
Et en dehors du foot, les Vosges, c’est sympa ?Alors, ça dépend pour qui (rires). Moi, j’aime bien, après c’est vrai que ça ne plaît pas à tout le monde, mais honnêtement je vous invite à y venir, ça a vraiment des côtés sympas. C’est un peu paumé et il fait souvent très froid, mais il y a de beaux endroits.
À Troyes, Istres ou Épinal, ça devait être assez professionnel à côté de Raon-l’Étape. Il y a des choses qui t’ont surpris au moment de retrouver la CFA2 ?Par rapport à Troyes, c’est sûr que ça change. Je savais qu’en allant à Raon, je n’allais pas retrouver le quotidien que j’avais à Troyes, mais bon, moi, ça me suffit. Je n’ai pas besoin de huit masseurs, ni de trois médecins tous les jours (rires). Mais ils font tout pour que notre quotidien soit amélioré et que les entraînements soient de qualité.
Comment tu vois l’avenir maintenant ?En dehors du foot, je continue mes études. J’ai eu un diplôme équivalent bac +2 en gestion et organisation sportive quand j’étais à Troyes et je continue une licence par correspondance en spécialité marketing maintenant. Ça serait pour être à la fois côté terrain et côté administratif. Pourquoi pas être directeur sportif ou chapoter un club un de ces jours. Autant assurer les arrières.
Tu espères quand même retrouver le haut niveau un jour ?Déjà, j’espère retrouver la CFA avec Raon. Et si le club se structure bien et qu’il y a des ambitions, je me vois bien rester. Je me sens bien dans ce club et dans cette région. On verra si des opportunités se présentent, mais le foot n’est pas derrière moi, même si je suis un guignol (rires).
Et un challenge à l’étranger, ça te tenterait ?J’ai jamais eu la possibilité de le faire, mais vraiment, pourquoi pas. Ça pourrait se faire. De toute façon, quand on a connu les Vosges, on peut tout connaître (rires).
Du coup, tu vas te consoler en regardant la Ligue Europa ?C’est sûr. Je suis impatient de voir le prochain match de M. Ruffier en Ligue Europa (rires).
Propos recueillis par Fausto Munz