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« Je ne vais pas prononcer « Müllaire », « Draxlaire » ou je ne sais quoi ! »

Propos recueillis par Ali Farhat
12 minutes
« Je ne vais pas prononcer « Müllaire », « Draxlaire » ou je ne sais quoi !<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Aujourd'hui sur beIN Sports après 20 ans à Canal+, Jean-Charles Sabattier présente avec toujours autant de passion et d'envie la Bundesliga, son championnat chéri. Normal pour celui qui a grandi dans le Berlin-Ouest des années 80 et qui n'a d'yeux que pour le Tennis Borussia.

Tu es arrivé très très tôt en Allemagne…Je suis né en France, mais en mars 1967, alors que j’avais un mois, mes parents ont emménagé à Berlin pour raisons professionnelles. J’y ai passé 25 ans, soit la moitié de ma vie. J’ai grandi à Tegel, dans le Nord (dans l’arrondissement de Rheinickendorf, ndlr). J’ai été à l’école primaire française, puis au lycée franco-allemand, qui était en fait le lycée international de Berlin.

C’était comment la vie à Berlin-Ouest ?C’était un îlot de bonheur, difficile à appréhender pour celui qui ne connaissait pas. Déjà, il y avait toute cette interrogation autour de la situation de Berlin, personne ne savait vraiment où ça se trouvait, alors que finalement, c’était beaucoup plus proche de l’URSS que de Paris. Beaucoup pensaient que ça se trouvait à la frontière entre l’Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est, alors que non, c’était une enclave à l’intérieur de l’ex-RDA. C’était une ville incroyable, avec un million et demi d’habitants, au taquet, ce qui fait que jusqu’à la chute du mur, je n’avais jamais connu les embouteillages ni les problèmes dans les transports en commun. De plus, de part sa configuration politique et géographique, c’était la ville la plus sûre du monde, avec les polices américaine, britannique et française en plus de la police allemande. C’est une ville qui a été obligée d’évoluer à partir de 1974, quand ils se sont rendu compte que ça devenait la ville la plus vieille du monde. Ils ont fait des lois pour que les jeunes puissent revenir, et il y avait une loi qui t’exemptait du service militaire si tu venais faire tes études à Berlin. À côté de ça, il y a une loi qui a été votée pour que les commerces puissent ouvrir 24/7, ce qui fait que Berlin est devenu une ville hype, et je me suis bien éclaté ! (Rires) Y a David Bowie qui est venu s’installer, Iggy Pop… Les boîtes, c’était la folie. C’était une ville qui bougeait en permanence, super agréable, des forêts, des lacs… Tu sais qu’on dit qu’il y a plus d’eau et de ponts à Berlin qu’à Venise ? C’était difficilement compréhensible pour celui qui n’y vivait pas, notamment en raison de la complexité qu’il y avait pour y entrer et en ressortir. C’était un vrai abattage de papiers, tu ne pouvais pas décider du jour au lendemain de te barrer.

J’avais beau avoir un nom français, des papiers français, je pensais comme un Allemand. Il m’a fallu du temps. Il faut dire que Berlin, c’est une ville qui ne te lâche jamais, quand tu l’as dans la peau, tu l’as vraiment dans la peau.

Tu as quitté la ville bien après la chute du mur, non ?Mes parents ont quitté Berlin en 1995. Moi, j’étais venu faire mes études en France, mais je retournais à Berlin dès que j’en avais l’occasion. Tous mes amis étaient là-bas.

Ça a dû te faire bizarre de te retrouver dans un pays dont tu es ressortissant, dont tu maîtrises la langue, mais qui n’est pas le tien, au final.

Oui, surtout quand tu te retrouves à Paris, qui est une ville très particulière, qui est plutôt dure socialement. Il faut savoir s’intégrer à Paris, s’y faire des relations. Les premières années étaient compliquées, je n’avais que Berlin en tête. J’avais beau avoir un nom français, des papiers français, je pensais comme un Allemand. Il m’a fallu du temps. Il faut dire que Berlin, c’est une ville qui ne te lâche jamais, quand tu l’as dans la peau, tu l’as vraiment dans la peau. J’ai beau être tout à fait intégré à Paris, aujourd’hui encore, je lis des journaux allemands, j’écoute la radio allemande et regarde la télé allemande. Quand je suis arrivé, les gens ne savaient pas de quoi je parlais, la Bundesliga, le sport, la musique, etc. Quand t’as pas les références de film, de chansons, les gens te regardent un peu comme un extraterrestre. C’est simple : le lundi, je regardais les résultats du Tennis Borussia Berlin, alors qu’autour de moi, tout le monde parlait du Paris Saint-Germain.

T’écoutais quoi comme musique ?Beaucoup de rock alternatif, comme The Cramps, The Chameleons… Ça cartonnait beaucoup à Berlin et dans le reste de l’Allemagne. J’avais beaucoup de mal à voir des concerts des artistes que j’aimais bien. Du coup, je redescendais à Berlin pour aller les voir, et je le fais encore aujourd’hui.

Les supporters du Hertha, c’était pas trop mon truc, y avait trop de types bizarres, un peu fachos sur les bords, et l’ambiance n’était pas au top.

Pour quel groupe, par exemple ?Bah Rammstein, là où ils ont une date à Paris, ils en ont plusieurs à Berlin, voire dans le reste du pays. Pareil pour The Chameleons et les groupes qui cartonnaient dans les années 80 et qui font un revival. C’est cool, ça permet de nous retrouver avec les copains.

Tu parlais du TeBe (Tennis Borussia Berlin) tout à l’heure… Bonne saison, hein ? Bon, ils ont fini 4es d’Oberliga-Nord (5e division, ndlr). C’est vrai qu’on n’est plus en 1987, à l’époque où le club était en 1. Bundesliga, avec Jack White (ancien joueur devenu producteur de musique, ndlr) à sa tête… On a fini juste derrière le Hertha Zehlendorf, le vrai club formateur de Berlin. Je vais continuer à suivre tout ça, et puis à suivre l’Italia Berlin (club de 8e division, ndlr), avec Thomas « Icke » Hässler sur le banc. Je trouve ça cool qu’il y ait des anciennes gloires qui viennent prendre des clubs dans des petites divisions. Tiens, d’ailleurs, j’ai regardé les multiplex de Landespokal (finales régionales de coupe, ndlr), j’étais comme un fou. Ma femme a halluciné ! C’est cool de revoir tous les clubs qui brillaient, à l’époque…

Et le Hertha dans tout ça ?Au début, un peu, mais je m’en suis vite détaché. Les supporters du Hertha, c’était pas trop mon truc, y avait trop de types bizarres, un peu fachos sur les bords, et l’ambiance n’était pas au top. Il y avait tout le temps la pression sur l’équipe, ça montait, ça descendait, etc. Avec les poteaux, on préférait suivre le Blau-Weiß, avec Kalle Riedle, ou le TeBe, qui correspondait plus avec notre mentalité. Même quand on perdait, on se marrait. Le plaisir avant tout.

Je trouve qu’on est moins dans le domaine du cliché, saucisse, bière, le jeu de bourrins, Toni Schumacher, tous ces trucs que t’entends en boucle. L’image qu’a renvoyée l’Allemagne après le Mondial 2006 a fait changer les mentalités.

Quand tu t’es retrouvé à Paris, c’est parce que tu voulais suivre de plus près le TeBe que tu es devenu journaliste ? Disons que je voulais un métier qui me fasse voyager. J’ai rapidement intégré Eurosport parce que j’avais la particularité de parler plusieurs langues, et ça m’a permis de me faire des contacts. D’ailleurs, ma première pige à Eurosport, en mars 1992, c’était de la gym. Je me suis retrouvé nez à nez avec Dirk Thiele. C’était le présentateur de Fussball-Panorama sur la DDR 2 (chaîne d’ex-RDA) qu’on captait parfaitement à l’ouest. C’était pour nous le seul moyen de regarder du football international. Même les chaînes d’ex-RFA n’en passaient pas beaucoup. On a sympathisé, on a gardé de très bons contacts. Et mon regard tourné vers l’Allemagne m’a permis de parler de beaucoup de sports que je suivais à Berlin, quand j’étais plus jeune. Tu bouffais du sport tout le temps, avec les chaînes d’ex-RDA et des pays du Pacte de Varsovie. Beaucoup plus qu’à l’ouest. La gym, le cyclisme sur piste, la boxe… La première fois que j’ai commenté la Tournée des quatre tremplins, à Oberstdorf, c’était magique.

Tu n’étais donc pas uniquement orienté foot au départ…Non, il y avait beaucoup de monde sur le créneau. Mais j’étais toujours disponible, on venait me voir quand il s’agissait de parler d’équipes allemandes. Et puis Charles Biétry est venu me chercher à Canal en 1996, pour défricher, mettre en avant la Bundesliga, même si ce n’était pas le championnat le plus suivi du monde. Et ça ne l’est toujours pas aujourd’hui, même si les choses vont mieux.

Dans quel sens ?Je trouve qu’on est moins dans le domaine du cliché, saucisse, bière, le jeu de bourrins, Toni Schumacher, tous ces trucs que t’entends en boucle. L’image qu’a renvoyée l’Allemagne après le Mondial 2006 a fait changer les mentalités. En revanche, ce qui m’effare toujours, c’est au niveau du référencement : en France, on parle d’abord de l’Angleterre, malgré les résultats pourris en Coupe d’Europe et à l’Euro, puis de l’Italie, puis de l’Espagne. Et après, seulement après, tu as l’Allemagne. Et encore, il faut attendre qu’un club soit dans le dernier carré, ou alors on parle du Bayern, de Dortmund, et c’est tout. La raison est peut-être toute simple : la faiblesse du nombre de joueurs français dans ce championnat. Et puis les gens sont moins sensibilisés à l’allemand. Les élèves s’orientent plutôt vers l’anglais, l’espagnol, l’italien… Dans le cas des deux dernières, ce sont des langues latines, probablement plus faciles à apprendre. Et puis il y a moins d’immigration allemande en France, aussi.

C’est au téléspectateur de voir s’il a envie de zapper ou non. Si tu veux t’intéresser à la Bundesliga en France, t’as tout ce qui faut. Le reste, c’est une question culturelle. Y a la Ligue 1, et après tu as des accointances avec l’Angleterre, l’Italie, l’Espagne.

Tu trouves que la Bundesliga reste un championnat sous-coté en France ?Je ne vais pas me jeter des fleurs, mais je pense que j’ai contribué à ce qu’on en parle un peu plus. Après, là, on n’a jamais autant parlé de Bundesliga ces dernières semaines pour une chose : l’explosion des droits télé, qui vont dépasser le milliard d’euros. C’est un peu l’écueil de ce que représente le football aujourd’hui, ça passe beaucoup par le prisme de l’argent. Exemple : le pays de Galles affronte le Portugal en demi-finales. Sur les radios françaises, on ne te parle que de Cristiano Ronaldo et de Gareth Bale, et on t’en parle parce que ce sont les stars, mais aussi parce que ce sont les deux joueurs les plus chers de la planète football. Si ça doit passer par là, la Bundesliga a un peu de retard ; et vu le fonctionnement du football en Allemagne (et du pays en général), s’il faut acheter un joueur 120 millions pour qu’on parle plus de la Bundesliga, on va devoir attendre encore un peu. C’est l’écueil du football aujourd’hui, a fortiori de cette société : plus il y a de zéros derrière sur le chèque, plus t’es important. Sauf qu’on a bien vu que l’Angleterre, tu peux mettre tant de zéros que tu veux, t’es quand même à la rue. Et oui, peut-être que le pays de Galles et l’Islande ont une manière plus rudimentaire de jouer, mais à partir du moment où t’as un groupe plus soudé qui applique stricto sensu les schémas tactiques, eh bien tu avances. C’est quand même super rafraîchissant, ce qu’on a vu de la part des Islandais. J’espère qu’on ne retiendra pas que leur « Huh ! » Mais c’est un peu ce qu’est devenu ce sport, axé sur l’argent et le buzz.

Le buzz, c’est ce que tu as essayé de faire en parlant de l’emblématique Carsten Ramelow.(Il rit) C’est une idée qui m’est venue comme ça. J’avais l’impression d’être un peu seul dans le désert et de parler un peu tout seul. Il a fallu que je trouve un artifice pour voir si on écoutait ce que je disais. Et avec Carsten, ça a marché : il est presque aussi connu que les stars de la Nationalmannschaft ! (rires) Et puis je vais te dire : quand il a été sélectionné pour la Coupe du monde 98, j’étais assez fier de mon « coup » !

J’espère que ça va être un gros match, ça le mérite. Ça va être la première grosse étape pour l’équipe de France qui gère parfaitement son Euro, je trouve.

Est-ce que tu penses que l’image de la Bundesliga ne risque pas de s’améliorer dans les années à venir si, pour l’instant, tu n’as qu’une seule équipe qui domine (le Bayern) et une seule qui tient vraiment le coup (Dortmund, en ce moment) ?Je ne sais pas. On disait beaucoup ça de l’Espagne, soi-disant il n’y avait que deux équipes. Et regarde, c’est vraiment pas le cas : l’Atlético arrive loin en Ligue des champions, t’as deux finales de Ligue des champions en trois ans 100% espagnoles, et t’as le FC Séville qui gagne la Ligue Europa trois années d’affilée. Quelle que soit la Coupe d’Europe, ils placent un nombre impressionnant d’équipes dans les derniers tours. Je ne pense pas que ce soit le problème avec la Bundesliga. Entre Canal+ avant et beIN Sports aujourd’hui, on a une couverture quasi similaire à ce que peut faire Sky en Allemagne, diffusion de tous les matchs en direct (selon les week-ends), multiplex, retour dans le Club du dimanche avec Alexandre Ruiz. Après, tu ne peux pas faire plus. C’est au téléspectateur de voir s’il a envie de zapper ou non. Si tu veux t’intéresser à la Bundesliga en France, t’as tout ce qui faut. Le reste, c’est une question culturelle. Y a la Ligue 1, et après tu as des accointances avec l’Angleterre, l’Italie, l’Espagne. Même si, quand tu discutes avec des spécialistes, tout le monde te dit que c’est super comme championnat, les ambiances extraordinaires, les buts fantastiques… Mais tout le monde n’a pas le réflexe, le déclic de regarder. Tu me diras, c’est pareil pour la Ligue 1 en Allemagne…

Qu’est-ce qu’il y a à dire sur ce France-Allemagne ?J’espère que ça va être un gros match, ça le mérite. Ça va être la première grosse étape pour l’équipe de France qui gère parfaitement son Euro, je trouve. Il y a beaucoup de critiques, je n’ai pas vraiment compris. Quand tu connais la philosophie d’un entraîneur comme Didier Deschamps qui est marqué par la victoire… Maintenant, c’est l’Allemagne. Le 13 novembre dernier, ils avaient été à la rue complet en première mi-temps, en seconde période ils ont subi les coups d’accélérateur de Coman et Martial, ils seront peut-être rassurés de voir qu’aucun des deux ne sera titulaire demain. Les Allemands cogitent et se demandent comment ils vont arrêter le trio Griezmann-Giroud-Payet. Ce sera un gros match. Ce sera très technique, et très tactique. Ça peut même se jouer aux tirs au but. Les Allemands sont favoris, en tant que champions du monde en titre, mais je pense qu’ils préféreraient évacuer cette pression et qu’au contraire, la France soit favorite. Et il ne faut pas oublier qu’ils ont été en prolongation face à l’Italie…

Il paraît que tu as « surpris » beaucoup de monde avec la prononciation des noms de joueurs allemands… Que veux-tu que je te dise… Je ne vais pas prononcer « Müllaire » , « Draxlaire » ou je ne sais quoi. Il se trouve que le « er » en fin de mot se prononce presque comme un « a » . C’est comme ça. J’essaye de faire au mieux pour prononcer les noms des joueurs, quel que soit le pays d’où ils viennent.

France-Allemagne, à 21h en direct sur beIN Sports

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« Je ne vais pas prononcer "Müllaire", "Draxlaire" ou je ne sais quoi ! »
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