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« Je ne peux pas parler, je suis morte »

Par Christophe Gleizes
6 minutes
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Mardi, plus de 500 personnes se sont massées aux alentours du stade de France pour simuler un triple-attentat terroriste. L'objectif ? Permettre aux forces de l’ordre et aux secours de rassurer et de se coordonner. À dix jours de l’Euro, l’ambiance était bizarre, entre jeux de rôles et souvenirs traumatiques.

Coincée entre les barres d’immeubles, la silhouette ovale et métallique du Stade de France. Sous la pluie, 250 figurants venus participer ce mardi matin à une simulation d’attaque terroriste de grande ampleur, à dix jours du coup d’envoi de l’Euro. L’occasion pour les forces de l’ordre de tester leur coordination, comme l’explique Gabriel Plus, le porte-parole des sapeurs-pompiers de Paris, en détaillant le scénario catastrophe, tenu secret : « Il va d’abord y avoir une explosion à l’intérieur du stade. Le public va être évacué, et malheureusement, une deuxième explosion aura lieu sur le chemin de l’évacuation. » Sous le tunnel qui mène au RER, un policier au crâne glabre et à l’air louche place déjà quelques colis piégés avec un certain talent pour l’acting. Une fusillade est aussi prévue sur une fan-zone de Saint-Denis, en simultané. De quoi se préparer au pire. « On a bien vu ce qui s’est passé le 13 novembre, avec une course mortifère où on a du intervenir sur sept sites différents » , reprend Monsieur Plus, sous ses sourcils carrés : « Cela nous permet de nous entraîner afin d’être prêt pour le jour J. »

Saint-Denis sous les bombes

À 9h40, une première bombe explose en toute intimité, loin des caméras, dans l’enceinte de 80 000 places, qui accueillera sept matchs lors de l’Euro. Une heure plus tard, les bénévoles évacués, pour la plupart des étudiantes infirmières du 9-3, avancent en riant sous la pluie, visiblement contentes d’être rescapées. Mais une fois sous le pont, c’est le drame. Une seconde explosion retentit. Assourdissante. Traumatisante. Les figurants hurlent, s’enfuient, s’étalent sur le sol mouillé. Le chaos s’installe au son des alarmes et des cris suraigus, même si un fond de rationalité subsiste. Cynthia, par exemple, a erré quelques secondes afin de trouver un endroit où s’écrouler sans se tremper les fesses. « C’était impressionnant ! » réagit-elle à chaud, assise contre une barrière, encore secouée par le bruit du colis piégé. « Là j’attends que les secours viennent s’occuper de moi. »

Durant quelques minutes, qui peuvent sembler des heures, les sirènes retentissent au loin. Pour l’occasion, ce sont plus de 200 intervenants de la police, du SAMU et des pompiers qui ont été mobilisés. « À part la préfecture de police, personne n’était pas au courant du scénario. Ni de l’heure, ni du nombre de victimes. Cela nous permet de nous approcher au plus près de la réalité » , décrypte Johanna Primevert, la porte-parole des forces de l’ordre, qui dresse un bilan virtuel d’une « vingtaine de morts, et d’une soixantaine de blessés. » Pas un mot en revanche sur les problèmes de coordination qui ont retardé l’évacuation du stade, causant plusieurs scènes cocasses. Trente minutes avant l’explosion, les hommes du RAID ont ainsi sécurisé un tunnel vide, seulement occupé par les journalistes. Avant de repartir. Pour mieux revenir. Leur rôle ? Sécuriser la zone, permettre l’intervention des secours et « éviter le risque de sur-attentat » .

Souvenirs douloureux

Empaquetée tel un saumon en papillote dans sa couverture de survie, Amandine reconnaît que la simulation a été un peu « confuse » au début, surtout dans le stade. Aurélie, elle, préfère voir le bon côté des choses : « Je trouve que les secours sont arrivés rapidement, on a vite été pris en charge. Il y a au moins un médecin par victime » , explique la jeune femme de 25 ans, qui prend son rôle de blessée très au sérieux. D’après la fiche médicale qu’elle porte autour du cou, destinée au SAMU, elle ne s’en est pas trop mal tirée : « J’ai une fracture de la jambe, et je saigne du cuir chevelu. » Il y a quelque chose de surréaliste dans ces dialogues du troisième type qui se succèdent d’un groupe à l’autre. Autour d’elle, les secours s’activent, par ordre de priorité, dans une ambiance schizophrène. Certains, évacués sur brancard, ne peuvent réprimer un sourire, tandis que d’autres arborent un masque mortuaire, retenue oblige. Comme le résume Amandine, toujours souriante : « c’était de l’impro, ça nous a fait un peu délirer par moments, mais c’est un sentiment bizarre qui prédomine. »

Surtout pour Aurélie, qui a vécu l’apocalypse le 13 novembre dernier. « Je me trouvais au stade de France lors des attentats, porte D. En tant que secouriste dans une association, je suis intervenue dans la foulée » , murmure-t-elle, étendue sur le sol. « J’ai vu des choses que je n’aurais pas dû voir à 25 ans. Des choses auxquelles je n’étais pas préparée. » Ce soir-là, les attaques terroristes avaient causé la mort d’une personne, et fait 56 blessés. Ce que la simulation ne peut pas retranscrire, ce sont ces hurlements qui ne s’arrêtent jamais. Ce sentiment de panique qui prend aux tripes. Pleine de recul, elle n’en veut cependant pas accabler ses voisins plus détendus, qui scrutent discrètement leur iPhone en attendant d’être secourus. « On ne peut pas tout demander, c’est du bénévolat. Les gens viennent ici sur leur temps personnel, et c’est déjà bien d’aider. » Si elle est revenue aujourd’hui sur les lieux du drame, c’est pour avoir « un regard critique sur comment on s’organise » . Le bilan est largement positif, mais une question la taraude encore : « Est-ce que ça va se repasser ? Et si oui, comment ? »

Public divisé

Une énigme qui obnubile les autorités, qui tentent de parer à toutes éventualités. Depuis deux mois, ce ne sont pas moins de 30 exercices de ce type qui se sont déroulés dans tout le pays. Mercredi dernier, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a confirmé la mise en place d’un « dispositif de sécurité exceptionnel » autour des stades et des zones à risques lors de l’Euro, impliquant plus de 90 000 policiers, gendarmes et agents privés. « Personne ne nous empêchera, et surtout pas les terroristes, de vivre normalement, de continuer à célébrer les valeurs de fraternité et de partage qui sont celles du sport » a-t-il assuré. Malgré leur volontarisme, les bénévoles, eux, sont partagés. « C’est rassurant de voir que nous sommes entraînés à faire face à ce genre de situations. On se sent protégés » , avance la jolie Savannah, âgée de 18 ans. Choquée par l’intensité de la simulation, Mélanie, elle, fera l’impasse : « Je n’irai pas au stade. Peu importe l’organisation, je ne prendrai pas de risques » . Un dilemme qui ne se pose pas pour Cynthia, tristement esseulée depuis plusieurs minutes, à proximité d’une flaque d’eau : « Désolé. Je ne peux pas parler. Je suis morte. »

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