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- Interview Koji Nakata
« Je n’avais jamais joué dans la neige au Japon… »
Koji Nakata reçoit à Kashima, dans une salle de réunion au-dessus de la boutique de son club de toujours, les Kashima Antlers. Les crampons remisés au placard, l'ancien international japonais raconte sa nouvelle vie, le foot japonais, revient sur ses semaines marseillaises et le traumatisme du tsunami de 2011 dans son pays.
Tu deviens quoi aujourd’hui, Koji ?Je travaille pour les Kashima Antlers désormais, après avoir joué pour eux. Mon titre exact, c’est « club relation officer » . En gros, j’assure la relation entre le club et les supporters, le club et les médias, le club et les sponsors. Du coup, je ne suis pas directement en rapport avec les joueurs, même si je les croise souvent, justement dans leurs actions avec les sponsors, les médias et les fans.
Tu es donc plutôt dans les bureaux. Le terrain, même au sein d’un staff technique, ne te manque pas trop ?Je ne vais pas mentir, le terrain, l’odeur de l’herbe me manquent. J’ai eu une offre pour entrer dans le staff, mais, en gros, tous les joueurs avec un tant soit peu de notoriété ont déjà un pont créé pour intégrer l’équipe, quand ils arrêtent leur carrière. Sauf qu’il y a un problème particulier à la J-League : les grosses entreprises sont derrière les clubs, mais elles n’y connaissent rien au football et elles vont toujours chercher un homme venant de leur société pour faire la relation entre l’équipe et l’entreprise. Et cet homme n’est pas souvent quelqu’un issu du terrain… Ça créé souvent des problèmes. Les « General Manager » , comme on les appelle ici, c’est un des soucis de la J-League. De la même façon que Michel Platini était entré à l’UEFA pour mettre plus d’hommes de terrain dans les structures dirigeantes, moi aussi je voulais être cet homme issu du terrain dans cette position de dirigeant dans le foot japonais.
Tu vises un autre poste que « club relation officer » , comme directeur technique des Antlers par exemple ? Bien sûr qu’un poste comme ça, dans un grand club comme Kashima Antlers, pourrait m’intéresser. Mais, à vrai dire, je ne m’arrête pas là. Pourquoi pas intégrer la J-League, être le premier joueur à devenir président de la Ligue ou de la Fédération, c’est-à-dire devenir le premier joueur à intégrer l’élite dirigeante du foot japonais ? Pourquoi pas se fixer ces objectifs qui, en vérité, ne sont pas franchement personnels, mais plutôt pour le foot japonais ?
Tu vas devoir faire un peu de politique pour réussir à entrer dans le sérail. Ça ne te fait pas peur cette dimension-là dans le rôle que tu vises ?Je comprends très bien, je ne suis pas naïf. Quand je vais m’y frotter, c’est un monde où il va falloir que je m’accroche, avec des choses ou manières de faire que je ne connais pas forcément aujourd’hui. Pour l’instant, je commence au niveau du club, chez les Antlers. On m’apprend les choses à faire et à ne pas faire. Là, je suis plutôt dans une filiale pour apprendre le management et le business. Ensuite, je passerai à une autre étape, où j’apprendrai à « faire de la politique » . Mais c’est bien parce que les politiciens ont entre leurs mains la Fédération et la Ligue que rien ne change. Donc il faut bien qu’un homme de terrain aille s’y frotter !
Il faudrait changer quoi, selon toi, dans le foot japonais ?La plus grande problématique du foot japonais ou de la J-League, c’est que la culture foot et le championnat en lui-même n’ont pas l’air de beaucoup progresser. Elle régresse même, puisque ça
marche moins bien ces derniers temps. Mais au Japon, il y a toujours ce carcan du business qui passe en premier, le football ensuite et enfin les hommes et les femmes qui y jouent. En Europe, j’ai l’impression que tu as d’abord la culture foot, les gens qui y jouent et les sponsors sont venus s’adosser à une culture qui existait déjà. Ici, au Japon, ça ne marche pas comme ça. Tout part du business. Ce sont eux qui décident de tout et il faut changer ça en donnant plus de voix aux footballeurs. Par exemple, la J-League est séparée en deux phases et ça a été décidé comme ça, sans demander aux joueurs. Il n’y a pas de syndicats des joueurs professionnels pour faire contrepoids non plus. Ça ne marche pas. Les supporters ne se font jamais écouter. La voix du terrain et du fan ne prendra jamais le dessus sur la voix du sponsor.
Tu idéalises sans doute un peu ce qu’il se passe en Europe. Rien qu’en France, le dialogue avec les supporters est très compliqué. Les sponsors prennent aussi de plus en plus de place dans les prises de décisions au sein des clubs, et pas toujours au profit du football…Peut-être… Pour le championnat japonais, la J-League centralise tout sans aller vers les clubs et les joueurs. C’est elle qui centralise les sponsors du foot japonais par exemple, qu’elle attire en son nom, mais ne reverse pas équitablement, voire pas du tout ces entrées financières aux clubs. Elle les garde pour elle sous prétexte que ça lui sert pour promouvoir sa visibilité, ses chaînes de télé, honorer les contrats qu’elle a avec les géants de la pub japonaise. Il faut vraiment que les joueurs fassent le pont entre la J-League et le club.
Prenons le cas des Kashima Antlers. Le club est prisonnier de ces recettes gardées par la J-League ou il peut en trouver par ses propres moyens ?Kashima peut avoir des contrats avec les locaux, mais la J-League fait de la pub, presque sur le dos du championnat. Elle attire des sponsors généraux qui ne reverse rien aux équipes qui font la J-League. Maintenant, peut-être que les Français ne s’en rendent pas compte, mais les joueurs japonais ne gagnent plus vraiment d’argent. Il y a des joueurs en D2 qui sont au seuil minimum, qui sont au SMIC en gros.
Le Japon a quand même réussi à attirer Diego Forlán au Cerezo Osaka dernièrement, non ?Pour Forlán, c’est différent. C’est un sponsor, comme Uniqlo avec Nishikori en tennis, qui s’est complètement adossé à Forlán pour le faire venir.
Quels sont à peu près les salaires pratiqués dans le foot japonais ?Je pense qu’en D2, le plus petit des salaires annuels doit tourner autour de 25 000 euros. Et ici, chez les Antlers, qui est en D1, on doit être autour de 40-50 000 euros par an. Quand tu vas au sommet de l’échelle, tu peux avoir maximum 1 million d’euros pour la plus grosse star. Nous, à Kashima, on est juste au-dessus de la moyenne
Si on devait comparer avec un club en France, Kashima Antlers représente quoi ?C’est vraiment difficile de comparer avec l’Europe, parce que même si la ville ici, elle vit bien le football, ce n’est pas comme à Marseille où les gens de génération en génération vivent le football, où un geste défensif pourrait être applaudi. Il ne serait peut-être pas apprécié à sa juste valeur ici. Bon, Kashima, c’est un club qui a un peu de prestige quand même. On a des fans à Tokyo, des fans dans le Sud du Japon.
Tu viens d’évoquer Marseille. Comment tu avais atterri là-bas au fait ?En janvier 2005, Philippe Troussier m’a appelé directement et c’est comme ça que je suis arrivé à Marseille. Je t’avoue que j’ai été un peu surpris que l’OM s’intéresse à moi. Autant je pouvais imaginer un départ vers l’Europe, mais que ce soit pour un club français… Oui, ça m’avait étonné. Mais j’avais envie de partir à l’étranger et je cherchais un club. En tout cas, je suis vraiment super reconnaissant à Philippe Troussier de m’avoir ouvert les portes de l’Europe.
En France, on t’a plutôt connu arrière gauche, alors que visiblement, à observer la suite de ta carrière, tu étais surtout un milieu défensif. Pourquoi ce changement de poste ?Oui, je confirme que je n’ai toujours connu qu’un poste au Japon, celui de milieu défensif. Mais quand je suis arrivé à Marseille, Troussier m’avait annoncé que Lizarazu allait quitter le club et que j’étais là pour le remplacer.
Quand on évoque Koji Nakata auprès des suiveurs de Ligue 1, on pense inévitablement à ce moment à Geoffroy-Guichard, où tu fais une air-passe dans la neige en plein match. On dirait presque un gag de Chaplin. Ça a beaucoup fait marrer, et ça fait encore beaucoup marrer les Français. Toi, comment t’as vécu ce moment-là ?Déjà, quand j’ai commencé à Marseille, je n’étais pas dans une bonne dynamique. C’est toujours important de bien commencer dans un nouveau club, et là, dès le début, les conditions étaient difficiles. Même le club n’était pas dans une bonne dynamique. Jouer dans la neige, c’était quelque chose que je n’avais jamais connu au Japon. Ici, les terrains, ce sont des billards et il n’y avait pas des conditions comme ça. Après voilà, peut-être que je n’étais pas prêt ou qu’on ne m’avait pas préparé pour ce genre de climat sur ce type de terrain. Mais je n’ai pas envie qu’on croit que j’essaie de chercher des excuses, hein !
Il se passe comment le retour au vestiaire après ce match contre Saint-Étienne ?Juste après, la plupart des gens dans le vestiaire m’ont dit : « C’est pas grave, t’inquiète. » Et je n’ai pas senti que c’était pour faire semblant ou couvrir quelque chose qui allait devenir problématique.
Elles t’ont affecté toutes ces moqueries ?Sur le geste en lui-même, je sais qu’on s’est moqué de moi, même à la télé. Je ne peux pas l’oublier. J’étais toujours affecté 3 jours après, oui, mais pas plus que ça finalement. En tant que professionnel, j’avais d’autres chats à fouetter honnêtement. C’était peut-être plus le symbole d’un problème plutôt que la cause. C’est juste que je n’arrivais pas à me sortir de ce tunnel négatif au sein de l’équipe qui ne tournait déjà pas très bien. J’ai mis du temps à ressentir de meilleures sensations. Mais je vais te dire une chose : je trouve quand même qu’un des grands problèmes des joueurs japonais, c’est de ne pas parler de langues étrangères. Moi, je ne parlais pas français, je n’avais pas vraiment de moyen de me défendre ou de m’exprimer par moi-même. En Espagne et en France, il n’y a pas vraiment de communauté japonaise pour nous aider, au contraire de l’Allemagne aujourd’hui par exemple. Les Allemands, c’est un peuple qui aime le Japon, qui respecte les Japonais. Et puis, désolé de le dire, mais il ne faut se voiler la face non plus de votre côté hein : dans le Sud de la France, ça ne parle pas beaucoup anglais. De toute façon, la France n’est pas vraiment un pays où tu peux parler anglais, et te débrouiller avec.
Tu en gardes quels souvenirs de cette expérience marseillaise finalement ?Quand je te disais qu’il manquait au Japon la culture du football, je crois qu’on ne peut pas rêver d’un meilleur baptême du feu que d’aller à Marseille pour commencer en Europe. Parce qu’il y a une identité culturelle footballistique très forte là-bas. Les fans de Marseille, on m’avait dit qu’ils étaient sévères, mais franchement, je n’ai pas trouvé. Ils connaissent énormément le foot, sont passionnés, mais ça ne veut pas dire qu’ils sont déraisonnables. S’il n’y avait pas eu Marseille, avec le bon et le moins bon, il n’y aurait pas eu ma très bonne aventure à Bâle ensuite. Mon passage à Marseille m’avait bien appris que la communication à l’intérieur de l’équipe, mais aussi avec les médias, était un élément indispensable pour un Japonais qui veut jouer et réussir à l’étranger. Et puis à Marseille, je me souviens aussi avoir joué avec des joueurs super doués, comme Nasri ou Ribéry qui étaient impressionnants, en match comme à l’entraînement. Je me souviens aussi du charisme de Barthez qui apportait à notre groupe son expérience de vainqueur d’Euro et de Coupe du monde. Et puis, surtout, et ce n’est pas une critique, j’ai appris qu’on n’était pas toujours obligé de respecter une tactique, de ne jouer que collectif. Parfois, il faut aussi des initiatives individuelles, des mecs qui ne passent plus le ballon pour aller au dribble, qui jouent seuls, pour se sortir de situations compliquées, pour changer le cours d’un match. C’est vraiment une autre facette du football que j’ai apprise là-bas.
Quel joueur t’a le plus impressionné en Ligue 1, celui contre qui tu as eu le plus de mal ?Je me souviens avoir eu énormément de mal contre Manu Adebayor, qui jouait à Monaco à l’époque. Il est très grand, très bon et très difficile à marquer. Ici, au Japon, tu n’as pas ce genre de joueurs (rires).
On va finir par un sujet un peu moins drôle. Il y a 5 ans, le Japon subissait le plus gros séisme de son histoire, suivi d’un combo tsunami-explosion de la centrale nucléaire de Fukushima. J-Village, le Clairefontaine nippon, que tu as fréquenté assez souvent avec la sélection japonaise, est situé à une grosse dizaine de kilomètres de la centrale. Depuis 2011, les sélections nationales ont quitté J-Village, et les lieux servent même de base arrière pour les nettoyeurs-liquidateurs de la centrale. Tu es déjà retourné à J-Village ?Ogasahara, qui était mon coéquipier en sélection et chez les Antlers, où il joue toujours d’ailleurs, vient de la région touchée par les événements de 2011 et il m’y a emmené, deux ans après le tremblement de terre. Je voulais voir à quoi ça ressemblait et j’ai vraiment été très surpris, même si je n’ai pas été choqué non plus. Sur le site de J-Village, je n’avais pas été obligé de porter une combinaison, mais pour aller dans les zones juste autour de la centrale, si. Mais je n’y suis pas allé.
À Kashima, vous avez été touchés par le tsunami. Le principal sponsor des Antlers avait beaucoup d’usines le long de l’océan, toutes touchées, et a dû inévitablement engager beaucoup de dépenses pour tout remettre debout. Est-ce que ça a eu un impact direct sur les finances des Antlers ?Non, il n’y a pas eu vraiment de coupes budgétaires à cause de ça, mais pour une autre raison : ça faisait déjà quelques années que l’argent venant de ce sponsor principal était revu à la baisse. Et dans un souci de professionnalisme, le club avait fait en sorte de ne plus dépendre complètement de ce gros sponsor et de pouvoir trouver par lui-même ses sponsors. Et puis cette entreprise a connu une fusion avec un autre grand groupe. Donc les dirigeants des Antlers savaient que leur sponsor historique ne pourrait plus être pour toujours ce pourvoyeur d’argent. C’est un dossier sur lequel Kashima a beaucoup bossé en amont.
Les autorités japonaises disent aujourd’hui qu’il n’y a plus de risque de contamination radioactive à J-Village, mais elles ont officialisé le déménagement définitif du centre d’entraînement de l’équipe nationale à Makuhari, à 30 minutes de Tokyo. Toi qui as été sportif de haut niveau, tu aurais accepté de revenir t’entraîner à J-Village ?Je n’aurais pas été réticent, à condition de me donner des garanties sanitaires. Je pense que les joueurs ont cette responsabilité, en tant que sportifs, de dire et montrer que la région est saine pour la pratique du sport du haut niveau, à J-Village comme dans la campagne d’Ibaragi, là où j’habite. Ce n’est qu’à moins de 300 km de la centrale de Fukushima hein, ce n’est pas grand-chose, mais on a tous été mis dans le même sac, après l’explosion de la centrale. On entendait des choses du genre : « On ne peut pas manger les aliments produits sur les terres d’Ibaragi, etc. » Et je me suis battu contre ça. Beaucoup ont oublié l’élan du cœur venu des Japonais après cette catastrophe. Et beaucoup ne connaissent pas la réalité du terrain ici.
Propos recueillis par Ronan Boscher, à Kashima.