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« Je n’ai pas envie de m’emmerder avec mes joueurs »

Propos recueillis par Maxime Brigand
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Un peu plus de deux mois après avoir quitté le Gazélec et la Ligue 1, Thierry Laurey s'apprête à découvrir La Meinau dans son nouveau costume d'entraîneur du Racing Club de Strasbourg avec qui il a retrouvé la Ligue 2 la semaine dernière. Entretien autour du Grand Est, d'un bilan de son histoire corse et avec, à l'horizon, la Simca d'Arsène Wenger.

Il y a quelques semaines, lors de votre présentation à Strasbourg, vous avez présenté l’opportunité de rejoindre le Racing comme « un projet plus intéressant » que de rester au Gazélec. Pourquoi ? Avec le Gazélec, j’étais arrivé à la fin de l’aventure. Cela faisait trois ans et demi que j’étais là-bas et c’est compliqué de se renouveler en matière d’investissements, de repartir de zéro avec un effectif. Donc je pense que c’était mieux pour moi, si j’avais une offre, de quitter le club. J’ai passé trois super années, je ne regrette rien de ce qu’il s’est passé là-bas mais c’était compliqué. Il aurait fallu avoir d’autres moyens pour pouvoir se renouveler convenablement, pour pérenniser le club et ce n’était pas le cas donc c’était un peu plus délicat. Je pense que j’ai fait le travail pour lequel j’avais été pris. Un nouveau challenge arrivait sur la table avec Strasbourg, il me paraissait normal d’étudier ça et quand j’ai rencontré les dirigeants du Racing, ça a été clair et net dans mon esprit.

Quels ont été les mots de Marc Keller pour vous convaincre ?Il m’a expliqué comment fonctionnait le club, il m’a montré les infrastructures, tout ce qui était mis en place quotidiennement pour que le club se stabilise en Ligue 2. C’est quelque chose qui m’a convaincu car, depuis plusieurs années, les choses vont dans le bon sens. Tout a été fait de manière méthodique, ce ne sont pas des gens qui font n’importe quoi. Certes, il y a un budget qui est conséquent à chaque fois mais ce n’est jamais de l’argent jetée par les fenêtres. Le fait que ce soit un ancien footballeur m’a plu aussi. Il sait de quoi il parle. Il n’est pas très intrusif, il nous laisse travailler librement mais il sait exactement ce qu’on fait et nous fait part de son expérience, c’est intéressant. J’étais plutôt heureux et enthousiaste après nos discussions.

Que représentait le Racing pour vous avant de signer ?On sait quand même que ce n’est pas par hasard que les gens appellent cette ville « le Marseille de l’Est » . Il y a une forte passion, une grosse attente aussi, des supporters qui ont peut-être un peu changé aujourd’hui et qui s’identifient encore plus à leur club parce qu’ils ont traversé des épreuves assez difficiles en repartant de la CFA2. Pour eux, se retrouver en Ligue 2 est une délivrance. C’est un club qui a une histoire riche et un palmarès conséquent, qui a connu l’Europe, ce n’est pas anodin. C’est aussi la capitale de l’Europe. Tout est fait pour vivre heureux avec le football à Strasbourg.

La semaine dernière, on a vu vos supporters mettre une grosse ambiance face à Bourg-Péronnas (0-0). Comment avez-vous vécu ce moment ?J’étais super content parce qu’avoir autant de supporters à l’extérieur n’est pas anodin, surtout pour la Ligue 2. Pour samedi (ce soir, ndlr), il y a déjà 18 000 places réservées donc on est impatient. C’est plutôt encourageant, je suis venu aussi pour ça. Quand on est footeux, on a envie d’être suivi par un certain nombre de personnes. Quand, en plus, il y a une telle identification comme celle que l’on voit ici à Strasbourg, ça fait encore plus plaisir. C’est quelque chose qui crée des obligations mais c’est aussi ça, le sport professionnel. Vous êtes payés pour avoir des résultats dans tous les domaines. On préfère qu’il y ait de la pression. J’ai joué à Marseille, Montpellier… Quand j’étais joueur, c’est quelque chose qui me boostait et quand tu es compétiteur, tu as envie de ça. On a envie de faire plaisir aux gens. Ceux qui n’ont pas connu ça ne peuvent pas forcément comprendre mais quand tu es sur le terrain, que 20 000 personnes te poussent, te motivent, c’est enivrant, et tu te sublimes par moments.

Si certains pensent que je n’ai pas été professionnel avec le Gazélec, ils se trompent lourdement sur mon cas

Lors de votre nomination, Marc Keller a parlé de cette recherche de passion en évoquant votre profil. C’est quelque chose que l’on a souvent vu la saison dernière avec vous au bord des terrains de Ligue 1. D’où vient cette double-personnalité: calme en dehors, bouillant le long de la ligne ?J’ai un peu gardé mon esprit de joueur. C’est ce que je suis avant tout : un ancien joueur. Je sais ce que je veux partager sur le terrain, je n’ai pas envie de m’emmerder avec mes joueurs. Je ne suis pas entraîneur pour, au bord du terrain, ne pas vivre les choses pleinement. Je ne dis pas que c’est la meilleure des attitudes à avoir et je n’ai pas de leçon à donner à qui que ce soit. Au contraire, il faut que j’arrive à me calmer un petit peu. Je prends exemple sur certains très bons entraîneurs français qui ont une attitude beaucoup plus calme aujourd’hui. Je peux parler de quelqu’un comme Frédéric Antonetti qui était un garçon assez bouillant et qui, tout en gardant son caractère, s’est calmé. On sent qu’il a pris sur lui pour mieux manager son équipe et il a les résultats qui vont avec. Ce sont des exemples comme ça qui m’inspirent. Après, par moments, c’est naturel. J’ai toujours été quelqu’un qui aime bien partager ses émotions, sa passion, donc quelques fois ça peut monter dans les tours mais il n’y a rien de méchant. Je ne pense pas être quelqu’un de trop vindicatif non plus. Aujourd’hui, je sais qu’on aimerait bien que le football soit beaucoup plus lisse mais j’estime qu’il faut quand même un peu de passion pour éveiller un peu les choses. Je ne me définis pas comme l’apôtre du réveil des passions mais il faut vivre son truc. Il y a des garçons qui le font de manière plus maîtrisées, d’autres de façon plus exubérante. Qu’on me range dans l’une de ces catégories n’est pas ce qui m’importe. Ce qui m’importe est de savoir si je fais mon travail correctement ou pas. Le but du jeu est d’avoir de bons résultats quelque soit la méthode utilisée.

Vous parlez d’entraîneurs calmes. En 1981, vous aviez fait un essai à Strasbourg et un certain Arsène Wenger était venu vous chercher à la gare, non ?Exactement, en Simca. Je n’avais pas été retenu à l’époque par les dirigeants strasbourgeois et j’avais rebondi à Valenciennes. C’est quelqu’un dont j’aime le calme, par exemple, car il le garde dans toutes les situations mais, de temps en temps, on sent aussi que ça bouillonne à l’intérieur.

Strasbourg est réputé pour être une terre de grands entraîneurs. Vous a-t-on parlé de cette histoire à votre arrivée ?Les gens s’identifient plus aux gens du terroir, forcément. Que ce soit des Arsène Wenger ou des Gilbert Gress. Ils ont compté et comptent encore dans l’esprit des gens ici. Maintenant, moi, je ne suis pas strasbourgeois mais je suis du Grand Est. Je suis quelqu’un qui accorde beaucoup plus d’importance au présent. Je pense que les grands clubs ne meurent jamais et qu’ils reviennent toujours à l’avant de la scène. J’espère que Strasbourg reviendra un jour sur le devant de cette scène. Si ça sera avec ou sans Thierry Laurey, je suis incapable de vous le dire aujourd’hui. Je n’ai pas cette prétention. Ce qui est sûr, c’est qu’un club comme Strasbourg reviendra un jour en première division. C’est une évidence. Tous les moyens sont mis en œuvre pour ça.

Quel a été l’objectif fixé cette saison avec les dirigeants ?Un maintien serein. Serein parce que « tranquille » n’existe pas vraiment en Ligue 2. Donc un maintien qui se situe entre la huitième et la douzième place, ça serait déjà bien pour une première. Si on peut faire mieux, tant mieux. Si c’est plus difficile, on se serrera les coudes. On va voir comment on va négocier les premiers matchs. C’est important pour moi de voir comment l’équipe va s’accaparer ce championnat. On sait que c’est parfois difficile de faire son trou et on l’a vu sur cette première journée. Ce sont des matchs compliqués, où il y a très peu d’occasions. Il va falloir s’accrocher. Contre Bourg-Péronnas, on aurait pu espérer un petit peu mieux parce qu’on a eu des situations pour gagner mais, à l’arrivée, on est content d’avoir pris un point.

C’est aussi dans ce sens que le recrutement s’est écrit : de l’expérience, des joueurs habitués à cette division mais aussi Khalid Boutaïb que vous avez amené avec vous du Gazélec.La cellule de recrutement marche très bien ici. Je travaille en étroite relation avec Loïc Désiré et on a ciblé sur cette expérience, oui. On savait qu’en arrivant de National, il fallait chercher des garçons qui seraient séduits par notre projet mais qui apportaient aussi cette connaissance de la Ligue 2 voire de la Ligue 1. Boutaïb a beaucoup joué l’année dernière, Baptiste Guillaume aussi et Vincent Nogueira par le passé, avec Sochaux, pareil. À côté de ça, on a des joueurs comme Gonçalves ou Gragnic qui connaissent parfaitement la Ligue 2. L’objectif était de faire un mélange pour être compétitif.

L’année dernière, vous aviez expliqué que le plus dur n’était pas d’arriver en Ligue 1 mais d’y rester. Que pourriez-vous dire pour la Ligue 2 ?C’est sensiblement la même chose. Sur la durée, sur trente-huit journées, c’est long, surtout avec les coupes nationales sans compter si tu fais un bon parcours qui te pompe de l’énergie supplémentaire. C’est aussi pour ça qu’on a cherché à avoir un effectif assez conséquent. Aujourd’hui, on a assez de joueurs pour pouvoir répondre à plusieurs demandes. On a un effectif qui est bien, complet.

Qu’est-ce que votre première saison en Ligue 1 vous a apporté dans votre approche du métier ?Honnêtement, je pense qu’on a progressé dans l’approche avec l’ensemble de mon staff. La Ligue 1, ça va beaucoup plus vite et nous, on était souvent en difficulté par rapport à ça. On a toujours cherché à trouver des solutions pour essayer de ne pas être pris de vitesse. C’est vraiment ce qui m’a impressionné. En trois passes ou dès que tu fais une erreur, l’équipe adverse est devant le but. Je trouve que l’équipe avait bien progressé dans cette approche justement. Malheureusement, on a eu trop de défaillance, notamment sur la seconde partie de saison avec des erreurs individuelles qui étaient assez importantes. Je reste persuadé qu’il y avait matière à se maintenir sans évoluer à un autre niveau et avec les mêmes matchs. Pour certains, ça paraîtra peut-être prétentieux mais moi, j’en reste persuadé. Il y a pas mal de matchs où on méritait mieux mais, pour diverses raisons, on n’a pas eu ces points qui manquent à l’arrivée donc c’est une grosse déception. Après, ça reste une super expérience. La grosse différence entre la Ligue 1 et la Ligue 2 est aussi l’aspect médiatique, à tous les niveaux. Il y a une exposition importante qui peut être rapidement grisante. Il faut faire attention car ça peut vite faire dériver les choses. Par moments, sur le début de saison l’an passé, on a eu du mal à gérer tout ça et ça nous a coûté cher. On avait bien rectifié le tir avant la trêve puis… C’est l’histoire d’un but à la dernière minute à Toulouse. C’est celui qui me vient directement à l’esprit. Il y a aussi eu Lyon, Marseille, Monaco… Pas mal de matchs où on a rendu de bonnes copies sans récompense. C’est aussi ça l’expérience. La réalité est qu’on n’est pas passé loin mais la vraie réalité, c’est que quand ça ne bascule pas dans ton sens, c’est qu’il te manque quelque chose.

Avez-vous l’impression d’avoir été au bout de vos possibilités avec ce groupe-là ?Oui, bien sûr. On savait depuis le début qu’on avait un calendrier compliqué, notamment sur la fin de championnat, mais j’ai toujours essayé de chercher des solutions. On savait que si avant les dernières rencontres, on n’avait pas de marge, ça serait compliqué. On a réussi à sortir la tête de l’eau après le match de Bastia (3-2, le 25 avril, ndlr) mais après c’était trop compliqué. Ç Ça reste une expérience fantastique pour un club qui n’avait jamais pensé se retrouver dans cette position un jour. Le club a grandi, le staff a grandi, les joueurs ont grandi, les dirigeants ont grandi… Donc, c’est quelque chose d’incroyable. La preuve, c’est que le Gazélec, malgré la descente, veut déjà remonter en Ligue 1. C’est quelque chose qui n’était absolument pas envisageable par le passé. Que les choses soient claires : ils en ont les moyens.

J’aime le calme de Wenger, car il le garde dans toutes les situations mais on sent aussi que ça bouillonne à l’intérieur

Est-ce que le soir de la dernière journée à Lorient, vous saviez que vous quitteriez vos joueurs ensuite ?Absolument pas. Que ce soit clair : j’ai rencontré les dirigeants de deux clubs, Reims et Strasbourg. Cela ne s’est fait qu’après la dernière journée de championnat. C’est ce que j’avais demandé à mes agents, quelque soit l’issue du championnat. Si certaines personnes pensent que je n’ai pas eu ce professionnalisme, ils se trompent lourdement sur mon cas.

Quels ont été vos derniers mots pour vos joueurs ?C’était la fin d’une aventure. On croyait vraiment à ce maintien. On pensait qu’Angers allait accrocher Toulouse et que Lyon allait accrocher Reims. L’avantage qu’on avait sur Reims, c’est que si on gagnait à Lorient, il n’y avait pas de problème et comme on était persuadé qu’Angers allait accrocher Toulouse… On avait notre destin en mains et c’est vrai que, quand on regarde ce match à Lorient, la déception est immense. On a tiré quelque chose comme 18 fois et on a pris un but sur une erreur de gamin. Finalement, on a laissé beaucoup de forces dans la bataille pour très peu de résultats à l’arrivée. On a eu une période avec beaucoup de réussite et une autre avec beaucoup d’erreurs individuelles… C’est aussi ça le haut niveau, il n’y a pas de place pour les gens qui ont des faiblesses. Nous, on en a eu, tous, les joueurs et le staff. Les autres n’en ont pas eu. C’est l’histoire d’un championnat.

Samedi, vous allez retrouver la Meinau, un stade où vous aviez disputé votre dernière rencontre chez les pros, il y a dix-huit ans…Ce soir-là, j’étais sur le banc et je n’ai pas bougé de tout le match. C’est le petit regret de ma carrière : de ne pas l’avoir terminée sur un terrain mais sur un banc de touche alors qu’on perdait 3-0. Il n’y avait aucun risque, j’aurai pu rentrer, ça n’aurait rien changé et je l’ai encore en travers de la gorge. C’est comme ça, c’est le jeu. Il faut savoir accepter certaines choses. Je trouve juste que, quand on sait qu’un joueur va arrêter sa carrière, on peut lui faire profiter encore quelques minutes de sa passion, de son métier. Avant d’être un joueur, j’estimais être un passionné et avant d’être un entraîneur, j’estime toujours en être un.

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