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« Je n’ai jamais musclé mon jeu »

Propos recueillis par Maxime Brigand
«<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Je n&rsquo;ai jamais musclé mon jeu<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

C'était le dernier poil d'une époque dorée. Jeudi dernier, en costume taillé, Robert Pirès a annoncé la fin de sa carrière, bouclant avec le bouton de sa chemise l'histoire d'une génération championne du monde il y a dix-huit ans. L'heure est venue de dire au revoir à un genou maudit, un amoureux du jeu et à ce qu'il restait encore de France 98. Dernières nuances de Robbie.

Le 2 juillet 2000, tu étais resté assis de longues minutes au centre de la pelouse à Rotterdam. Qu’est-ce que tu ressens à ce moment-là ?De la fierté, beaucoup de fierté. C’est un moment fort. À ce moment-là, on est tellement fatigués, fiers de ce qu’on a fait, que l’on voulait simplement s’asseoir face à notre public. On a regardé, on a écouté, mais on a surtout savouré ce moment. C’est quelque chose de magique, honnêtement, c’était superbe. Tu ne réfléchis plus sur le plan personnel. Quand tu fais un sport collectif, tu ne vis que pour remporter des trophées. Là, on enchaîne Coupe du monde, championnat d’Europe, avec beaucoup de chance, une forme de réussite dont on est conscients, mais à l’Euro, on a été très forts. Donc, pour moi, le mot qui revient en permanence, c’est fierté. Fierté du travail accompli et d’avoir aussi bien représenté la France.

Cet instant est-il plus fort que le 12 juillet 1998 ou est-il simplement différent ? C’est différent, parce que les compétitions sont différentes. Rien ne peut remplacer la Coupe du monde. Pour nous footballeurs, c’est le summum. Tu ne peux pas faire mieux. Quand j’étais jeune, je ne m’étais jamais imaginé à la place de Pelé ou Maradona en train de soulever la Coupe du monde. Tu vois, pour moi, c’était quelque chose d’impensable, et le 12 juillet 98, quand j’ai vu Didier Deschamps avec le trophée… Je me suis dit : « Putain, franchement, c’est pas mal quand même. »

C’est aussi l’histoire d’un homme avant tout, Aimé Jacquet. Quelqu’un qui a aussi marqué ta carrière par cette fameuse phrase de vestiaire…Sur le moment, ce « muscle ton jeu » m’a fait rire et on m’en parle encore aujourd’hui. C’est quelque chose qui a marqué. Je connais la phrase par cœur, mais, ce qu’il faut savoir, c’est que je n’ai jamais voulu changer. Même en Angleterre, je n’ai jamais musclé mon jeu. C’est pour ça qu’Arsène a été important. Il n’a jamais voulu me modifier, mais plutôt me faire avancer sur mes points forts.

Jouer au foot, c’était une évidence pour toi ?En réalité, je n’avais que ça en tête. Avec mes parents, on s’était fixé une ligne de conduite par rapport à moi : le petit club de banlieue à Reims, le sport-étude, le centre de formation. La formation française était très bonne et elle l’est encore aujourd’hui. J’ai suivi tranquillement les étapes pour arriver au monde pro.

Ton père, Antonio, est portugais, et ta maman, Maribel, était espagnole. Comment on gère ce mix des cultures ?Je pense que c’est quelque chose de très enrichissant. Avoir plusieurs cultures te permet rapidement d’apprendre comment les choses se passent au Portugal, en Espagne, et pouvoir ensuite s’intégrer dans un nouveau pays qui était, pour mes parents, la France. Il faut savoir que quand ils débarquent en France, ils ne parlent pas un mot de français. C’est quelque chose qui a été compliqué pour eux, et pour moi ensuite à l’école. Je faisais rigoler mes potes, mais quand j’avais des devoirs à faire à la maison, je me retrouvais entre mon père et ma mère qui se renvoyaient la responsabilité de m’aider. En fait, j’avais des notes catastrophiques. Mais bon, ce mix m’a permis d’apprendre rapidement le français, le portugais et l’espagnol.

Ton papa aimait le foot ?C’est encore un fan de foot oui, il a joué en corpo [avec l’usine Valeo dont il était employé, ndlr], donc tous les week-ends, j’allais avec lui. Il était plutôt Benfica dans sa passion du foot. Ma mère, elle, n’était pas trop foot, mais elle venait souvent sur le terrain quand je jouais pour m’engueuler. Là, elle était là ! (Rires)

Le genre de maman qu’on voit souvent de l’autre côté de la barrière et qui allume tout le monde ?Un peu, t’es gentil ! Elle se mettait toujours derrière le coach et lui n’entendait qu’une personne pendant le match, c’était ma mère. C’était de belles années, vraiment. Avec Sainte-Anne, j’ai même été champion de France poussins en 83 en lever de rideau de la finale de Coupe de France PSG-Nantes au Parc. On avait battu Bastia en finale 3-0. C’est mon premier titre, pas mal.

À Metz, le premier pour la fête était toujours Rigobert Song. J’ai fait quelques soirées avec lui, mais aussi avec Didier Lang, Cyril Serredszum. On en a fait des belles, ouais !

La suite pour toi, c’est le Stade de Reims et le FC Metz. Qu’est-ce que tu retiens, quelle image de ces débuts chez les grands ? On a encore en mémoire les reins cassés d’Alain Goma, ce match au Parc…Le passage de Metz a été important. Il a été capital pour ma carrière. J’ai rencontré les bonnes personnes. Le premier, ça a été Francis De Taddeo, Philippe Hinschberger, Joël Muller et celui qui a toujours été derrière moi, c’est Carlo Molinari. Le FC Metz, c’est un peu chez moi, j’ai l’impression d’être comme dans mon jardin à Saint-Symphorien, et puis, on avait une équipe. Le regret, c’est cette place de vice-champion de France en 98 avec Lens. J’aurais aimé, mais tellement aimé que l’on soit champions cette année-là. Par rapport au palmarès, c’est le seul regret. Je pense que, sur le CV, ça aurait pu être pas mal du tout.

Au niveau humain, qu’est-ce que tu retiens de cette histoire ?C’était un club, une ambiance, et ça l’est toujours, très familial où il y a une vraie confiance faite aux jeunes, où la formation a une place importante, où on peut puiser dans la réserve. C’est déjà ce qui se passait à notre époque. Il y avait les anciens avec beaucoup d’expérience, Songo’o, Kastendeuch, et c’était hyper important. Pour moi, arriver dans un tel cadre, c’était idéal.

La fête avait aussi sa place ?Bien sûr. Il y avait de tout, les anciens pour nous calmer, temporiser, et nous, les jeunes avec le premier toujours pour la fête qui était Rigobert Song. J’ai fait quelques soirées avec lui, mais aussi avec Didier Lang, Cyril Serredszum. On en a fait des belles, ouais !

Vous remportez la Coupe de la Ligue en 1996, quel souvenir tu en gardes ?Que des bons souvenirs. Pour nous, c’était extraordinaire. La Coupe de la Ligue n’a pas la même saveur que la Coupe de France, mais ça reste une compétition, ça reste un trophée. Même si la finale a été très mauvaise, tu ne retiens que le vainqueur. Au retour, à Metz, on a été reçus comme des héros. C’était vraiment sympa.

Toi à Metz, c’était aussi Cyrille Pouget avec qui tu formais les PP Flingueurs…Notre relation s’est faite petit à petit. On a progressé ensemble, Joël Muller nous faisait confiance et le groupe aussi. Chacun avait une mission : moi à la passe, lui devant le but. De là se sont créés les PP Flingueurs, je crois que c’est Pierre Ménès qui l’avait sorti en premier et c’est resté. Les gens ont retenu ce duo, c’est agréable. En dehors, on se voyait aussi. C’était l’esprit famille, on allait parfois au restaurant pour manger, faire la fête ensemble.

Courbis et Robert-Louis Dreyfus sont venus de Suisse en hélicoptère jusqu’à Metz. Je monte et on part pour la Suisse vers les bureaux du président, on fait ce qu’il faut faire, et ils m’ont redéposé ensuite à Metz, tant qu’à faire.

Rolland Courbis nous a confié que tu étais le meilleur joueur qu’il avait eu à entraîner après Zidane, malgré ton inélégance. Comment s’est passée cette drague entre l’OM et toi ?Déjà, c’est très gentil de sa part ! En fait, à ce moment-là, il a tout fait pour que je signe à l’Olympique de Marseille. Je me souviens qu’il était venu me rencontrer avec le président Robert Louis-Dreyfus. Il était vraiment venu me chercher avec le grand jeu. J’ai aimé son discours, son approche et le fait qu’il voulait faire évoluer ma position sur le terrain.

C’est quoi le grand jeu à la Courbis ?C’est simple. Ils sont venus de Suisse en hélicoptère jusqu’à l’aéroport de Metz-Nancy-Lorraine. Quand t’es jeune et que tu vois ça, tu te dis que c’est la classe quand même. Je monte et on est tous les trois, le président, Rolland et moi. On part pour la Suisse vers les bureaux du président, on discute, on fait ce qu’il faut faire et ils m’ont redéposé ensuite à Metz, tant qu’à faire.

Le Vélodrome, c’était un rêve pour toi ?J’avais envie d’y aller pour l’ambiance. J’étais excité, mais j’avais peur. On connaissait l’importance des supporters de l’OM et on se demande toujours comment ça va se passer. Ce qui m’a plu, c’est l’équipe que voulait mettre en place Rolland sur le terrain et quand j’y repense, c’était très très fort.

Tu as même porté le brassard, mais cette relation avec les supporters n’a pas toujours été simple…Personnellement, non. Je suis resté jusqu’au bout de l’aventure, même si les cinq derniers mois ont été très compliqués sur tous les points. On finit à la limite de la relégation et en décembre, on avait eu une réunion et une altercation avec les groupes de supporters. La cible, à l’époque, c’était Duga. Moi, ça allait.

Arsène Wenger a souvent expliqué que la lumière était souvent sur Henry et Bergkamp, mais que tu étais son principal porteur d’eau. Quand tu es à Arsenal, tu vois ton jeu de cette façon aussi ? En fait, c’était mon rôle, et sur le terrain, je respectais ma mission. Tirer la lumière n’a jamais été ce que je recherchais. On m’a appris un certain football dans une certaine position, et une fois sur le terrain, je ne souhaitais que faire un maximum de passes décisives aux attaquants. Être dans l’ombre d’Henry et Bergkamp ne m’a jamais dérangé.

Quelle était ta relation concrètement avec Arsène Wenger ?Elle était parfaite même, malgré ce qu’il s’est passé lors de la finale de Ligue des champions en 2006. J’ai bossé avec lui pendant six ans, j’ai appris beaucoup avec lui, j’ai évolué, on a gagné ensemble. Je sais que, pendant six ans, je me suis régalé avec.

On ne va pas se mentir. Si tu arrêtes ta carrière aujourd’hui, c’est pour retourner à Londres. Avec l’envie de rebosser avec lui ?Il le sait. Aujourd’hui, on est revenus à Londres pour les enfants d’abord. Avec ma femme, on voulait qu’ils parlent très bien anglais, et ils sont dans le système scolaire britannique. Après, si j’ai la possibilité de travailler avec Arsenal et Arsène Wenger, oui, ça me tente.

Tu sens qu’il y a une volonté de rapatrier les anciens pour Arsène ?Je sais pas vraiment, mais je l’espère. On est encore pas mal de joueurs de l’époque à habiter ici. Titi passe ses diplômes d’entraîneur, Freddie Ljungberg est avec les U13 du club, Jens vient aussi de temps en temps. Le club d’Arsenal prépare l’avenir maintenant, et ça passe peut-être par nous.

Jens Lehmann nous expliquait récemment que, dans le vestiaire, la langue officielle était le français. Tu avais quand même l’impression de te sentir dans un championnat étranger ?Je te rassure, une fois sur le terrain, les équipes adverses te faisaient sentir que tu étais bien en Angleterre. On avait beau avoir quatre ou cinq Français sur la pelouse, c’était la même chose, et il y a des déplacements qui étaient redoutables à l’époque, comme à Leeds, à Bolton ou à Blackburn… On a apporté notre culture, ce qu’on nous a appris quand on était jeunes. Personnellement, je trouve que le mélange est toujours important, et c’est pour ça que les Anglais ont bien compris.

As-tu l’impression d’avoir développé une relation particulière avec les fans des Gunners ? Quand, aujourd’hui, je vais à l’Emirates, les gens sont reconnaissants du travail qu’on a pu faire, que j’ai pu faire. C’est assez fort. L’Anglais est quelqu’un qui n’oublie pas.

Le Français, oui ?On va dire qu’il a la mémoire courte. C’est la différence. En France, on aime aussi le ballon, mais jamais autant qu’en Angleterre.

Il y a quelques mois, mon nom a circulé en Malaisie et en Thaïlande. Moi, j’étais prêt à y aller. Mais là, j’ai 42 ans, donc à un moment, il faut s’arrêter.

Finalement, tu auras terminé ta carrière en Inde. Qu’est-ce que t’a apporté cette expérience ?De l’humain avant tout et le fait aussi de partager quelque chose en commun avec les joueurs indiens. Eux étaient très contents que je sois là pour discuter avec eux. Financièrement, oui c’était intéressant, mais je n’en avais pas besoin. Aujourd’hui, grâce à Dieu, j’ai bien gagné ma vie, en France, en Espagne et surtout à Arsenal. L’ISL est venu me chercher pour mon image, mes conseils, donc pour moi, c’était naturel. C’est l’offre et la demande.

Reste qu’à ce moment, tu avais déjà annoncé ta retraite, comment ont-ils réussi à t’en sortir ?J’aime le ballon, tout simplement. J’aime le foot. Dernièrement, il y a quelques mois, mon nom a circulé en Malaisie et en Thaïlande, moi je suis prêt à y aller.

Donc ce n’est pas forcément terminé ?Si, si, cette fois, c’est terminé. J’ai 42 ans, donc à un moment, il faut s’arrêter. Maintenant, je m’amuse en cinq contre cinq avec des anciens joueurs. C’est ça, le foot. Un régal.

Ton arrêt marque aussi la fin d’une époque, celle de la génération 98. T’attendais-tu à être un jour le point final de ce chapitre ?Pas du tout, parce que je n’étais pas le plus jeune. Le truc, c’est qu’on faisait appel à moi. Maintenant, c’est aux hommes de Didier Deschamps d’écrire la leur. Le symbole France 98, c’est sûrement avant tout l’histoire de la nostalgie des gens sur une époque. On a marqué notre temps, les esprits et on fait appel à nous pour différents postes. Je pense que ça veut dire qu’on n’est pas des truffes.

Tu parles de transmission. Entraîner, c’est quelque chose qui te plairait ?Honnêtement, non. Pour l’instant, ce n’est pas dans mes plans. Mon profil se rapproche plus d’un directeur sportif, je pense.

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