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« Je me suis dit : « Si mon cancer est revenu, je monte l’Everest » »

Propos recueillis par Adrien Hémard
9 minutes
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Plus fort que le drapeau de Caen sur le Mont-Blanc, celui de Sheffield United sur le toit du monde. Oui, c’est bien le drapeau d’un club anglais de troisième division qui a été hissé en haut de l’Everest lundi 5 juin. L’œuvre de Ian Toothill, coach personnel de 47 ans, atteint d’un cancer en phase terminale et supporter du grand rival : Sheffield Wednesday. Entretien au sommet.

En 2016, on t’annonce après une rechute de ton cancer aux intestins que tu ne guériras pas. Quelle est ta première réaction ?Quand on a vaincu une première fois le cancer, chaque visite chez le spécialiste est une épreuve, ce n’est jamais une bonne journée. Mais ce jour-là en sortant, j’étais assez misérable, le moral vraiment très bas. Ton esprit est comme la barre de chargement sur l’ordinateur. Tu tournes en rond sans savoir où tu vas. Je n’ai pas dormi pendant plusieurs jours à force de chercher des réponses, j’arrêtais pas de me dire que je devais prendre de meilleures décisions.

En parlant de décision, tu te lances dans un projet fou : monter l’Everest. Comment naît l’idée ?L’Everest me fascine depuis l’enfance. Et puis j’ai toujours fait de l’escalade, mais jamais aussi haut. Là avec le destin que m’a réservé la vie, je n’avais plus le temps d’attendre et donc je me suis lancé dans ce projet en grillant les étapes. Je devais le faire. En fait, l’idée est venue la veille de la visite fatidique chez mon spécialiste du cancer : je me suis dit « Si mon cancer est revenu, je monte l’Everest. »

Sheffield United m’a donné beaucoup d’argent. Je leur ai bien précisé que j’étais fan de Wednesday, mais ils m’ont répondu « Sheffield is Sheffield« .

Comment s’est passée la collecte de fonds que tu as lancée pour financer ton projet ?Incroyablement bien ! Mieux que je n’aurais jamais pu l’imaginer ! J’espérais quelques centaines de livres, mais les premiers jours ont été fous. On s’est retrouvé dans le top 6 mondial des levées de fonds, c’était inespéré ! D’ailleurs, on collecte toujours sur mon site.

Combien reste-t-il pour le Macmillan Cancer Support ?Je devrais vérifier, mais environ 45 000 livres je pense.

Tu t’es retrouvé au sommet du monde, avec un drapeau de Sheffield United, alors que tu supportes le rival Sheffield Wednesday. Pourquoi ?Il y a deux explications. La première, c’est que j’ai lancé la levée de fonds un week-end. Le soir, un ami fan de Sheffield United me demande où trouver le site. Je savais qu’il était dans un pub, donc qu’il était saoul, enfin un samedi soir normal quoi. Du coup, je lui ai dit en déconnant : « Si tu mets 1000 livres, je plante le drapeau de Sheffield United en haut de l’Everest. » Quelques minutes après, j’ai reçu un screen de son téléphone, il l’avait fait ! La deuxième vient d’un autre ami qui m’a mis en relation avec le propriétaire de Sheffield United, qui m’a appelé de Hong-Kong. Il m’a dit que le club voulait m’aider, et ils l’ont fait. Sheffield United m’a donné beaucoup d’argent. Je leur ai bien précisé que j’étais fan de Wednesday, mais ils m’ont répondu : « Sheffield is Sheffield. »

Ça fait quoi d’amener ton club rival au sommet du monde ? C’était pas si étrange que ça. Je suis un fan de Wednesday, mais certains de mes amis sont pour United. De toute façon, Sheffield est ma ville de naissance. Quand tu y es, c’est United vs Wednesday, mais quand tu en es loin, tu es juste fier de ta ville. Ça ne m’a pas dérangé, je l’ai beaucoup mieux vécu que ce que je pensais, même si j’ai pris pas mal de vannes. Mes potes supporters de Wednesday m’ont supplié de jeter le drapeau.

D’ailleurs, elle vient d’où cette passion pour Sheffield Wednesday ? Petit, ma classe était divisée en deux. Un jour, Sheffield Wednesday a été promu, les journaux en parlaient beaucoup. OK, ils ne gagnaient pas la Coupe d’Europe, mais ils étaient dans les journaux et c’est comme ça que ça a commencé.

Les sherpas maîtrisaient le vocabulaire de l’escalade. On a juste parlé oxygène, escalade et mort.

Tu es resté trois semaines au camp de base. Comment s’occupe-t-on à 5800 mètres d’altitude ? La montée dure deux mois, plus ou moins dix semaines pendant lesquelles le corps humain doit se faire à l’altitude. Du coup, tu fais l’ascenseur pendant des excursions de plus en plus hautes. À part ça, tu te fais un peu chier. On se retrouvait dans des grosses tentes, de dix mètres sur cinq. On y mangeait et on y passait tout notre temps. D’ailleurs, il faisait trop chaud dans ces tentes, paradoxalement. On se croyait au Maroc ! On parlait, déconnait, beaucoup sur le foot même sans être au courant de l’actualité, parce que bizarrement, il n’y avait pas de wifi. Finalement, c’est les meilleurs moments de la montée.

T’as pu y taper un petit foot ?Non, parce qu’on était sur un glacier avec des pierres partout. Même en marchant, on pouvait se casser la cheville. On y a pensé quand on s’ennuyait, mais ça aurait été con de se blesser et de manquer la montée pour un petit foot…

Dans ton ascension, étais-tu accompagné de sherpas ?Non, je suis monté seul, mais toutes les équipes sur l’Everest sont accompagnées de sherpas. Je n’en avais pas de personnel, mais beaucoup de personnes en ont. Une fois, j’ai été aveuglé par la neige, littéralement, et un sherpa m’a aidé à redescendre, alors qu’il ne me connaissait pas. Ils sont géniaux.

Est-ce que t’as parlé foot avec eux ?Le niveau d’anglais des sherpas n’est pas fou, seulement deux parlaient plus ou moins la langue. Enfin, ils maîtrisaient le vocabulaire de l’escalade. On a juste parlé oxygène, escalade et mort.

Dans quel état d’esprit étais-tu pendant l’ascension ? (Il hésite) Chaque alpiniste réagit différemment. Là, mes motivations étaient probablement différentes de celles des autres alpinistes. Ça a été déterminant. J’avais établi des stratégies si les choses allaient mal, j’avais toujours un plan. Mon état d’esprit variait, parfois j’étais très apeuré, parfois trop pensif, mais le plus souvent très heureux et conscient de ma chance. Je vivais un rêve éveillé et je devais être conscient de la chance de le faire.

On était à 7 900 mètres (…) et il y a eu une grosse tempête. (…) J’ai sauvé le drapeau de Sheffield United.

Que s’est-il passé pour ton compagnon de route Leslie Binns ?On était à 7 900 mètres, on était confiants, et il y a eu une grosse tempête. Notre tente a été perdue, on a perdu notre équipement, il nous restait juste de l’oxygène. J’ai eu plus de chance parce que j’ai sauvé mon sac à dos, ma tenue et le drapeau de Sheffield United. Mais la situation est devenue critique. On a dû redescendre mille mètres. Leslie n’a pas voulu remonter, il était en état de choc. Je le comprends, il n’y a aucune honte à renoncer.

Quel est le pire souvenir de l’ascension ?Normalement, les gens mettent huit à dix heures du camp trois pour atteindre le sommet. Tu pars à minuit dans le noir, ça prend normalement cinq heures pour redescendre. Mais il y a eu une grosse tempête, ça nous a pris dix heures, sans manger, sans boire, dans le froid, au sommet de l’Everest, sans savoir par où passer. Tu sais que tu vas être là des heures. C’est ça le pire souvenir : l’incertitude.

À l’inverse, le plus beau ?C’est aussi une question difficile. Finalement, ce n’est pas l’arrivée au sommet le plus drôle. Les meilleurs moments, ce sont ceux de bon temps avec les amis, même si le plus heureux, c’est pendant l’escalade finale. Je ne pouvais plus sentir mes pieds, j’ai demandé l’avis d’un des leaders, et il m’a dit de redescendre pour faire revenir le sang dans mes pieds. J’étais à cinq heures du sommet, ça faisait deux mois que j’étais parti. J’arrive en haut d’une section, je me suis assis, le sang est revenu dans mes pieds d’un coup. Je n’arrivais pas à y croire d’avoir une deuxième chance. J’ai exulté seul parce que à ce moment-là, j’ai su que j’irais au bout.

La priorité, c’est de me reposer, manger, dormir, et ne pas trop penser à ce qui va se passer après.(…) Mais j’ai un cancer, je vais devoir l’affronter.

T’avais fait quoi comme ascensions avant ?Pour l’Everest, le plus gros problème, c’est l’altitude. Avant, j’ai fait deux montagnes himalayennes à 6 000 mètres pour me préparer. Si j’étais resté en Europe, je n’aurais pas pu le faire convenablement, les Alpes sont trop basses.

Justement, quelle préparation as-tu menée ?C’est mon domaine, je suis entraîneur personnel. Du coup, j’ai fait des recherches, travail aérobic, des exercices de renforcements. Une fois, j’ai marché six heures avec un sac à dos de 30 kg dans Londres. Je suis aussi allé dans les montagnes écossaises faire six heures d’escalade. Et ensuite avant l’Everest, je suis allé à Katmandou, je me suis entraîné sur la face sud pendant une semaine, avec des gros trecks pour m’habituer à être dans le rouge. J’ai aussi beaucoup surveillé ma nutrition.

Au vu de ta maladie, est-ce que tu avais des pris des dispositions spéciales pour l’ascension ?Non. Généralement, tu prends une assurance pour être évacué au cas où, et pour couvrir les coûts hospitaliers. Mais à cause de mon cancer, je n’en ai pas trouvée. La compagnie qui m’a fait escalader était très compréhensive et m’a accepté sans assurance.

Tu avais déclaré vouloir « prouver que rien n’est impossible » . Quel autre message as-tu voulu délivrer ? J’ai dit une fois que rien n’était impossible. Mon point de vue, c’est que tout le monde est capable de bien plus qu’il ne le pense. Les gens ont une trop forte relation avec le temps, il faut arrêter de repousser les projets parce qu’on ne sait jamais ce qui va arriver. J’en suis la preuve, non ? Mon message, c’est : quitte ton boulot, t’inquiète pas, et peu importe ton projet, fais-le !

Les gens ont une trop forte relation avec le temps, il faut arrêter de repousser les projets.

Après être grimpé sur le toit du monde, c’est quoi le prochain défi ?Maintenant, je veux juste récupérer du poids, parce que j’ai perdu pas mal de muscle. J’aimerais retrouver la santé, ça a été assez brutal comme expérience. Une partie de l’ascension est d’ailleurs appelée la death zone, j’y ai passé deux fois plus de temps que la moyenne. Donc là, la priorité, c’est de me reposer, manger, dormir, et ne pas trop penser à ce qui va se passer après. C’était top de ne penser qu’à ça depuis février, et d’oublier ma maladie. J’adore ne rien faire pour quelques jours là. Mais j’ai un cancer, je vais devoir l’affronter.

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