- Espagne
- J11
- Barcelone-Real Madrid
Saviola : « Un derby de Séville est bien plus chaud qu'un Barça-Real »
Avant-centre de l'AS Monaco au cours de sa longue carrière, Javier Saviola fait surtout partie de cette rare caste de footballeurs à être directement passés du Barça au Real Madrid. Avant le premier Clásico de la saison, El Conejo plonge dans ses souvenirs.
En Amérique du Sud, la passion se vit-elle différemment pour un Clásico ?
À Barcelone ou à Madrid, les gens vivent les Clásicos d’une manière beaucoup plus tranquille qu’en Amérique du Sud. Que tu gagnes ou que tu perdes, la vie continue le jour suivant. Chez nous, la pression des hinchas est bien plus forte. Cela se répercute sur les joueurs qui vivent des moments compliqués la semaine avant le match. La pression s’étend jusque dans ta famille ou tes amis, c’est très difficile à gérer sur le plan émotionnel. À titre de comparaison, je me souviens que les Benfica-Porto ressemblaient davantage à tout ça. J’ai aussi connu le Séville-Betis. Et là, j’avoue que ça m’a complètement surpris. On se rapproche beaucoup plus de ce qui se vit en Argentine au niveau de la passion. Un derby de Séville est bien plus chaud qu’un Barça-Real. Bon, après, sur le plan médiatique, le Barça-Real est loin devant les autres à l’échelle internationale. Quand je rentrais chez moi, je me sentais privilégié d’avoir participé à cette rencontre avec une quantité aussi forte de Ballons d’or sur le terrain : Rivaldo, Beckham, Figo, Zidane…
En 2003-2004, tu participes au premier Clásico de Ronaldinho et à la victoire du Barça sur la pelouse du Real (1-2), qui marque le début de l’hégémonie du Barça sur son rival…. De quoi te souviens-tu dans ce match ?
C’était un match charnière dans le sens où nous avons vu l’arrivée d’un joueur de classe mondiale et le désir d’imposer le football prôné par le Barça. Ensuite, l’arrivée de Guardiola comme entraîneur a définitivement entraîné le règne du Barça, car il s’agissait de l’une des meilleures équipes de l’histoire de ce sport. La supériorité du Barça ne faisait plus débat, leur football était exquis et différent de celui proposé par les autres.
Tu as entraîné Lamine Yamal et Marc Guiu chez les U19 du Barça. Penses-tu que le club peut atteindre une nouvelle hégémonie avec sa nouvelle génération issue de la Masia ?
Guardiola a formé cette génération de champions dans laquelle Xavi, Iniesta, Busquets ou Messi avaient un rôle fondamental. Cela a rendu heureux les fans du Barça. C’était incroyable de les voir jouer et même de jouer contre eux, ce que j’ai pu faire lors de mon passage au Real. Si nous ajoutons aussi la période de Johan Cruyff, nous voyons que le Barça règne selon des cycles. Je n’ai aucun doute sur les qualités aussi bien techniques que professionnelles de Lamine et Marc et aussi leurs ambitions. Ils ont envie de manger le monde ! Marc est un finisseur, Lamine fait partie de ces joueurs qu’on ne voit émerger qu’une fois de temps en temps. Contre le Chakhtar, à chaque fois qu’il touchait le ballon, un murmure passait dans les travées du stade. C’était la même chose avec Messi…
Tu avais également commencé ta carrière très tôt à River. Quels sont les risques d’arriver très jeune dans le milieu du football ?
Quand j’ai vu Marc inscrire son premier but dès ses premières minutes chez les pros sous le maillot du Barça, cela m’a rappelé mes débuts à River. Quand cela t’arrive à 16 ans, ta vie devient complètement chamboulée. Le pire qu’il puisse arriver, c’est de tomber dans le jeu des comparaisons. Quand je suis arrivé au Barça, j’avais subi ce traitement médiatique. Il faut éviter de croire tout ce qui se raconte. Annoncer que Lamine est le successeur de Messi par exemple, pfff… Imagine-toi, c’est Leo Messi, l’un des meilleurs footballeurs de tous les temps. Le poids à porter est lourd. Dans ce cas de figure, le footballeur capable de prendre le plus de distance par rapport à ces comparaisons est celui qui va aller le plus loin. Lamine garde la tête froide et les pieds sur terre. J’espère qu’il ne changera pas, car sa carrière reste encore à faire. Mais au départ, il faut savoir gérer ce changement de dimension.
Depuis le départ de Cristiano Ronaldo et Messi, le Clásico n’est pas encore arrivé à combler le vide laissé par ces deux stars. Penses-tu qu’un joueur sera capable de prendre le relais dans les mêmes proportions ?
Le niveau atteint par Messi et Cristiano Ronaldo ne sera plus atteint par personne d’autre. Ils ont tellement marqué de buts que le seul fait de les rejoindre en matière de statistiques semble presque impossible. Par contre, Vinicius ou Lamine Yamal peuvent parfaitement se transformer en acteurs principaux de ce duel durant les prochaines années.
La santé mentale est de plus en plus évoquée dans le milieu du football. Quelle est ton expérience vis-à-vis de cette thématique ?
J’ai commencé la psychologie sportive à partir de 2001, cela venait d’arriver dans notre discipline. Mon psy s’appelait Marcelo Roffé. Par la suite, il a travaillé au sein de la sélection colombienne avec José Pékerman, mais aussi les U17 et U20 argentins. Personnellement, cela m’a énormément aidé. Les jeunes doivent avoir ce soutien psychologique, notamment sur ce dont nous parlions tout à l’heure avec les comparaisons, les sollicitations. Avoir un guide dans ces circonstances pour emprunter le bon chemin, c’est fondamental. Désormais, la psychologie fait partie intégrante de tous les clubs et c’est une excellente nouvelle. En 2015, j’ai eu la possibilité d’expérimenter les bienfaits d’une neuropsychiatre.
Lors de ton titre olympique à Athènes avec la sélection, tu es entraîné par Marcelo Bielsa. Qu’as-tu appris avec cet entraîneur ?
Marcelo est spécial. Grâce au Loco, j’ai pu apprendre encore plus sur le football et toute la passion qui l’entoure. Bielsa est capable de te faire passer 24 heures complètes à ne penser strictement qu’au ballon de football, il souhaite te transmettre ses connaissances. Je dis toujours qu’il est comme un professeur d’université du football. Il nous expliquait tous nos entraînements pour comprendre le sens des exercices. Au moment de préparer les matchs, il donnait l’impression d’avoir un ordinateur incrusté dans sa tête. Il nous expliquait en détail comment allaient se passer l’avant-match, le match et l’après-match. C’était franchement impressionnant. Nous avions une grande admiration pour son travail et nous savions que son intelligence était bien supérieure à la normale. Tous les joueurs argentins passés entre les mains de Marcelo Bielsa ont appris grâce à son savoir, et notamment ceux qui ont décidé d’entraîner ensuite. Il est l’un des meilleurs entraîneurs que j’ai pu connaître.
Tu as joué pour le Barça jusqu’à l’été 2007, puis tu es passé au Real à partir de la saison suivante. Qu’est-ce que cela fait de revenir au Camp Nou avec le maillot du rival sur les épaules ?
Je l’ai pris avec beaucoup de professionnalisme. Au total, j’ai passé cinq saisons complètes au Barça et je n’en garde que des bons souvenirs. Le club m’a traité merveilleusement bien, c’était mon premier club en Europe et je leur suis extrêmement reconnaissant. Le Real Madrid, c’était l’opportunité de poursuivre ma carrière au très haut niveau. Nous parlons de l’un des plus grands clubs du monde… Ce que je retiens de ce choix, c’est le respect que les gens ont pu avoir à mon égard. Je n’ai jamais eu à me plaindre d’être passé au Real Madrid car j’ai toujours respecté le maillot que je portais.
Mais est-ce que tu aurais pu faire la même chose en passant de River à Boca ?
(Direct.) Oh non ! Je suis né près de River, j’ai grandi grâce à ce club et j’ai eu la possibilité de jouer pour le club dès mes 8 ans. C’était juste impossible d’imaginer jouer pour Boca… Les expériences du Barça et du Real, je les ai perçues de manière différente. Le Real est venu se renseigner sur mon profil, j’arrivais en fin de contrat et c’était une solution pour continuer d’envisager une trajectoire ascendante à ma carrière.
Tu as dit que tu avais beaucoup aimé ta vie à Monaco, notamment à travers les activités comme la Formule 1 ou le tennis, où tu rencontrais des acteurs ou des chanteurs. Quelles sont les célébrités marquantes que tu as pu rencontrer lors de ton passage en Principauté ?
Honnêtement, je n’avais jamais imaginé vivre une expérience comme celle de Monaco. Pour la Formule 1, c’était incroyable de les voir passer aussi près de nous ! Sur le plan du football, c’était aussi un autre monde. Que ce soit à River Plate ou au Barça, il y avait toujours énormément de monde pour assister à nos matchs ou nos entraînements. À Monaco, j’ai connu la tranquillité. C’était un endroit pour passer du bon temps et rencontrer des célébrités. Un jour à Monaco, j’étais allé manger au restaurant avec ma mère. Michael Jordan était à la table juste à côté de la mienne… Au début, je ne pouvais pas le croire ! J’ai dû le regarder deux ou trois fois avant d’être certain que c’était lui. Sur le plan sportif, c’était mon idole. Le voir juste là, prendre une photo à ses côtés et pouvoir discuter un petit peu ensuite, tout cela est gravé dans ma mémoire.
Quel scénario vois-tu pour ce Clásico ?
Le Barça va devoir gérer plusieurs indisponibilités dans son effectif, il y a cette incertitude qui plane autour de João Félix et Robert Lewandowski. Dans l’autre camp, le Real Madrid arrive en pleine possession de ses moyens, les joueurs se sentent bien physiquement. Bellingham, Vinicius ou Fede Valverde sont à un niveau extraordinaire actuellement. Maintenant, l’atmosphère du Clásico est toujours particulière, tous les joueurs seront motivés par ce duel. Je vois un match nul 2-2 spectaculaire. Il y aura des buts, et le suspense va se maintenir sur la distance entre les deux équipes.
Propos recueillis par Antoine Donnarieix