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Javier Pastore, le Flaco qui pèse tout là-haut
Grand oiseau au corps maigre et aux fines ailes, Javier Pastore dépose en France ses petits ponts à prix d'or en juillet 2011. Mais après un décollage rapide et élégant, il freine brutalement : sa classe ne suffit pas pour aller plus haut dans le ciel français. La presse râle, le public siffle, et l'entraîneur sévit. Après trois saisons de chutes et de redémarrages, on croyait bien que le drôle d'oiseau n'allait jamais déployer ses ailes à Paris. L'été dernier, il aurait même pu tristement partir vers d'autres cieux impatients d'accueillir sa géniale fragilité. Mais cette saison, l'Argentin s'est imposé dans l'entrejeu parisien avec talent et autorité. Autrefois timide et effacé, le provincial de Córdoba est même devenu l'Argentin qui touche le plus de ballons en Europe, et l'Argentine en redemande. Toujours aussi maigre, le Flaco pèse infiniment plus.
Le dernier match perdu par le Paris Saint-Germain contre l’Olympique de Marseille remonte au dimanche 27 novembre 2011. Quatre mois après le début du projet de Leonardo, Antoine Kombouaré aligne une formation hybride pour un PSG qui gamberge entre son passé combatif et son futur stellaire : Sirigu ; Jallet-Lugano-Sakho-Armand ; Sissoko-Matuidi ; Ménez-Pastore-Nene ; Gameiro. Au centre de ce schéma, la technique et le flair de l’Argentin Javier Pastore, qui avait commencé par faire de la Ligue 1 son jardin vers la fin de l’été. Mais sous les effets des premiers souffles de l’hiver marseillais, au Stade Vélodrome, le léger Pastore coule sous la densité de la paire M’Bia-Diarra. En tout, 21 petites passes et seulement 47% de passes réussies… À la 58e minute, c’est déjà fini pour le volatile. La tête baissée et les ailes rangées, Pastore et Gameiro laissent leur place à Bodmer et Erding. Et l’impact des travailleurs marseillais, porté par Amalfitano et Ayew, l’emporte 3-0 face à la fragilité des techniciens parisiens.
La longue traversée des nuages
Durant trois saisons, Pastore traverse les pelouses de Ligue 1 comme un drôle d’oiseau et subit chaque turbulence comme un nouveau coup d’arrêt. Plus talentueux que personne, mais pas aussi dominant que Zlatan Ibrahimović. Impliqué, mais avec moins d’impact que Blaise Matuidi. Et enfin influent sur le jeu, mais pas aussi ingénieux que Thiago Motta. Entre les doutes d’une presse qui n’arrive pas à le comprendre, et un public qui rejette toute forme de faiblesse, même quand elle en vaut la peine ; entre l’attaque et le milieu, très souvent sur le côté, trop souvent dans la zone d’influence de Zlatan, et jamais avec assez de ballons, Pastore s’essouffle à se chercher.
Le 27 devait être un neuf et demi moderne affichant plus de 10 buts et 10 passes décisives par an. Mais il reste ce spécimen discontinu, dont la seule constance est la production de coups de génie. Pastore conservera toujours le monopole de l’invention de son côté, mais ce PSG se construit et a besoin de fondations plutôt que d’ornements. À la fin de la saison dernière, Javier Pastore est ignoré par Laurent Blanc à Stamford Bridge, malgré l’éloquence de son génie au Parc. Remplaçant, même pas luxueux, l’Argentin est annoncé sur le départ et perd sa place au Mondial brésilien. Il a alors le choix entre trois options. Partir vers un ciel où les vents sont plus chauds. Rester et insister sur sa façon de faire les choses, quitte à mourir dans les nuages. Ou rester et mettre tout le monde d’accord, pour voir enfin le soleil.
Soleil et vitesse de croisière
Avec la bénédiction de Laurent Blanc, et malgré le trio Matuidi-Verratti-Motta, l’influence de Zlatan dans l’élaboration parisienne et la concurrence musclée de Lucas et Lavezzi, l’oiseau choisit la troisième option. La transformation est statistiquement remarquable. Pour sa première saison à Palerme, El Flaco distribuait 32 passes par match en moyenne. À Paris, le chiffre était monté à 41 passes lors de sa première saison, très avancé et sans Ibra, puis 51 passes la saison dernière, quand Pastore ne comptait que 17 titularisations et restait seulement le 8e joueur participant le plus dans le jeu parisien, derrière Motta, Verratti, Silva, Maxwell, Cabaye, Matuidi et Marquinhos. Derrière tout le monde, ou presque, donc. Pastore ne faisait que 5 passes de plus qu’Ibra par match (46), qui, lui, trouvait le temps de marquer 26 fois et réaliser 11 passes décisives en tirant 5 fois par match.
Et cette saison ? Une révolution : Javier Pastore réalise 75 passes par match. Un chiffre qui résume à lui tout seul l’évolution de l’animal. Alors que Verratti et Motta sont encore tous les deux à 87 passes en moyenne, quatrième et cinquième des championnats européens, Pastore est le troisième constructeur parisien. Devant les défenseurs centraux, devant les latéraux. Et bien devant Matuidi (42) et Zlatan (41). L’exploit, c’est qu’il réussit là où tout le monde croyait à l’impossible : travailler plus sans perdre son génie. L’oiseau a dépassé les nuages et atteint une vitesse de croisière, tout proche du soleil, mais est surtout resté sauvage. À l’échelle européenne, il se situe à la 13e place des architectes du ballon rond, à une passe d’Andrea Pirlo, et est même devenu l’Argentin réalisant le plus de passes par match en Europe, devant Biglia (70) et Messi (60). Un rôle de milieu intérieur qui lui a aussi permis de chasser quelques doutes dans son pays.
Cohabitation avec Messi ?
Oui, jusque-là, le provincial de Córdoba n’avait jamais vraiment su où se mettre sous le maillot de l’Albiceleste. Dans une équipe incapable d’inventer malgré une armée de créateurs, Pastore n’avait que quelques minutes pour tenter des gestes fous sur le côté, sans jamais pouvoir influencer le jeu argentin. Cette semaine contre l’Équateur, en l’absence de Leo Messi, Tata Martino lui a offert les clés de ses schémas. Devant la paire Mascherano-Biglia comme devant Motta et Verratti, El Flaco a dessiné la majorité des offensives des siens, ponctuant sa prestation par le but vainqueur. Manière et résultat. Efficacité et lyrisme. Sur la Une du quotidien Olé, qui l’annonce comme le lien qui manquait à la Selección, Pastore a mis tout le monde d’accord à deux mois de la Copa América. Un défi autrement plus difficile que celui de son temps de jeu parisien. Pourra-t-il profiter d’un tel champ d’action en présence de Messi ? Qui sait. En attendant, dimanche soir, l’oiseau a une revanche à prendre face au vent marseillais.
Par Markus Kaufmann, à Buenos Aires
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