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Javier Mascherano, une autorité et une évolution
Anomalie au pays des talents insolents, milieu défensif rude à l'époque de Pirlo et Xabi Alonso, Javier Mascherano a longtemps été mal compris. Entre défense centrale et rond central, grinta et lecture du jeu, le vrai capitaine de l'Argentine a passé sa carrière à équilibrer des équipes de dribbleurs à coups de tacles in extremis. Après un Mondial cannavaresque, Mascherano doit maintenant relever le défi de compenser les offensives constantes du trio Messi-Suárez-Neymar. Retour sur la métamorphose du 14, de milieu à défenseur central.
Si le poète et cinéaste italien Pier Paolo Pasolini écrivait qu’il existe des joueurs de prose et des joueurs de vers, l’Europe n’a jamais su comment s’y prendre pour écrire Mascherano. Une arrivée sur le Vieux Continent tachée par l’étiquette « joueur appartenant à un fonds d’investissement » , un échec à West Ham, loin derrière les exploits de Carlos Tévez, et puis Liverpool. Masche séduit Rafa Benítez, mais se réduit à un rôle de pitbull chasseur de ballons. Entre les immenses Xabi Alonso et Steven Gerrard, l’Argentin gagne la réputation d’un Gattuso. Bagarreur, mais limité techniquement. Quand Liverpool tombe en finale de C1 contre le Milan (1-2) en 2007, les supporters des Reds le désignent homme du match : Mascherano se fait surtout remarquer quand son équipe sombre. Et derrière sa dentition d’accroc au maté, l’Europe ne voit pas beaucoup plus qu’un teigneux surdoué du tacle. Et puis, elle écoute Guardiola affirmer que « Mascherano est le meilleur transfert du Barça de ces dernières années » . Quelque chose lui échappe.
« Il ne s’attendait pas à jouer défenseur central, il n’y avait même pas pensé ! »
Quand Javier Mascherano arrive au FC Barcelone pour 24 millions d’euros en août 2010, l’Argentin n’a, à première vue, rien à faire dans le football barcelonais. Mascherano n’est pas Redondo, ni même Cambiasso. En fait, il n’a même pas la technique d’Ever Banega dans les petits espaces. Au pays de Busquets, ce départ a donc des airs de suicide, alors que l’Inter de Benítez lui ouvre les bras. Walter Tamer est l’agent de celui qu’il appelle « Javi » depuis ses 16 ans. Il revient sur cette période : « Pour Masche, au début, c’était assez clair qu’il allait peu jouer au Barça. Avec un crack aussi indiscutable que Busquets à son poste au milieu, il était sceptique. Et le club aussi, car ce n’est pas facile de mettre le capitaine de la sélection argentine sur le banc tous les week-ends. » Néanmoins, l’attitude positive du numéro 14 étonne la Catalogne en conférence de presse : « Aux postes où je peux jouer, il y a trois champions du monde. Et j’ai hâte d’apprendre à leurs côtés. » Lors de son premier match contre Hercules (défaite 2-0), Masche joue milieu et finit par être remplacé à la mi-temps. Barcelone s’affole : l’adaptation semble impossible.
Mais pendant ce temps-là, à l’entraînement, El Jefecito montre de l’autorité et compense son manque de technique par sa lecture du jeu et l’art du tacle. Pep Guardiola lui demande rapidement de « devenir défenseur central » pour combler les absences de Carles Puyol. Alors que le joueur a 26 ans, même ses proches n’ont pas prévu le coup. À River Plate, Leo « El Jefe » Astrada était le mentor de Mascherano. De passage à Buenos Aires pour affronter Boca avec son club paraguayen Cerro Porteño, il revient sur les qualités de son poulain : « Du milieu central, le 5 comme on dit ici, Masche a toutes les qualités : le placement, la présence, le jeu court, la passe en profondeur, la vitesse pour être bon dans le un-contre-un, et puis l’expérience. On ne s’attendait pas à un changement de poste. » Tamer confirme : « Il ne s’attendait pas à jouer défenseur central, il n’y avait même pas pensé ! À Liverpool, Rafa l’avait fait jouer parfois latéral droit, et il s’en était plutôt mal sorti ! Mais tu sais, Guardiola, c’est Guardiola. Ce n’est pas un Walter ou un Markus. Ce n’est pas n’importe qui. Lui, il devait savoir depuis le début. » Pourtant, Pep n’est pas le premier.
L’essai de Bielsa, l’esprit de Simeone et les mots de Zanetti
Miguel Tojo côtoie Mascherano depuis quinze ans au centre d’entraînement de l’Albiceleste. Quand le natif de San Lorenzo s’était présenté pour la première fois à 14 ans, Tojo était l’assistant de Pékerman, alors entraîneur des moins de 15 ans. Il raconte : « Le premier qui l’a fait jouer derrière, c’est Bielsa, lors de la Copa América 2004, au Pérou ! J’avais fait le voyage pour accompagner les sparring partners et je parlais beaucoup avec Marcelo. Pour le match contre la Colombie, il était très inquiet de notre infériorité numérique derrière. Alors, il l’a envoyé au marquage de Tressor Moreno. Masche s’est placé derrière entre Ayala et Heinze. On a gagné 3-0 et Moreno n’a pas touché un ballon. » À Barcelone, Mascherano embrasse donc le défi et se met au boulot. D’une part, le caudillo argentin est né avec l’autorité caractéristique d’un grand défenseur central. Diego Milito, en plein milieu de l’euphorie de son retour au Racing, analyse : « Par l’autorité, l’attitude, la position sur le terrain et la façon de jouer, cette grinta permanente, il fait penser à Diego Simeone. » À Milan, Javier Zanetti corrige son ex-coéquipier : « El Cholo allait plus vers l’avant, il mettait plein de buts. Mascherano a toujours pris plus de recul. Il gérait le pressing, il changeait les rythmes, il parlait tout le temps. Même en tant que milieu, il jouait souvent très bas, donc le changement était naturel. »
D’autre part, jouer défenseur central au Barça est une interprétation unique du poste. Masche gère les situations critiques, les contre-attaques à trois contre deux, les sauvetages, et le ballon passe plus que jamais par ses pieds de relanceur. Cette saison, il réalise pas moins de 85 passes par match en C1, contre 65 avec Liverpool en 2009-10 dans la même compétition. Si Masche le fantassin n’a pas le jeu aérien d’un Puyol, il a l’anticipation, la présence et une force naturelle au duel. Walter Tamer disserte : « Ce poste de défenseur central du Barça est unique. Il n’y a pas une seule autre équipe dans laquelle tu joues avec cinquante mètres de vide derrière toi durant la plus grande partie du match. Une seule erreur technique ou tactique, et c’est fini. T’es condamné. C’est évident que tu apprends beaucoup. Sa progression footballistique, elle a explosé sous Pep Guardiola. L’apprentissage a été énorme. »
Le patron de la défense barcelonaise, et des airs de Baresi
Alors qu’elle devait le condamner, cette période au Barça lui offre un nouveau statut. Il remporte Liga, C1, Mondial des clubs – ses premiers titres en club depuis 2005. Seba Domínguez, défenseur charismatique de Vélez, a connu les deux Jefecito : le fougueux du Corinthians en 2005 et le sage de la sélection en 2011. « Quand il est arrivé au Corinthians, je me rappelle qu’il y avait le Clásico contre Palmeiras. Pour son premier match, il a été élu homme du match. Il les avait complètement annulés. Ça a eu un impact fou : au Brésil, la qualité offensive des milieux de terrain fait toute la différence. Et là, tout le pays s’était rendu compte que Corinthians avait déniché un Argentin défensivement monstrueux. » Puis il reprend : « Mais quand je l’ai retrouvé avec la sélection, le Barça l’avait transformé. J’ai vu un joueur qui était beaucoup plus complet techniquement. Comme défenseur, il est très rapide et très technique. Ça peut lui permettre de jouer encore des années à cette position. » En avril 2012, Pep donne son verdict en conférence de presse : « Mascherano, je ne le changerai jamais. Pour moi, c’est le meilleur transfert du Barça ces dernières années. Il est unique. »
À peine arrivé, Luis Enrique tranche rapidement : Liverpool et Naples sont renvoyés à leurs recherches et Masche signe jusqu’en 2018. En juin, El Confidencial lâche même que le Mister aurait voulu faire du 14 son capitaine. En ce début de saison, Javier Mascherano s’est imposé comme le patron de la défense blaugrana, aux côtés d’un Piqué encore hésitant. Au Bernabéu lors du naufrage des siens (3-1), il aura même donné l’impression d’être le seul homme de la dernière ligne blaugrana. « À peine plus extraverti que Messi en dehors des terrains » d’après son agent et ami, Mascherano est un leader silencieux aux prises de balle éloquentes, dans le style de Franco Baresi. Francesco Coco avait utilisé l’expression de « Maradona de la défense » pour décrire le charisme de l’Italien sur le terrain, quand ils jouaient tous les deux au Milan entre 1995 et 1997. En 2018 en Russie, il se pourrait que Mascherano soit le Passarella de l’Argentine, ou son Cannavaro. Il aura 34 ans, comme Baresi en 1994. Tous propos recueillis par MK, à l’occasion du portrait de Mascherano à lire dans le dernier SO FOOT n°122 (sauf indiqué)
Par Markus Kaufmann, à Buenos Aires
À visiter :
Le site Faute Tactique
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