- Éliminatoires Euro 2016 – Groupe H – J8 – Azerbaïdjan/Malte
« Javid Huseynov m’a tuer »
Il a osé critiquer le comportement de l'attaquant et capitaine du FK Qabala, il en est mort. Rasim Aliyev est le quatrième journaliste assassiné ces dix dernières années en Azerbaïdjan.
Sur la plupart des photos officielles, il sourit. Visage carré, généralement mal rasé, Javid Huseynov est un attaquant accrocheur, parfois rageur, mais de là à se retrouver impliqué dans une affaire de meurtre ? Nous sommes le 6 août dernier, match retour de barrages de Ligue Europa entre le FK Qabala, formation d’Azerbaïdjan, et l’Apollon Limassol. Après s’être chauffé avec plusieurs joueurs adverses et avoir adressé un bras d’honneur aux journalistes la semaine précédente, Javid donne la qualification à son équipe. Et en fin de match, il célèbre ça en arborant à bout de bras un drapeau turc.
Javid Huseynov: Αυτό είναι το αζέρικο τουρκόψυχο κτήνος που δολοφόνησε τον δημοσιογράφο http://t.co/Zzu0J6Zc0c pic.twitter.com/XSUUbCxINP
— olympiada (@olympiada) 11 Août 2015
Seul problème : Limassol est une équipe chypriote, et le pays est en froid avec la Turquie. Alors forcément, ça passe pour une provocation. Et quand un journaliste chypriote demande à Rasim Aliyev, un confrère azéri, sur Facebook d’expliquer le geste du joueur, il répond : « Il ne sait pas se comporter. Je ne veux pas qu’une personne aussi mal élevée et immorale ne représente mon pays. » Deux jours plus tard, un homme se présentant comme le cousin du joueur appelle Rasim et l’insulte, avant de changer de ton et de lui proposer une réconciliation autour d’une tasse de thé à Bakou, capitale du pays. Rasim, hésitant dans un premier temps, finit par s’y rendre. Six personnes l’attendent et le passent à tabac. Côtes cassées et graves blessures à l’oreille gauche dégradant fortement son audition, Rasim meurt dans la nuit d’une hémorragie interne. Sur son lit de mort, il accuse Javid Huseynov.
Pressions, connexions et présomption d’innocence
Le lendemain, le FK Qabala annonce la suspension de Javid. Trois personnes sont ensuite arrêtées pour « coups et blessures intentionnelles ayant entraîné la mort » . Dont Javid qui dort actuellement en prison. Mais la famille de la victime craint la tournure que peut prendre l’enquête. Asabali Mustafayev est leur avocat : « Les charges retenues contre Javid sont très légères. Il y a même une rumeur comme quoi il pourrait être relâché. Si nous n’obtenons pas une enquête convenable, nous amènerons cette affaire à la Cour européenne des droits de l’homme. Nous nous battrons jusqu’au bout. On espère au moins trois ans d’emprisonnement pour Javid et cinq pour ses amis qui l’ont tué. » Car dans le 162e pays sur 180 en matière de liberté de la presse (classement établi par Reporters Sans Frontières), rien ne se passe jamais comme prévu. Depuis quelques mois, Rasim, journaliste freelance très politisé, était la cible de menaces et d’agressions en tous genres. Sur Facebook, le 25 juillet dernier, il avait lancé un appel à l’aide : « Chers amis, savez-vous où je dois porter plainte si je reçois des menaces et que je suis intimidé sur les réseaux sociaux ? » Et en cherchant un peu, on trouve aussi quelques vidéos et photos de lui victime de violences policières sur Internet.
Azerbaijan: Journalist Rasim Aliyev murdered @indexcensorship https://t.co/ATrY8f5SYC pic.twitter.com/DwOmusuDJ6
— Index on Censorship (@IndexCensorship) 10 Août 2015
Autre problème de poids, le président du FK Qabala s’appelle Taleh Heydarov. C’est le fils du ministre des Situations d’urgence. Autrement dit, il a le bras long. Asabali Mustafayev : « Les relations de cette équipe sont plus fortes que la loi et la justice. » Et si l’implication de Javid dans cet assassinat reste encore à prouver, ses coéquipiers n’hésitent pas à lui apporter leur soutien.
Qəbələ futbolçuları qolu Cavid Hüseynov’a həsr etdi #aztwi pic.twitter.com/tjJnWSh12R
— Azerbaijan Football (@azfutbolu) 15 Août 2015
Ce dimanche à 18h, Malte accueille l’Azerbaïdjan. Un match comptant pour les éliminatoires de l’Euro 2016. Mais aucune minute de silence, aucune minute d’applaudissement, ni aucune autre forme de recueillement n’a été prévue pour le moment.
Par Ugo Bocchi