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Javi Poves, le renégat
En août 2011, Javi Poves quitte le football après 12 minutes de jeu, à 24 ans. Le jeune homme ne veut alors plus se « prostituer ». Il va voyager, étudier, hésiter. Désormais, il n'aspire qu'à la tranquillité. Parcours d'un indépendant.
« Tout ça {les Indignés}, c’est bien gentil, mais ce qu’il faut, c’est foutre le feu aux banques et couper des têtes. » Ces mots prononcés en septembre 2011 ont fait parler de lui. À l’époque, Javier Gómez Poves est un écorché vif. Il refuse la voiture du club, demande à ne pas être payé en virement pour ne pas alimenter le système bancaire, arbore une coupe joliment punk. Quelque chose de relativement normal pour un jeune homme de 24 ans dans l’Espagne en crise, nettement plus rare dès lors que son métier est de jouer au football. Sauf que, déçu de ne pas pouvoir philosopher avec ses coéquipiers sur le nettoyage éthnique de la Palestine ou sur l’alimentation ou la troisième médecine, il décide de tout plaquer et de se barrer.
L’homme qui voulait bourlinguer
En fait, son idée première à la rentrée scolaire 2011 est de reprendre des études d’histoire. Mais il réalise que la Terre en a, des histoires à lui raconter, de l’expérience à lui donner. De toute façon, il a conscience d’être déjà un peu paumé : « Croire, croire, croire… Je ne sais pas que croire à 100%. » Alors, quitte à ne pas savoir où il en est, il s’en va se perdre dans le vaste monde. Sa bourlingue dure trois ans et 35 pays. Le Sénégal pour commencer. Il y attrape la malaria, mais « en guérit sans médicaments, mais aussi de la stupidité du monde dans lequel nous vivons » . Il enchaîne avec le Mexique, puis Cuba, Venezuela, et toute l’Amérique latine. Influençable mais esprit libre, il rejette le modèle Castro dans lequel il ne voit des sourires que pour les touristes, pour au contraire embrasser les idéaux de la révolution bolivarienne de Chávez. Il dort dehors au Cambodge, sur la plage au Brésil. Il rencontre sa copine, vit avec elle à Cuba ou Buenos Aires. Elle est russe, il part avec elle vivre en Sibérie. Finit par aller barouder en Iran.
Ce n’est pas un hasard. Aux premiers jours de sa retraite, en 2011, il confiait son attrait pour l’Islam : « J’adorerais aller en Iran, c’est mon rêve. (…) L’islamophobie qui est en train de gagner le monde, jamais je n’ai pu en discuter avec un coéquipier. » Il revient de Perse avec l’idée discutable que la femme y a plus de libertés que dans le monde occidental, et surtout avec une volonté profondément ancrée de se convertir à la religion musulmane : « J’ai compris que l’Islam est proche de ma manière de conceptualiser le monde. Les personnes qui sont capables de comprendre ce que signifie l’Islam peuvent être plus heureuses. J’aimerais qu’on comprenne que l’Islam ne signifie pas terrorisme, bombes et Ben Laden » affirme-t-il à son retour.
Payer ses chaussettes et partir à la ruine
Sa nouvelle religion ne lui fait pas totalement oublier le ballon. Javi Poves retrouve les terrains avec l’Union Deportiva San Sebastián de los Reyes, en 3e division espagnole. Car ce n’était pas tant le foot qu’il a fui, que le système qui l’entoure. En 3e division, « qui ne {lui} permettrait même pas de payer ses chaussettes » , il retrouve « le foot de son enfance » . Mais le retour à l’enfance est de courte durée : entamée en août 2014, sa relation avec l’UD Sanse se termine dès décembre 2014. Six mois plus tard, personne au club ne sait ce qu’est devenu leur ex-joueur. De fait, Javi Poves désire désormais la jouer perso. À la Cadena Ser en avril 2015, il déclare rechercher une vie plus tranquille : « Je renie le système et l’anti-système. L’anti-système aussi cherche à se reproduire. »
Car c’est bien de cela qu’il s’agit, d’un homme tourmenté. Toujours à la Cadena Ser, il confie « ne pas savoir de quel côté pencher » : « Peut-être qu’on va me considérer comme un traître parce que je vais au théâtre et que, parfois, j’y vais même en taxi. » En même temps, il n’a pas de voiture. Après avoir songé à un commerce équitable, il veut s’orienter vers le design et la création. Il a quitté sa crête, son regard clair est naïf et mobile, comme ses idées : « Quand je disais qu’il faut couper des têtes, évidemment c’était fou, mais celui qui utilise ses neurones comprendra qu’il faut modifier radicalement notre organisation, notamment au niveau financier. » L’écorché est apaisé, un peu. Il a même des projets d’avenir : « Dans quelques années, j’essaierai d’être le chef du gouvernement, bien que si je le suis, nous allons partir à la ruine en deux minutes. Donc je ne voterai pas pour moi. » Javi Poves est un rêveur, mais un rêveur conscient.
Par Éric Carpentier
Propos de Javi Poves extraits de So Foot (2011), Radio Cadena Cope (2011) et Publico (2014).