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Jardim, cueilli par l’automne

Par Chris Diamantaire
4 minutes
Jardim, cueilli par l’automne

Leonardo Jardim vient d'être démis de ses fonctions un peu plus de quatre ans après son arrivée sur le Rocher. Il laisse derrière lui un bilan qui demeurera dans l'histoire. La fin de la sienne, aussi brutale qu'inéluctable, ressemble à l'un des plus grands tournants de l'ère Rybolovlev.

Il arrive parfois que l’on brise sciemment ses propres rêves. Le 20 mai dernier, au terme d’un championnat haletant qui avait vu l’AS Monaco redevenir un dauphin à la fois docile et solide, Vadim Vasilyev, pourtant comblé par la réalité, n’avait pu s’empêcher d’exprimer un désir onirique : faire de Leonardo Jardim le Sir Alex Ferguson du club princier. La parole de Vasilyev ne doit jamais être prise pour argent comptant. C’est un principe vital pour la santé mentale de n’importe quel supporter de l’ASM. Pourtant, aussi exercé soit-il à l’art de la manipulation médiatique, il n’est pas interdit de penser que le vice-président monégasque croyait réellement à ce songe partagé dans les couloirs du Stade de l’Aube.

Après quatre saisons assez différentes les unes des autres, mais unies par le sceau des résultats, pour tous, il aurait presque été indécent d’envisager le crépuscule de l’ère Jardim, d’en chercher les signes. Ils étaient là. Mais ils étaient là aussi la saison qui a précédé un titre de champion et une demi-finale de Coupe d’Europe, sans doute la plus pénible de celles que l’entraîneur portugais a menées jusqu’au bout.

Rupture conventionnelle

Il ne faut pas se laisser tromper par l’émoi, croire que l’éviction de Jardim est une injustice froide, un coup de poignard dans le dos d’un homme qui portait seul sur ses épaules un modèle. Jardim n’est pas plus une victime qu’un coupable. Ce serait lui manquer de respect que de l’imaginer. Son éviction est une poignée de mains entre personnes responsables, séparées par le mouvement perpétuel qu’exige le football. Éreinté par la course permanente aux résultats, un entraîneur a parfois besoin de reprendre son souffle pour en insuffler un nouveau ailleurs. Un club n’a pas de répit. Il doit avancer, toujours, quitte à emprunter parfois de mauvais détours. Jardim reste à quai car il n’avait plus les idées pour faire voyager son équipe.

Il y aurait beaucoup à redire sur la radicalité de certains virages pris par la direction monégasque. Évidemment que l’effectif s’est terriblement appauvri ces deux dernières saisons, que le milieu de terrain a été saccagé, que la défense et l’attaque n’ont pas été suffisamment rénovées. Mais Jardim connaissait l’état des lieux. Il le répétait sans cesse. Il a épousé le fameux « projet » , l’a souvent magnifié, en tirant les louanges qu’il méritait, aimantant aussi avec malice une certaine indulgence à d’autres occasions. En acceptant le pillage continu de ses troupes, il s’est forgé une armure de héros, mais s’est aussi rendu complice de sa propre chute.

Qui vit par les résultats meurt par les résultats

Le paradoxe de l’ère Jardim est qu’elle aura été traversée par une impression de mépris du style, tout en ayant connu en son cœur peut-être la plus flamboyante des équipes monégasques. Monaco n’a jamais su conquérir de titres autrement qu’en jouant avec panache. Plus encore que ses illustres prédécesseurs, l’entraîneur portugais aura su ajouter à cette parenthèse folle de son mandat le sang-froid méthodique sur lequel il s’est appuyé les autres saisons. La pénible série de dix matchs sans succès sur laquelle s’échoue son histoire n’y changera rien : Jardim est un aimant à victoires. Il est allé la cueillir de toutes les façons possibles. Par la rigueur, le courage, l’ennui, la folie et même – il en faut – la chance. Ses résultats ont parfois excédé le contenu, sans qu’on ne sache vraiment s’il faut le lui reprocher ou l’en féliciter. La force de l’habitude l’ayant abandonné pour sa cinquième saison en Principauté, sous-performant de façon aussi extrême qu’il avait sur-performé, il ne pouvait cette fois retrouver l’équilibre. Sur un fil instable tout au long de son aventure, il a su attraper les plus grands exploits, sur un match ou une saison, mais également dû essuyer quelques humiliations trop exceptionnelles pour être signifiantes. Comme celle de Wenger et bien d’autres, son histoire sur le Rocher aurait sans doute mérité de s’achever autrement. Le grand roman de l’AS Monaco est rempli de ces rebondissements qui cabossent les têtes sans écorner les souvenirs. Leonardo Jardim appartient désormais au passé. Mais sa légende est née.

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