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James Rophe, le lien des ultras
À l’annonce du décès de James Rophe (44 ans, porte-parole des supporters parisiens et français) le 29 avril, les hommages se sont multipliés dans le monde du football. De la part du PSG et de ses fans, mais aussi des supporters de tout le pays, de la ministre des Sports, de la LFP, de joueurs ou de journalistes sportifs. Ceux qui l’ont connu le racontent, et expliquent le rôle essentiel qu’il a joué pour les supporters dans les années 2010. Second volet : son rôle de représentant des ultras français.
Avec les supporters contestant le plan Leproux, James participe à des manifestations et des réunions rassemblant des ultras français de tous horizons. Ces échanges aboutissent à la création, en 2014, de l’Association nationale des supporters, dont James devient le porte-parole. Il multiplie alors les interventions dans les médias pour porter la voix des supporters français. En 2015-2016, il se mobilise contre certains aspects répressifs d’une proposition de loi, déposée par le député LR Guillaume Larrivé, visant à renforcer la lutte contre le hooliganisme, que l’ANS juge excessifs et insuffisamment encadrés.
Après les travaux parlementaires et une intense activité de lobbying de l’ANS, qui n’a porté que partiellement ses fruits, la loi est adoptée par le Parlement en 2016 avec l’ajout de dispositions renforçant le dialogue avec les supporters. Sont notamment institués, d’une part, une Instance nationale du supportérisme, rattachée au ministère des Sports et rassemblant toutes les parties prenantes du supportérisme dans les ligues professionnelles (associations de supporters, clubs, ligues, ministères…), et, d’autre part, dans chaque club, un référent supporters chargé des relations entre le club et ses fans. James représente alors l’ANS à l’INS (dont la proximité des deux sigles est source de multiples confusions…) et participe aux formations mises en place par le ministère pour les référents supporters du football.
Quatre témoins, conseiller de la ministre des Sports, représentant des supporters, commissaire en charge de la lutte contre le hooliganisme et chargé des projets supporters à la LFP racontent le rôle moteur que James a joué dans le renforcement du dialogue entre les supporters et les autorités publiques et sportives.
« La ministre des Sports lui a rendu hommage mercredi par un tweet, parce qu’il s’est énormément impliqué dans les travaux ministériels sur le supportérisme et a été un interlocuteur privilégié. C’était un homme de conviction, passionné, mais il était toujours dans le dialogue, respectueux, à l’écoute. Il avait ses combats, on n’était pas toujours d’accord, mais il n’était pas dans la critique systématique : il était constructif et force de propositions. Il donnait une image très positive des supporters. C’est aussi ce qui a permis d’améliorer les relations entre la LFP et l’ANS, avec également l’arrivée de Nathalie Boy de la Tour et la création d’un service dédié au sein de la Ligue. Sur ces sujets liés aux supporters, c’était l’un des interlocuteurs les plus actifs, les plus intéressants. Quand il s’exprimait, il captait l’attention, il avait un style très personnel, foisonnant : il était charismatique. Ce que j’ai apprécié aussi, c’est que ce qu’il avançait venait du terrain, des tripes. Il apportait toujours du concret, il proposait des avancées : c’est précieux pour les décideurs publics. Sa force de conviction a fait avancer les sujets du foot, mais aussi au-delà, car il était ouvert aux problématiques des autres sports, comme le rugby ou le basket.James a été l’un des acteurs les plus investis dans l’Instance nationale du supportérisme. Il a contribué à lancer cette instance sur de bonnes bases et à faire avancer des sujets concrets : la formation des référents supporters, les tribunes debout sécurisées, les déplacements de supporters… Le bémol, ce sont les discussions sur les fumigènes, qui lui tenaient à cœur et qui viennent juste de commencer. Mais j’ai bon espoir de parvenir à trouver des solutions satisfaisantes pour tous. »
Ronan Evain, Football Supporters Europe : « James a permis que les supporters français soient considérés comme des adultes »Ronan Evain est responsable de l’association de supporters européens Football Supporters Europe. Il est aussi membre de l’Association nationale des supporters (ANS), dont James a longtemps été le porte-parole.Je suis très peinée par la disparition de James Rophe. Il a été un acteur actif et incontournable de l’Instance Nationale du Supporterisme créée par @Sports_gouv. Pensées à sa famille et ses amis du monde du football et au-delà. Sa passion et son militantisme vont nous manquer.
— Roxana Maracineanu (@RoxaMaracineanu) April 29, 2020
« L’apport essentiel de James sur les sujets supporters, c’est sa transposition de son expérience de syndicaliste et de militant dans le football. Ça s’est concrétisé de deux manières. Par sa capacité à parler à tout le monde et à faire échanger les gens avec lesquels il était en contact. Par sa capacité aussi à instaurer un rapport de forces constructif et clair avec l’ensemble des interlocuteurs de l’ANS. Il a su tisser des relations fortes avec des gens avec lesquels l’ANS était en conflit. Il était capable d’avoir un débat houleux et, ensuite, de discuter du championnat de football, de la famille, de l’actualité politique… Il a apporté un niveau de réflexion et d’engagement qui ont permis que les supporters ne soient plus considérés comme des enfants, mais comme des adultes à prendre au sérieux. Il a réussi à construire des relations constructives avec tous les partenaires, sans se compromettre et en restant intransigeant sur son éthique personnelle et sur ses missions au sein de l’ANS.
C’était un énorme bosseur, qui travaillait les dossiers et qui portait la voix des tribunes dans les médias. Il avait une liste de contacts de journalistes impressionnante. Son activisme a changé le rapport entre les médias et les supporters. Il savait se débrouiller à la radio, à la télé. Il a fait un travail de pédagogie énorme pour faire avancer nos idées. En 2015-2016, pendant les discussions autour de la loi Larrivé-Braillard, au cours desquelles l’ANS s’est battue pour encadrer les dispositifs répressifs prévus et développer les aspects préventifs, il a réussi à imposer aux journalistes la nécessité de prendre en compte le point de vue des supporters. Grâce à son expérience militante, il savait aussi rencontrer des politiques et aller chercher des soutiens. Pendant les travaux préparatoires à la loi, il a contacté un nombre considérable de députés et de sénateurs de tous bords.De la même manière qu’il a su se servir de ce qui se faisait dans d’autres domaines en matière de militantisme pour l’utiliser dans le football, il était très curieux de ce qui existait à l’étranger autour des supporters pour voir comment en tirer des leçons pour la France. Malheureusement, sa peur maladive de l’avion a limité sa participation aux échanges européens, mais il était convaincu de leur importance. »
Commissaire Antoine Mordacq : « Un militant passionné des droits des supporters »Au sein du ministère de l’Intérieur, Antoine Mordacq est responsable de la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH).
« À mon arrivée à la DNLH, j’ai rencontré James dans le cadre de l’Instance nationale du supportérisme. James a été un de nos premiers et principaux interlocuteurs du côté des supporters : c’est par sa voix que j’ai d’abord entendu les revendications de l’Association nationale des supporters qu’il représentait.
Je garde le souvenir d’un militant défendant avec passion les droits des supporters. Très investi dans cette activité, il s’appuyait sur une connaissance ancienne et solide du milieu des supporters, en particulier du PSG, et aussi des évolutions des relations entre supporters et autorités. Il savait mettre en perspective les sujets du jour. Nous n’étions pas toujours d’accord sur l’analyse des situations et sur les dispositifs mis en œuvre autour des matchs, notamment ceux entravant la « liberté de circulation des supporters » à laquelle il était très attaché. Les débats ont parfois été houleux, mais sans jamais rompre le dialogue, parce que l’INS est une instance multilatérale et qu’il y a toujours des parties pour modérer les échanges, mais aussi parce que James croyait au dialogue. Il était toujours intéressant d’échanger avec lui, même quand on n’avait pas le même point de vue.
RIP JAMES ???. Un amoureux du club qui va grandement nous manquer, mes condoléances à sa famille. ❤️? @PSG_inside
— Kylian Mbappé (@KMbappe) April 29, 2020
Il a été un pilier du développement de l’INS en faisant avancer des sujets concrets, comme la professionnalisation des référents supporters. Ses positions sur les déplacements des supporters ont été débattues au sein de l’INS et, au-delà, évoquées jusqu’au sein du ministère de l’Intérieur. La circulaire adressée en novembre 2019 aux préfets par le ministre, qui vise à rappeler qu’avant de restreindre ou d’interdire un déplacement de supporters, il faut dialoguer avec les deux clubs, est aussi le fruit de ces discussions auxquelles James a activement participé. »
Maël Garde Provansal, LFP : « Un pilier du dialogue supporters / autorités »Maël Garde Provansal est chef de projet à la LFP sur les sujets liés aux supporters. Il est notamment en charge de la coordination des référents supporters, ces salariés des clubs qui gèrent la relation entre un club et ses supporters. Il a côtoyé James lors des réunions rassemblant la LFP et l’ANS et au cours des formations délivrées aux référents supporters.« James est un des premiers personnages que j’ai croisés quand j’ai commencé à travailler sur le supportérisme à la LFP en 2018. C’était quelqu’un d’emblématique. Il a façonné l’image que je me suis forgée de ce que devrait être le dialogue entre les supporters et les autorités. Nous n’étions pas forcément d’accord sur tout, mais nous avions un but commun, que les stades soient pleins, festifs, sans violence, avec des secteurs visiteurs remplis. Son envie d’avancer était contagieuse. Il répétait que seul le dialogue permet de sortir des conflits par le haut. Il partageait son expérience de reconstruction du supportérisme parisien, afin de faire progresser les sujets nationaux. Il a été un pilier de l’Instance nationale du supportérisme. Les réunions n’auraient pas été les mêmes sans lui. Il a permis aux discussions d’être franches et constructives. Il avait son franc-parler, il n’avait pas peur d’entrer dans des débats enflammés, mais il le faisait toujours dans le respect de ses interlocuteurs, et notamment de la LFP. Il avait une manière sincère de s’exprimer, on sentait que, même quand il s’énervait, c’était pour faire avancer les choses. Derrière la forme, passionnée, il y avait aussi un fond, une force de proposition, des projets concrets. Les échanges que j’ai eus avec lui m’ont aidé à mieux appréhender les enjeux du supportérisme.
Il a beaucoup contribué à la bonne collaboration entre la LFP et l’ANS, particulièrement depuis les débuts de l’Instance nationale du supportérisme et à travers les programmes nationaux et européens dans lesquels nous sommes engagés ensemble. Je retiens aussi son implication dans les formations destinées aux référents supporters. La manière dont il intervenait dans les séances, avec passion et précision, a contribué à leur succès. On pouvait avoir de vifs débats, des oppositions sur des sujets de fond, et boire ensuite un verre le soir avec les autres participants à la formation. »
Par Nicolas Hourcade