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Jamaïque : les Reggae Boyz ont perdu le rythme
Ce soir, l'équipe de France affronte pour la première fois de son histoire la Jamaïque. Une sélection aussi originale que vieillissante. Ridiculisés en zone CONCAF, les Reggae Boyz attendent toujours une qualification en Coupe du monde depuis 1998. En attendant Usain Bolt peut-être.
Introduit par les colons anglais, fin XIXe, le football se démocratise et prend de l’ampleur sur la petite île jamaïcaine. Mais il faudra attendre près d’un siècle pour que les Reggae Boyz atteignent une phase finale d’une compétition internationale. C’est en 1998, la Jamaïque se qualifie dans un élan de folie à la Coupe du monde française. Malgré de multiples soutiens artistiques, dont une chanson de Ziggy Marley, fils de Bob, la sélection ne passera pas le premier tour. Battue 3-1 par la Croatie, puis assommée 5-0 contre l’Argentine, la Jamaïque ne sauvera sa peau que lors du dernier match de son relevé groupe H, contre le Japon. Un parcours loin d’être chaotique qui nourrit alors les espoirs de toute une nation. René Simões, le coach brésilien de l’équipe, affirmera alors : « La Jamaïque ne perd pas, les Jamaïcains sont toujours gagnants parce qu’ils apprennent. » Pendant quelques jours, les rues de Kingston se transformeront en de gigantesques fêtes, où les Reggae Boyz seront reçus en héros.
Quinze ans plus tard, le football jamaïcain n’a malheureusement pas su tirer profit de l’aventure. À défaut d’avoir progressé, il stagne, pour ne pas dire régresse. En 15 ans, 14 coachs sont passés à la tête de la sélection et aucun n’est parvenu à faire de la Jamaïque la reine des Caraïbes. Les conflits provoqués par des décalages économiques et sociaux entre les natifs locaux et les Jamaïcains « anglais » au sein de la sélection ne facilitent pas non plus la tâche. Décevant, surtout quand on sait que les -15 ans pèsent pas moins de 30 % de la population. Mais à la différence de l’athlétisme, le football jamaïcain n’offre pas de repère ni de modèle. Usain Bolt, Yohan Blake ou Veronica Campbell n’ont pas d’équivalent dans le ballon rond local. La D2 anglaise a beau regorger de joueurs jamaïcains, aucun ne se démarque au plus haut niveau. Et ce n’est pas l’anecdotique 81e place au classement FIFA qui va venir dire le contraire.
Une Bergkamp, du dancehall et un faux passeport
En zone CONCACAF pour la qualification au Mondial 2014, la Jamaïque n’a rien montré. Pire, elle s’est souvent ridiculisée en ne gagnant aucune rencontre en 10 confrontations. De faibles résultats sportifs qui poussent une bonne partie de son jeune public à se désintéresser de la sélection et à en supporter une autre. Winston McAnuff, vétéran du reggae roots des années 70, ne dissimule pas la donne : « Il faut savoir qu’en Jamaïque, le Brésil a toujours été notre équipe de référence. » Pourtant, il y a bien eu Ricardo Fuller, auteur, en 2009, d’une Bergkamp.
Mais l’ancien avant-centre de Stoke City est surtout connu le reste du temps pour ses coups de sang, plus que pour ses exploits techniques. Même constat pour Marlon King. Celui qui aurait pu devenir le plus grand joueur de l’histoire des Reggae Boyz. Sauf que le bougre a plus souvent passé son temps à picoler et multiplier les frasques, les excès de vitesse, les falsifications de papier, les bastons avec ses coéquipiers et sans oublier les agressions sexuelles. Son passage par la case prison scellera sa carrière. Le plus populaire, Ricardo Gardner, a lui fait toute sa carrière à Bolton et est davantage connu au pays pour son dancehall que pour ses chevauchées en Premier League. La sélection jamaïcaine s’est donc souvent trouvée en position de faiblesse. Obligée de négocier et de démarcher des binationaux parfois très éloignés des racines locales. La preuve en 2009 où John Barnes, alors sélectionneur, quémande au pauvre Tyrone Mears de faire ses armes avec les Reggae Boyz. Peu clair sur les origines de son père, Tyrone accepte toutefois, mais engage en parallèle un détective privé à l’assaut de la vérité. « Lorsque l’on m’a demandé si je voulais jouer pour la sélection nationale jamaïcaine, j’ai donné mon nom, le nom de mon père à la Fédération jamaïcaine de football. On ne m’a même pas demandé mon passeport ! » , déclarera-t-il à News of the world. Après une première sélection contre le Nigeria, l’ancien Marseillais apprend alors que son père vient de… Sierra Leone. Une anecdote qui révèle bien le sérieux de la Fédération.
L’espoir Bolt
Winfried Schäfer, nouveau coach de l’équipe nationale, connu pour ses goûts pour les aventures exotiques, espère en tout cas raviver son équipe aussi bien médiatiquement que sportivement. Le sorcier blanc allemand souhaite en effet enrôler, après les JO 2016 brésilien, l’homme le plus rapide du monde. C’est en tout cas ce qu’il a affirmé haut et fort au Jamaica Gleaner News, un média influant sur l’île : « Après les JO de 2016, je veux voir Bolt sur mon terrain d’entraînement » , a-t-il martelé. Comme s’il était du devoir de Lightning Bolt de venir en aide à sa patrie footballistique. « On m’a dit qu’il avait déjà montré ses qualités dans des rencontres entre amis et qu’il n’était pas mauvais. » Malgré une absence totale de garanties, Schäfer veut tenter l’expérience. Face aux sceptiques, le coach allemand répond : « Nous allons l’améliorer. Il est rapide et s’il apprend à bien jouer avec le ballon, il peut devenir un de nos meilleurs joueurs. En contre, personne ne devrait pouvoir l’arrêter. » L’homme le plus rapide du monde a fait savoir de son côté qu’il arrêterait sa carrière d’athlète après les JO de Rio en 2016 pour tenter l’aventure du football. Il aura alors 30 ans et encore une belle petite pointe de vitesse. Encore faut-il que ses futurs partenaires sachent lui donner un ballon dans la profondeur. Pas gagné.
Par Quentin Müller