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Jair Bolsonaro : 84 maillots de foot et une élection en 2022
Le Brésil choisira son futur président en octobre 2022. Le sortant, Jair Bolsonaro, est loin derrière dans les sondages, mais compte sur son arme secrète : sa collection de maillots.
À côté de lui, Jean-Michel Aulas apparaîtrait comme un homme populaire. 70% des électeurs brésiliens ne font pas confiance à Jair Bolsonaro, président de la République, selon une étude statistique publiée cette semaine. À la rue dans les sondages à dix mois de la présidentielle, loin derrière l’ancien président Lula, JB ne baisse pas pavillon. Et, comme depuis plusieurs années maintenant, le football fait clairement partie de sa stratégie populiste. Sur la forme, le plan paraît simple : être vu avec le plus de maillots différents possibles. « Ça a commencé un tout petit peu avant la campagne de 2018, il est apparu avec de nombreux maillots d’équipes de l’État de São Paulo », raconte Victor de Leonardo Figols. Il est doctorant en histoire à l’université du Parana, contributeur de Ludopedio, un portail académique sur le football, et, lorsqu’il a repéré cette stratégie bolsonariste, il s’est mis à compter. Résultat : 84 maillots différents, répertoriés dans un Google Drive hallucinant. « Quand la campagne a vraiment débuté en 2018, il a commencé à apparaître quasi quotidiennement sur ses réseaux sociaux avec des maillots d’équipes différentes, précise-t-il. Pas des équipes professionnelles, mais des petits clubs régionaux, notamment dans l’État de Santa Catarina. » Corrélation ou pas, en 2018, l’État ayant le plus voté Jair Bolsonaro est celui de Santa Catarina.
Imaginez Emmanuel Macron s’affichant sur son compte Twitter avec le maillot jaune et noir de l’Union athlétique Vic-Fezensac (Gers, D1), ou enregistrant une vidéo improvisée sur YouTube en portant fièrement les couleurs de l’Union sportive de la Sainte-Anne de Vertou (R1, Loire-Atlantique). Jair Bolsonaro l’a fait, appliquant le populisme au football. « Il n’existe pas vraiment d’études démontrant un lien entre le port de tel ou tel maillot et la popularité d’un président », regrette Victor de Leonardo Figols. Il n’empêche qu’une fois élu, Jair Bolsonaro poursuit cette stratégie avec davantage de clubs professionnels, plus de clubs du Nordeste aussi, région où il est peu populaire dans les urnes. On a pu le voir porter un maillot des Corinthians comme de Palmeiras, de Fluminense comme de Flamengo, à chaque fois des ennemis intimes. « Il a une vision assez basique de ce qu’est le football, du raisonnement des supporters. Mais toutes les personnes qui étudient la question vous répondront que le football est loin d’être un objet facilement manipulable », analyse Lívia Magalhães, professeure d’histoire du Brésil et auteure du livre Histoires de football. La diversification à outrance ne fonctionne plus, comme le reste d’ailleurs. Le président brésilien est fortement contesté, il lui faut rassembler, ouvrir les bras, changer de cap et de kop.
Joue-la comme un dictateur
Alors, un éclair de génie populiste traverse l’esprit de Jair Bolsonaro. Pour être populaire, ne faudrait-il pas tout simplement soutenir l’équipe LA PLUS populaire ? En bandes horizontales rouges et noires, le maillot le plus porté du pays est celui du Flamengo. En 2020 puis 2021, Bolsonaro apparaît toujours avec d’autres tuniques, mais affiche de plus en plus son soutien au flamand lors d’un derby face au Flu (Fluminense), puis plus récemment avant la finale de la Copa Libertadores, perdue par le Fla contre un autre club brésilien, Palmeiras. « Les supporters de Flamengo sont vraiment très nombreux, présents partout dans le pays. Être flamengista, c’est se donner un point commun avec des millions d’électeurs potentiels », valide Victor de Leonardo Figols. « Mais c’est aussi à ce moment-là qu’ont commencé les blagues entre supporters sur l’infidélité du président Bolsonaro, en matière de football. Ce qui n’est pas en faveur de sa popularité », balance Lívia Magalhães.
Ce calcul politique, inédit pour un président du Brésil au XXIe siècle, n’est toutefois pas nouveau. « Il tente depuis le début de rééditer la stratégie du général Médici, au pouvoir pendant la dictature militaire, analyse José Paulo Florenzano, anthropologue à l’université de São Paulo. Médici, né dans le sud, supportait Grêmio, mais pour des raisons de propagande politique, se présentait aussi comme supporter de Flamengo. Il lui arrivait d’apparaître à la tribune d’honneur à São Paulo, à Salvador de Bahia. Il se montrait même avec un poste de radio à piles collé à l’oreille, pour apparaître comme un véritable supporter. » Déjà, député, Jair Bolsonaro voulait renommer les eaux territoriales brésiliennes « Mer Président Médici », cette fois l’hommage est stratégique. Au Brésil, Emílio Garrastazu Médici est connu pour avoir été au pouvoir durant les « années de plomb » , marquées par la répression, la torture et la disparition des opposants politiques.
Les aristocrates au pouvoir
En bon connaisseur de l’aristocratie brésilienne, Jair Bolsonaro avait un autre objectif, moins visible, en multipliant les apparitions en maillot de foot. Plus encore que les supporters, le président vise les propriétaires des clubs, les présidents. « Ce qui est certain, c’est qu’il se sert du football dans sa guerre contre le réseau de télévision Globo », assure l’anthropologue José Paulo Florenzano. Globo, plus grande puissance médiatique du pays, est en opposition frontale avec la politique de Jair Bolsonaro. « En sympathisant avec les dirigeants des clubs, le président Bolsonaro les a incités à revendiquer plus de droits de retransmission pour fragiliser le diffuseur Globo. Il a aussi réussi à faire diffuser la Copa América, qui se déroulait au Brésil, par SBT, plus proche de lui politiquement », développe Florenzano.
À première vue brouillon, le plan de jeu se révèle plus fin. Si la politique de Jair Bolsonaro a touché les plus démocrates des supporters, dont certains ont organisé des manifestations à la suite de la révélation de tentative de coup d’État en 2020, le président s’assure par son implication dans le football l’appui d’une certaine élite, toujours un bon calcul électoral. Malgré tout cela, le président sortant est à la traîne pour 2022, et une question demeure : quel club supporte-t-il vraiment ? Réponse de Victor de Leonardo Figols : « Un jour, je discutais de ça avec un ami, professeur à l’université. Il m’a dit : « Est-ce qu’on doit vraiment croire à la fidélité de Bolsonaro pour un club, alors qu’il n’est même pas fidèle à un parti politique ? » » Le 30 novembre dernier, Jair Bolsonaro a pris sa carte au PL (Parti libéral). Avant, il avait déjà joué pour le PDC, le PPR, le PPB, le PTB, le PFL, le PP, le PSC et le PSL. Prends ça, Xavier Gravelaine.
Par Alexandre Berthaud, au Brésil
Tous propos recueillis par AB