- Culture Foot
- Interview Félix Moati
« J’aimerais bien être Lavezzi »
Présent au Champs Élysées Film Festival à Paris, Félix Moati a pris le temps de parler de son amour du ballon rond, pas toujours compatible avec son emploi du temps de ministre.
Quel est ton rapport au foot ?Moi, je suis ému par le foot. Il y a un sentiment collectif qui me touche. Même si je sais que c’est artificiel et un peu bidon, c’est un des rares espaces où on peut encore créer du lien.
En 2002, ton père avait peur que t’ailles au stade à cause des attentats. Aujourd’hui, tu vas encore au stade ?Non, mais pas par peur des attentats. Aller au stade, ça prend trop de temps. En plus, je suis un peu agoraphobe. Dès qu’il y a trop de monde, je ne sais plus où j’habite. Il y a trop de contrôles, tu te fais fouiller 10 000 fois. Et puis le côté « odeur de la pelouse » … Non non, j’irai dans un bar pour boire des bières et fumer une clope quand j’en ai envie. On va y aller à fond avec mes potes.
Et t’as un pronostic pour la compétition ?La Belgique. Ils sont très très forts. C’est fabuleux de voir jouer Eden Hazard. Les footballeurs nous renseignent sur eux-mêmes. Hazard joue comme s’il était l’enfant chéri de ses parents. Il a la puissance de l’enfant protégé, il peut tout se permettre. Pour la finale, ce serait fabuleux d’avoir un France-Belgique. Après, les footballeurs ne sont pas nos anxiolytiques face à la tragédie. Mais c’était tellement une année de merde, franchement. En plus, il y aurait un truc un peu consanguin, un truc de voisins. Je pense qu’il faut prendre tout ce qui peut créer du lien. Même si fin juillet, on se retape sur la gueule. Cet Euro, c’est de l’opium, alors prenons.
T’y crois pour l’équipe de France ?Moi, j’y crois, on a une belle équipe. Avec Coman qui court comme une gazelle et qui te fait 100 mètres en quatre secondes, Griezmann qui est très fort, Pogba… Et puis je suis fan de Matuidi. Le raccourci est facile, mais c’est une espèce de Makelele. Le mec n’est pas né comme nous, il a 18 poumons. Arrête de courir comme ça, t’es jamais fatigué ? Malgré tout, on est forcément sceptiques. Dis-moi si un Français a déjà cru en l’équipe de France. Ça n’est jamais arrivé. En 1998, personne n’y croyait… J’avais 8 ans à l’époque, c’était incroyable. C’est quand même un événement qui a créé des vocations.
D’ailleurs, tu voulais être footballeur, non ?Quand j’étais petit, ouais. Je me suis inscrit dans un club en septembre 1998. Le conformisme absolu. Ils auraient gagné en judo, j’aurais fait du judo. Et j’ai commencé à jouer jusque mes 14 ans. D’abord au Paris Université Club et ensuite à Montrouge. J’ai joué en Division Honneur, j’étais numéro 6, milieu défensif. Mais il me semble que j’ai fait gardien quand je suis arrivé. C’est très ingrat, la position de gardien. C’est comme Maxwell : il est très fort, mais on ne le remarque jamais parce qu’il est en défense et joue sobrement. Je suis très sensible à ce genre de joueurs. Je te dis : ces joueurs nous renseignent sur eux-mêmes. Un joueur comme Pastore me fascine, il a le football mélancolique. C’est-à-dire ? Quand il est arrivé au PSG, il n’était pas bien, ses parents lui manquaient, il arrivait d’Argentine, où les femmes sont les plus belles du monde. Et il se retrouve à Paris, il ne fait pas beau, il joue mélancoliquement. Ça se voit : il se traîne, il pense à Buenos Aires, à sa mère qui lui manque. Le mec n’est pas bien. Alors qu’Ibrahimović a le football humoristique. Il me fait mourir de rire, il s’en bat les couilles, il est là pour kiffer. Il sait qu’il est meilleur que les autres. Quand il arrive au PSG et qu’il dit : « Je ne connais pas la Ligue 1, mais la Ligue 1 me connaît » , c’est évident que c’est de la blague. Mais il est beaucoup plus malin que tout le monde. C’est un amuseur, il va me manquer avec ce côté : « Je vous donne ce que vous voulez » , comme un gamin en classe à qui le prof dit : « T’es un cancre ! » et qui le devient. Il est devenu exactement ce qu’on voulait qu’il soit. Ça implique une grande compréhension du monde médiatique dans lequel on vit.
Dans une interview, tu as dit : « En ce qui concerne les années 1990, j’y suis né et mon souvenir le plus ancien, c’est la Coupe du monde 1998. Je me souviens seulement qu’à cette époque, on n’emmerdait pas les joueurs de foot pour un rien ; un petit geste déplacé n’était pas un faux prétexte pour immédiatement embrayer sur des« problèmes » d’intégration. » C’est ton sentiment à l’égard du foot actuel et de l’équipe de France en particulier ? C’est compliqué. On est dans un contexte où rien n’est innocent, rien n’est gratuit. Tout doit avoir une raison. C’est l’esprit français : on met tout en perspective sociale et politique. Et on est en quête d’exemples et de coupables. Pour moi, c’est quand on n’a plus rien à offrir aux gens qu’on leur donne des exemples. Dans une époque nihiliste, on a besoin de brandir des modèles. Après, c’est vrai que les joueurs de foot ont une responsabilité. Mais on les charge trop. On parle de gens qui, souvent, n’ont pas eu d’enfance, n’ont pas eu d’adolescence, ont tapé dans un ballon jusqu’à leurs 17 ans, et à 18 ans, ils sont devenus millionnaires. Qu’est-ce que ça veut dire d’être coupé de la réalité du monde ? Qu’est-ce que c’est d’être dans une espèce de tunnel de tes 13 ans à tes 35 ans ? Où tu ne fais que jouer au foot, où tout peut s’arrêter du jour au lendemain, où il y a des rivalités incroyables. Et puis, ils sont investis de trop de pouvoirs. On a une forme de responsabilité par rapport à ça. Il ne faut pas en vouloir à ces gens d’être humains. Ils sont faibles comme nous on l’est. L’exemplarité, c’est une escroquerie philosophique, et psychanalytique. Non, les gens ne sont pas des exemples. En ce qui concerne Benzema, c’est quand même l’un des meilleurs joueurs du monde et ce qu’il a fait avec la sextape, ça ressemble à un suicide sportif. Moi, je ne connais pas le gaillard, donc je ne saurais pas dire s’il est con ou intelligent. Après savoir, si comme le dit Cantona, il est victime de racisme… C’est beaucoup trop compliqué et ça cristallise énormément de passions et d’obsessions françaises. Par ailleurs, je crois qu’il y a une forme de pathologie des grands champions. Quand ils arrivent à un certain niveau, ils se coupent les pattes. Il y a toujours une forme de suicide social. Je pense que l’humain n’est pas fait pour trop de puissance. Il y a toujours besoin d’un rappel. C’est comme s’il voulait que la loi le rattrape.
T’y vois une analogie avec les grands acteurs ?Évidemment, Benzema est une vraie figure tragique. Comme River Phoenix, le frère de Joaquín Phoenix, qui a les portes qui s’ouvrent devant lui et qui fait une overdose dans un club. T’as juste envie de lui taper sur l’épaule et de dire : « Bah non, pas maintenant ! Attends 40 ans. » Mais quand Dieu est mort et que tout est permis, c’est trop vertigineux et t’as besoin d’être rattrapé par quelque chose. Je pense que c’est très psychanalytique. Qu’est-ce que Benzema, qui est un grand footballeur, qui est sur le toit du monde, qui est multimillionnaire, qui est malin sur un terrain, va s’embourber dans des histoires de bas étage ? C’est totalement irrationnel. Mais bon, pour l’instant, il est présumé innocent. Et je crois aussi que les gens ne sont pas stupides au point d’avoir constamment besoin d’exemples. À un moment donné, c’est des footballeurs, ils jouent au foot. Même s’ils ont un impact sur les jeunes, il faut arrêter d’infantiliser toute une partie de la population en leur disant que les footballeurs sont des exemples.
Ben Arfa n’a pas été sélectionné lui non plus. Il a récemment parlé de sa future reconversion en tant qu’acteur. Du coup, si tu devais te reconvertir en footballeur, tu te verrais jouer à quel poste ?J’irais en attaque pour avoir la gratitude immédiate des spectateurs. Je ne supporterais pas l’ingratitude que subit Maxwell. J’aime bien observer les hommes de l’ombre, mais je ne veux pas en être. Sinon, je ne serais pas acteur. J’aimerais bien être Lavezzi. Il me fait marrer. Pourquoi tu vas boire des coups la veille d’un match ? On ne t’a pas dit que t’étais sportif ? Je l’imagine à Naples, ça devait être n’importe quoi. Moi, j’adore Ben Arfa. Je le trouve très fort. J’ai joué dans le même club que lui à Montrouge. Il avait deux ans de plus que moi, mais il survolait tout le monde. C’était l’attraction du club. Je voulais être footballeur, mais quand tu le voyais jouer, tu comprenais que ça ne servait à rien. Lui, il était dans la discipline. De toute façon, il n’y a pas de secret. Les gens qui deviennent footballeurs, ce n’est pas forcément parce qu’ils sont meilleurs que leurs voisins. C’est qu’ils ont un objectif et ne le quittent pas. Je crois que c’est Woody Allen qui rapportait cette histoire que j’adore d’un excellent batteur de baseball. Comment est-il devenu le meilleur batteur de la ligue ? Parce que son père n’arrêtait pas de lui dire : « Dès que t’as un moment, même deux minutes, tu prends une pierre et tu la vises. » Ce sont des gens extrêmement concentrés, qui ont une ligne qu’ils ne quittent jamais.
Tu me disais que t’avais eu des problèmes à cause de ta dernière interview à SoFoot ? Ouais, j’ai reçu des menaces de mort, ça m’a fait un peu flipper parce que je ne suis pas très courageux, physiquement. J’avais dit qu’au Parc des Princes, il y avait plus de spectateurs que de supporters. Je ne savais pas que les camarades étaient susceptibles. Mais quelqu’un qui menace quelqu’un d’autre pour une histoire de foot, c’est un guignol. Donc non, ça ne m’a pas fait peur. Ce sont des guignols.
Par Arthur Cerf