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Jaime Roos : «Lugano est un capitaine à l’ancienne»

Propos recueillis par Thomas Goubin
Jaime Roos : «Lugano est un capitaine à l’ancienne»

Figure de la musique uruguayenne, Jaime Roos a suivi la Celeste lors du Mondial 2010. Au bon endroit au bon moment, il a finalement fait de son été sud-africain un documentaire, intitulé «Tres millones». Il se confie sur son œuvre et sur les arcanes de la Celeste.

Comment est né ce projet de documentaire ?De manière accidentelle. J’entretiens une relation proche avec la sélection depuis longtemps. Il y a vingt ans, j’avais écrit une chanson à propos de la Celeste, à la demande de la Fédération uruguayenne. Et en 2002, j’ai vécu la Coupe du Monde aux côtés du groupe. Cette fois, avec mon fils, qui est photographe, on a décidé de nous rendre en Afrique du sud, et de prendre nos quartiers à Kimberley, la ville où l’Uruguay s’entraînait. C’est une ville au milieu de rien et ça nous a permis d’être proches de la Celeste, de bénéficier d’une position de témoins privilégiés. Nous étions les seuls accrédités qui n’avaient rien de professionnel à faire. On avait simplement décidé de filmer notre séjour en Afrique du Sud, et d’en faire quelque chose si notre matériel était intéressant. De mon côté, j’écrivais mon ressenti chaque jour. Des notes qui ont finalement formé la colonne vertébrale du documentaire. Tout cela aurait pu en rester au stade familial, mais le grand tournoi de l’Uruguay nous a finalement donné matière à un projet plus ambitieux.

Quelle était la nature de vos rapports avec la Celeste en Afrique du sud ? J’assistais aux entraînements et aux conférences de presse. Mais à l’inverse de 2002, je n’entrais pas à l’hôtel, car Tabarez n’autorisait aucune personne extérieure à la sélection. Quant tu suis une équipe au quotidien, tu ressens vraiment l’ambiance à l’intérieur du groupe. Mon expérience au Mondial 2002 fut, par exemple, négative. Je me sentais mal à l’aise car il n’existait pas d’harmonie dans le groupe, même si nous avions une très bonne équipe. En Afrique du Sud, c’était l’inverse. Cette sélection respirait la joie, et cela, on doit le mettre au crédit du maestro Tabarez. Le maestro n’est pas seulement un entraîneur, mais aussi un authentique leader, un sociologue, un guide spirituel, un psychologue, et un pédagogue. Tout cela à la fois. Il a progressivement uni le groupe. Le documentaire lui est d’ailleurs dédié.

Vous avez pu échanger avec Tabarez à propos de sa méthode ?Pas spécialement, mais il m’a par exemple confié que sa décision de placer Forlan en 10 était due à l’évolution de son implication à l’intérieur du groupe. Sa décision tactique était liée à une évolution psychologique, humaine, du joueur. Après, Tabarez m’a aussi dit qu’il voulait que tous ses attaquants soient des 10 et des 9 à la fois, même si Forlan occupait la position la plus reculée. Pour notre pays, Tabarez donne un exemple à suivre, qui dépasse largement les limites des stades. Tabarez travaille avec humilité, professionnalisme, respect. Je crois, en plus, que son discours trouve un parfait relais en Lugano. Ces dernières années, la tendance est à un effacement du capitaine derrière la figure de l’entraîneur. Lugano, lui, est un capitaine à l’ancienne. Un vrai leader.

La bande annonce de Tres Millones

Au quotidien, en quoi cette Celeste se singularisait-elle ?Ce qui me frappait dans cette sélection, c’est qu’il n’existait pas de clans. Tous échangeaient. Les groupes n’étaient jamais les mêmes. Ils paraissaient tous amis. En général, quand les joueurs font des tours de terrain, tu vois toujours des groupes identiques se former. Pas là. Et puis, une autre caractéristique de cette sélection est le rôle joué par des joueurs qui n’étaient pas titulaires mais très respectés par leurs coéquipiers, tels Scotti, Eguren, Abreu. Lugano, lui, s’occupait de tous les détails. Il pouvait rappeler à un équipier d’aller signer un autographe, car un supporter attendait depuis une heure. Il défend fermement les droits de ses coéquipiers, mais leur rappelle aussi leurs devoirs. Dès qu’un joueur commettait un écart, il le convoquait en tête à tête, et lui parlait. Et puis,il faut bien reconnaître que ce parcours extraordinaire est aussi dû aux grands talents qui composaient la sélection.

Votre documentaire est intitulé « Trois millions » , référence à l’étroite population uruguayenne. Comment expliquez-vous ce miracle des trois millions, qui fait de l’Uruguay l’un des ténors du foot mondial ? Quand tu vois le palmarès uruguayen, tu sais que rien n’est dû au hasard. Cela n’est pas comme
la Hongrie, qui a eu une génération exceptionnelle, et qui n’a plus rien fait ensuite. En Uruguay, le football appartient au folklore, à la culture, il est incorporé à la vie quotidienne. Sur le million et demi d’hommes uruguayens, un million a joué au foot. Il existe aussi une transmission de la culture foot au niveau familial. Forlan par exemple, son grand-père et son père ont remporté la Copa America. On peut finalement comparer le phénomène du football en Uruguay à celui du rugby en Nouvelle-Zélande.

Cuando juega Uruguay, par Jaime Roos

Vidéo

Les joueurs ont-ils vu « Tres milliones » ? Oui, on l’a regardé ensemble, début juin. Leurs réactions m’ont étonné. Ils m’étaient reconnaissants de disposer d’un témoignage à propos de leur parcours en Afrique du Sud pour le montrer à leur famille. On les voit pourtant tout le temps avec des caméras à la main, mais ils m’ont dit qu’ils perdaient ces images, ou qu’elles pouvaient être ennuyantes à regarder, faute de montage. Le documentaire leur a vraiment permis de revivre l’émotion du Mondial. Pour eux, c’était comme revenir en Afrique du Sud.

Votre documentaire traite-t-il seulement de football ?Non, je le considère plutôt comme un road movie qui se passe en Afrique du Sud pendant le Mondial, avec en arrière-fond une relation père-fils. Il faut savoir que mon fils est hollandais mais hincha de la Celeste, et que l’on vit loin l’un de l’autre. Le hasard a finalement voulu que l’Uruguay rencontre les Pays-Bas en demi-finale, un moment où se rejoignait notre histoire intime et celle écrite par la Celeste.

« Tres millones » va t-il être diffusé en Europe ? Le documentaire est sorti en Uruguay au début de l’année mais commence à peine sa carrière dans les festivals étrangers. En tout cas, je peux d’ores et déjà annoncer qu’il sortira en DVD fin juillet, en version espagnole et anglaise.

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