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- Itw Cédric Carrasso (1/2)
« J’ai un rapport assez privilégié avec mon chirurgien »
Cédric Carrasso avait quitté la saison 2016 avec un genou, le gauche, sous le bras. Durant sa convalescence, le portier bordelais nous a accueillis au Maroc pour faire le point sur son rapport à la blessure et à la rééducation. Mais pas que.
Cette blessure n’a souvent besoin de personne d’autre que soi-même pour frapper. Pour Cédric Carrasso, c’était un soir nul de janvier 2016, à la Beaujoire. Sorti de ses buts pour s’emparer dynamiquement du ballon et relancer rapidement, le portier bordelais trébuche légèrement en même temps qu’il savonne, pour finalement rester à terre, les mains sur son genou gauche. Carrasso vient « de se faire les croisés » , comme le veut l’expression consacrée. Tout seul. En larmes, le gardien des Girondins quitte la pelouse à l’heure de jeu, et se dirige vers un tunnel qu’il sait long et qui se compte en mois. Quatre mois plus tard, Cédric Carrasso est loin des pleurs. Loin de Nantes aussi. On le retrouve en effet fin mai au Maroc, pour « un mix de détente et de travail » . Côté détente, le gardien bordelais assure sa « semaine de marketing, si on peut dire ça comme ça » , lors du Sismix Festival (7 jours de poker et d’électro cornaqués par Winamax), au resort Es Saadi de Marrakech. « C’est la première fois que je joue en live un tournoi de poker, avoue-t-il. Je n’avais joué qu’en ligne jusque-là. » Au milieu d’une petite centaine d’anonymes et de quelques têtes connues – Camel Meriem, Guillaume Gillet, Bernard Mendy, Renato Civelli, Daniel Riolo ou encore Moundir – Cédric Carrasso défend son stack mais n’a pas « les occasions ou les cartes » pour accumuler les jetons. Sorti de table après une grosse heure de jeu, il pense sans doute déjà au pan « travail » qui l’attend dès le lendemain – un samedi – matin : récupérer son genou gauche, après le droit et un tendon d’Achille gauche déjà accrochés au palmarès. Le temps d’une matinée, le gardien bordelais a d’ailleurs accepté d’ouvrir les portes de sa rééducation, dans l’écrin du Royal Mansour de Marrakech, où il a ses habitudes. Dans un bruit de fontaine et de calme absolu, les Carrasso – monsieur et madame – accueillent en tenue de sport et une serviette à la main, prêts à aller en découdre avec la salle de gym. Entre un échauffement sur vélo, un tapis de course (autour de 12km/h) et du renforcement musculaire, le portier bordelais raconte comment il a appris à dompter une blessure longue durée. Il raconte le football d’aujourd’hui aussi.
T’as pris l’habitude de faire ta rééducation loin de ton club ou c’est un concours de circonstances ?Quand la saison s’est terminée, j’ai fait une semaine supplémentaire au Haillan avec les kinés du club. On a tout passé en revue avant que je parte, à Marrakech en l’occurrence. Ça nous a permis, à ma femme et moi, de prendre une semaine pour nous aussi. On essaie de le faire chaque année. Même si je suis resté à la maison tous les jours en 2016, la rééducation m’a pris presque le même temps que quand je jouais. Et je savais que pour cet été, c’était un peu mort les vacances pour nous, à cause de ma blessure. Et là, j’ai un endroit pour travailler sereinement sur mon genou, pour faire le « boulot » avec Winamax et je suis quand même dans un cadre de vacances. Donc, avec ma femme, on a essayé de réunir les trois pour passer une semaine un peu plus détente. Notre semaine de vacances, c’est celle-là. Là, on a laissé les enfants aux grands-parents et on profite tous les deux. Ensuite, il y a un retour au centre de rééducation de Bordeaux, là où je suis allé juste après ma blessure, et puis on part sur Genève, toujours tous les deux ensemble, avec ma femme, pour deux semaines. On va travailler avec un préparateur physique pour du gros travail, très explosif. Et j’espère être prêt pour la mi-août.
Cette période de blessure, tu l’as appréhendée de la même façon que lors de tes premières grosses blessures ou pas ?Beaucoup plus simplement qu’avant. Je n’ai pas eu la même impression de blessure. Alors, oui, il y a l’opération, les moments compliqués du début parce que c’est assez handicapant au départ. C’est une opération plutôt lourde mais tout s’est bien passé pour moi, voire mieux que prévu. Tu connais le test Biodex ? C’est une grosse machine qui permet de calculer la force des quadriceps, des ischio-jambiers et de voir la variation entre les deux jambes. Les résultats sont très précis et te permettent de travailler spécifiquement ensuite. Si la variance est au-delà de 15%, ce n’est pas bon, le test n’est pas validé. En général, un gars qui s’est fait les croisés se retrouve sous ces 15% au bout de 6-7 mois. Là, pour tout te dire, je ne suis même pas à 3% de décalage au bout de presque 4 mois. On a fait le test avec les kinés du club. Et t’es obligé de te donner à fond avec cette machine. Tu ne peux pas tricher. On a vu qu’il n’y avait quasiment aucune différence de résultats entre ce test post-opératoire et ceux effectués avant. C’est assez étonnant. Après, cette blessure est particulière pour moi parce que je me suis jamais retrouvé blessé dans cette période de transition-vacances, ou quand il y a des compétitions internationales. Mais on s’est trouvé un bon équilibre, la rééducation et moi, le club et moi, ma femme et moi. Après une blessure, j’essaie habituellement de faire des cycles de trois semaines : trois semaines au club, après tu pars ailleurs, pour un centre de rééducation, un autre. Il faut changer un peu parce que, sur les 3 premiers mois, tu travailles toujours les mêmes exercices. C’est répétitif et tu n’as pas le plaisir de compétition, tout ça… Donc forcément c’est long, pas très amusant, franchement. Et t’as besoin de te vider la tête parfois. Là, ça passe par un changement de lieu. Tout simplement.
Tu avais réfléchi à ce qu’on peut appeler « l’option Réveillère » , sans passer par l’opération ?Pas du tout. Pourtant, j’ai une capacité assez simple à pouvoir me renforcer mais je n’avais pas d’objectif à court terme. Si ça avait été ma dernière année de carrière, que j’avais décidé d’arrêter, que j’avais eu par exemple une opportunité pour faire l’Euro, peut-être que j’aurais fait autrement. Mais là, j’ai encore envie de jouer, d’être apte sur le terrain, ça me plaît. Et je me suis dit, tant qu’à faire, autant le faire bien. Ça m’a permis aussi de me reposer mentalement. Quand il n’y a pas de foot, j’arrive à changer un peu d’univers. J’aime déconnecter. C’est ce que j’ai fait dès le lendemain de ma blessure. Évidemment, tu prends un coup quand tu sais que tu dois passer à l’opération, mais, finalement, ça passe assez vite.
T’as changé d’opération par rapport à la première fois ?Non, c’était exactement la même, à quelques évolutions techniques près. C’était le même chirurgien aussi, le Docteur Franceschi. C’est quelqu’un de confiance donc c’est aussi pour ça qu’on a décidé de ne rien changer. Il n’y a pas eu de complications. Comme prévu. Sans ce chirurgien, je n’aurais jamais eu la carrière que j’ai faite jusque-là. Je me suis blessé le genou droit au tout début de ma carrière, il y a 13 ans, et c’est lui qui a géré. Quand je me pète le tendon d’Achille, je dis à tout le monde, « personne me touche à part le Docteur Franceschi » , même si, à la base, le genou reste plutôt son domaine de prédilection. Mais l’opération s’est passée nickel et je ne me suis jamais fait de souci avec lui. Là, comme j’arrive plutôt en fin de carrière, je me suis dit que c’était peut-être le moment de tenter des choses, pour lui, pour « la science » , « la recherche » , si on veut employer les grands mots. Je voulais lui apporter, lui rendre ce qu’il m’a donné. Le chirurgien m’a par exemple proposé de tester un nouvel appareil de récupération, le Game Ready. Aujourd’hui, il existe de la glace d’un côté et une sorte de gros bas de contension de l’autre, qui se gonflent et dégonflent. Là, ce Game Ready réussit à faire ce genre de compression tout en te donnant du froid, les deux en même temps quoi. J’ai fait des protocoles au tout début de ma convalescence et mon genou n’a jamais gonflé, alors qu’en général, t’as toujours au moins une petite inflammation après l’opération. Et, tous les 3-4 jours, j’ai livré tous mes ressentis, les plus précis possibles, sur ma cicatrice, ma motricité, mes douleurs, à mon chirurgien, avec qui j’ai un rapport assez particulier, privilégié. Le test biodex me permet aussi de lui dire des choses encore plus précises.
Tout au long de ta carrière, tu as vraiment vu évoluer le matériel à disposition, les exercices pour façonner un sportif de haut niveau, qu’il soit en rééducation ou non d’ailleurs ?Ouais, pas mal. La force est un peu plus rentrée dans le football depuis des années, avec la musculation, le renforcement. C’est plus intensif. Les saisons sont plus difficiles, il y a plus de matchs… Mais je ne trouve pas que ça a changé mon métier. Je me suis juste adapté. Là, j’ai par exemple un super vélo d’intérieur chez moi : le Watt Bike. Ça donne de super sensations sur le vélo, c’est exceptionnel, et tu as énormément d’indications, jusqu’à la force du vent. C’est un système américain génial. Je peux y rester des heures dessus, comme si j’étais sur un vrai vélo. Je le trouve révolutionnaire. J’en ai parlé d’ailleurs au directeur du Royal Mansour, que je connais bien maintenant. C’est un féru de vélo. Chaque année, il se fait des sorties et j’aime bien en faire avec lui. Je viens une fois par an ici à peu près.
Tu as dit, « si j’avais eu l’opportunité de l’Euro… » . T’as consulté le staff de l’équipe de France avant de penser à l’opération ? Pas du tout. Au niveau de l’équipe de France, les choix faits ont été clairs depuis la Coupe du monde 2014. Je ne connais pas personnellement Didier Deschamps. Il a une carrière de joueur et d’entraîneur qui parlent pour lui. J’ai respecté ses choix. À aucun moment, comme certains, je me suis senti lésé ou avec une rancœur contre qui que ce soit. J’ai toujours gardé à chaque sélection l’idée que ça pouvait être la dernière. Je donne le maximum au groupe et le jour où ça s’arrêtera, et ben voilà. J’étais tellement prêt par rapport à ça, qu’à aucun moment, ça m’a impacté.
Tu as vraiment aucun regret avec l’équipe de France ?Non. Aucun. À l’OM, quand je me blesse au tendon d’Achille, en 2007, j’étais pré-sélectionné avec les Bleus. Et je me suis toujours dit « je vais essayer de revenir et on verra » . Quand je reviens, Steve Mandanda explose à Marseille, et moi, je file à Toulouse. Et 6 mois environ après mon retour dans les cages, je suis de nouveau sélectionné en équipe de France, pour le match contre l’Argentine coachée par Maradona, au Vélodrome. Quand je rejoins la sélection, je me dis : « Franchement, tu te blesses alors que tu étais en pleine bourre, un gardien émerge et est très fort. Forcément, tu pars, tu changes de club. Tu vas dans un club où au départ, soi-disant, ça ne valait pas grand-chose, qui venait de finir 17e, avec que des jeunes, des joueurs en échec. Et puis… » . Finalement, je retrouve les Bleus, on finit 4e avec Toulouse et je suis transféré l’année qui suit à Bordeaux pour 8 millions d’euros. J’avais fait ce qu’il fallait pour revenir au plus haut niveau et en équipe de France. J’y suis allé une fois, en étant moi-même, comme si c’était la dernière. J’avais un discours tout à fait clair dans ma tête par rapport à ça. Et finalement, ça a duré 4 ans et demi. Sans rater une seule sélection. C’était le bonheur total.
Quand tu parles de « déconnecter » , tu veux dire quoi par là ? En gros, sans vouloir faire de généralité, quand un joueur se blesse, après l’opération, il reçoit énormément de soutien de tout le monde. Et du jour au lendemain, tu passes dans une phase où la vie des autres reprend son cours. Ils ont leur championnat, leur Coupe d’Europe et toi, tu es de ton côté, tu sers à rien. Dans le foot, on peut dire ce qu’on veut, on est des pions qu’on met sur un terrain pour obtenir une performance. Quand t’es le blessé, le pion est sur le côté. Les gens s’arrêtent moins sur toi au niveau de l’implication de l’équipe, c’est normal. Il y en a pleins qui le vivent très mal, en général. C’est tout mon contraire. Je me sers de ces moments là pour me retrouver un peu en retrait, même si j’ai pu aider quand on avait besoin de moi, ou de mon expérience, surtout dans les moments durs de la saison dernière à Bordeaux. Mais je suis quelqu’un d’assez solitaire, j’aime être paisible, dans ma bulle, je ne suis pas m’as-tu vu. Ça me permet de me ressourcer. Plus jeune, je l’ai un peu plus mal vécu mais aujourd’hui, ça fait ma force : me déconnecter, ne jamais sentir une boule au ventre. On laisse passer le temps, on revient en forme. Et quand on me pose la question « Ça te manque pas le terrain ? » , je réponds toujours « Non, parce que je ne peux pas. Physiquement, je ne peux pas » . Le terrain me manque beaucoup plus quand j’ai le sentiment d’être pas loin du retour sur les pelouses. Je connais mon corps et je sais au quotidien, dans l’évolution de ma blessure, dans les exercices que je fais, ce qu’il me manque ou pas. Donc forcément, quand je sais que je ne peux pas, j’ai juste envie de me soigner, pas d’être sur le terrain. Cette approche m’est bénéfique parce que le temps passe beaucoup plus vite que prévu.
Quand tu dis « connaître ton corps » , tu arrives par exemple à mentaliser ton squelette, tes muscles, tes douleurs, ou les sensations que ton corps t’envoie ? Je ne peux pas dire que je visualise mon squelette ou mes muscles dans ma tête, mais, comme beaucoup de sportifs de haut niveau, je connais très bien mon corps, et ce qu’il me dit. La dernière fois, j’ai fait des exercices de courses dans des côtes, avec de la course lente, de la force. Et bien j’ai senti au bout de 5 minutes que je ne pourrai pas tout faire, que je n’avais pas les capacités physiques, même si le cardio allait de mieux en mieux. Du coup, on a changé un peu la séance, en faisant plus de travail sur du plat. Avec l’expérience, tu commences à te connaître sur le bout des ongles. Tu sais de suite quand ça ne va pas, où ça ne va pas, et combien de temps ça peut t’handicaper.
Tu présentes aussi « l’avantage » de t’être déjà pété un genou…C’est sûr. Après, si je fais le compte, j’ai eu trois grosses blessures, et à chaque fois, je suis revenu, mais mieux. Ça a toujours boosté ma carrière. Je suis curieux de savoir comment progresser encore mieux. Et, honnêtement, je n’ai plus l’appréhension de la « carrière » , celle que je pouvais avoir quand je m’étais pété le tendon d’Achille par exemple. Tu te poses pas mal de questions quand tu te pètes assez jeune : « est-ce que je vais me remettre ? est-ce que la blessure n’est que passagère ?… » Là, je considère que ma carrière de joueur a été accomplie, faite. Maintenant, je le fais pour mon plaisir à moi. Je n’ai jamais lâché et j’aurais pu hein. J’ai 34 ans donc bon… mais ça ne m’a jamais traversé l’esprit. Dans ma carrière, je n’ai jamais rien abandonné, j’ai toujours dû me battre, j’ai été formé dans un club où pour que tu en sortes,… c’est compliqué. Et j’y ai joué quelques années là-bas. Donc tout ça mis bout à bout, il était hors de question pour moi d’arrêter là. J’ai déjà fait des belles choses dans ma carrière, je ne suis pas dans le besoin mais je suis trop amoureux du foot et j’ai été formaté comme un sportif de haut niveau. Donc ce n’est pas dans mon tempérament d’arrêter comme ça. Au début, pour ce type de blessure, tu peux à peine marcher et puis tu peux vite t’ennuyer. Du coup, tu peux te laisser aller, boire un peu, manger un peu, et puis sortir un peu. Mais c’est complètement incompatible avec un bon rétablissement. Par exemple, mon premier verre de rosé, je l’ai bu après 3 mois et demi. Je me suis rendu compte que tout ça, ça faisait la différence. L’hygiène de vie du début de la convalescence, c’est capital quand même.
Propos recueillis par Ronan Boscher, à Marrakech.