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« J’ai passé ma vie de footballeur entre folie et obsession »
Pilier de l'Albicesleste de Bielsa, et de la Lazio championne d'Italie, en 2000, l'ex-milieu tout en grinta Matías Almeyda officie désormais au Mexique, où il entraîne les Chivas Guadalajara. Premier volet de notre entretien dédié à l'entraîneur Almeyda, et à sa fin de carrière d'écorché vif.
On le retrouve à peu près comme on se le remémorait. Cheveux mi-longs, corps affûté d’accroc à la fonte, et cette énergie hors du commun palpable à chacun de ses pas. Seul le bandeau qui ceignait sa crinière et lui donnait des airs de Rahan des rectangles verts n’est plus. Encore en short et maillot, l’ex de la Lazio, de Parme et de l’Inter s’installe sur une chaise d’un recoin vert du centre d’entraînement des Chivas Guadalajara, le club formateur d’El Chicharito, qu’il entraîne depuis septembre 2015. Avant d’être séduit par les généreuses sirènes mexicaines, l’ex-vaillant milieu défensif avait débuté sa carrière sur les bancs à River Plate, à l’été 2011, pour l’unique saison de l’institution de Buenos Aires en deuxième division. Il avait ensuite relevé le même type de défi avec Banfield (2013-2015). Bien avant cela, il y eut un épisode sinistre, presque fatal. En 2004, à 30 ans, le gladiateur argentin décide de rendre les armes. Stupeur. Car aucun pépin physique n’avait précipité ses adieux, juste un profond dégoût pour le milieu dans lequel il évoluait. Mais sans le football, El Pelado (le tondu, il avait le crâne rasé quand il a hérité de ce surnom au centre de formation de River Plate) s’effondra. Dépression, crises d’angoisse, trop d’alcool. Une descente aux enfers pas loin de se terminer au cimetière, comme il l’avait confié à El Grafico en décembre 2009. L’ex-inoxydable milieu ressemblait alors à un vieux lion fatigué, la manière dont le dessina sa fille aînée, un déclic pour se reprendre en main. Matías Almeyda se décide alors pour un étonnant come-back, à 35 ans, avec River Plate. Quatre ans qu’il avait quitté le foot pro, mais sa condition physique hors du commun lui permettra de jouer deux saisons de plus avec les Millonarios, en titulaire. Aujourd’hui, El Pelado rayonne à la tête des Chivas, cette seconde sélection nationale qui ne joue qu’avec des éléments mexicains. Après un début de Torneo Clausura 2016 difficile, El Rebaño Sagrado (le troupeau sacré) reste sur quatre victoires de rang (onze buts pour, un contre), en proposant un football réjouissant. Après une séance d’entraînement matinale sous un soleil de printemps qui ne pardonne pas, à Guadalajara, le champion d’Italie 1999 s’en grille une à l’ombre, avant de se livrer en toute simplicité. Entretien tout en grinta et intégrité, d’un homme revenu de loin.
En France, on se rappelle avant tout de vous pour vos grandes années en Serie A et avec l’Albiceleste. Pourriez-vous nous dire quel type d’entraîneur est devenu Matías Almeyda ? Je suis partisan d’un football de proposition, car pour moi, le football est un spectacle. Je veux que mes joueurs ressortent proprement le ballon, qu’ils se sacrifient pour le coéquipier et qu’ils participent aux tâches défensives comme offensives. Mon système de jeu est extrêmement dynamique, haut consommateur en énergie. C’est mon idéal, mais tout dépend évidemment des qualités de tes joueurs. Ici, je dispose de joueurs habiles techniquement, qui savent s’associer, capables de s’adapter à mon système.
Chivas était menacé par la descente en début de saison. Y a-t-il des circonstances qui pourraient vous faire renoncer à vos principes ?Non (catégorique). Je crois en notre travail, notre méthodologie, je crois en cette manière de sentir le football, de l’exprimer, au-delà de la situation dans laquelle on se trouve. Une équipe qui lutte pour le maintien en restant regroupée derrière ne m’intéresserait pas. Si les résultats ne sont pas au rendez-vous, ils vont me virer, mais j’estime que cela vaut le coup de prendre ces risques. Aussi, comme entraîneur, je veux que mes joueurs progressent. Si on joue frileusement, je fais perdre cinq à six ans de carrière aux jeunes de Chivas. D’où vient votre attachement à un football de proposition ?De mon vécu et de l’endroit où j’ai grandi comme footballeur. J’ai été formé à River Plate, un club où tu es obligé de dérouler le jeu au sol, proprement. Tu dois gagner et bien jouer. Si tu étais champion en jouant mal, tu te faisais siffler. Le culte du résultat est celui qui a le plus de représentants dans les médias, mais l’important, c’est le travail de fond, que ton équipe progresse. Le culte du résultat peut tuer le foot d’ennui.
Étant donné vos convictions, n’étiez-vous pas frustré quand vous jouiez en Serie A, alors que le catenaccio prédominait largement ? Un jour, j’ai eu une discussion animée avec Roberto Mancini quand j’étais à la Lazio. C’était le Clásico de Rome. On menait 3-2 face à une Roma réduite à dix. J’ai dit à Roberto qu’il fallait qu’on fasse l’effort pour avoir la possession, qu’on profite de notre supériorité numérique pour faire courir l’adversaire. Mais on a continué d’attendre et de jouer la contre-attaque. On misait notamment sur l’extraordinaire jeu long de Mihajlović, qui avait un gant à la place du pied, mais au final, on se fait reprendre (3-3). Au sein du vestiaire, on a parlé. Pour moi, ce fut un moment marquant.
Quand l’on vous écoute, on peut déceler des accointances avec le discours de Bielsa, qui vous a dirigé en sélection…Oui. C’est quelqu’un que j’admire, d’une clarté rare. Avec très peu de mots, il t’explique ce que tu dois faire, et surtout, il te convainc. Comme entraîneur, je crois que j’applique une méthodologie similaire à la sienne dans ma programmation des exercices. Comme lui, je travaille en me basant sur des situations de jeu réelles. Je suis sa ligne, je partage cette mentalité d’un jeu porté vers l’avant. Mais je suis évidemment très loin d’être Bielsa. C’est le meilleur coach que j’ai connu.
Le meilleur ?On peut dire que le meilleur est celui qui a le plus gagné, mais le succès ne peut se réduire à des résultats. La trace que tu laisses est tout aussi importante. Et ce qui caractérise Bielsa est que tous les joueurs qu’il a eus vont t’en parler en bien, et pourtant nous n’étions pas ses amis. Notre respect et notre admiration envers lui sont immenses. J’ai aussi une grande estime pour Guardiola ou Ferguson, mais je ne les ai pas eus comme entraîneur, je ne peux donc pas comparer.
Quand il vous a retenu en sélection, vous aviez 25 ans, vous étiez un joueur qui arrivait à maturité. En quoi vous a-t-il fait progresser ?Tout d’abord, dans mon attitude. Dans ma concentration, mon application lors des entraînements. Je suis devenu beaucoup plus sérieux. J’ai aussi appris à mieux analyser nos rivaux. Bielsa te donnait vraiment une information parfaite sur tes adversaires, mais aussi sur toi-même. Avant chaque match, il me montrait quelques images : ce que je faisais bien et mal. Il parlait peu, mais ces images étaient tellement bien sélectionnées que son message était limpide. Ses discours étaient aussi remarquables. Il pouvait te réveiller un mort. Son lexique est riche, mais surtout, précis. Au Mondial 2002, même si ça ne s’est pas bien passé, si les supporters avaient écouté ses causeries d’avant-match, je crois que tout le pays aurait voulu jouer le match.
Quelque chose qu’il vous a dit et vous a marqué ? Il m’a toujours bien traité. Je me rappelle qu’il m’a dit : « À chaque fois que vous avez le ballon et le passez à un partenaire, vous le faites à « trois doigts » (de l’extérieur, nda), cela me suffit à savoir que vous êtes un très bon joueur. » Avant qu’il me le dise, je n’avais jamais prêté attention à cela, et en observant les vidéos, je me suis rendu compte que c’était vrai et cela m’a donné encore plus confiance en moi au moment de réaliser ce genre de passes. Humainement, il m’a aussi laissé de grands souvenirs. Lors des éliminatoires, j’avais une tante qui était gravement malade et j’ai appris qu’il ne lui restait que quelques heures de vie. J’ai tenu au courant Marcelo de la situation, et sans hésiter, il m’a dit : « Allez-y, profitez de ses dernières minutes, secondes, à ses côtés, le football peut attendre. » Quand j’ai été champion avec River et Banfield, il m’a envoyé, à chaque fois, des lettres très émouvantes. Quand je suis revenu au football aussi, il m’a écrit pour me dire : « Si le football vous rend vraiment heureux, je serai heureux pour vous, mais si vous vous rendez compte à nouveau que le football ne vous rend pas heureux, allez vous-en. »
Justement, pourquoi avoir pris votre première retraite si tôt ?En fait, j’ai passé ma vie footballistique sur le fil du rasoir, entre folie et obsession. J’étais à l’Inter, j’avais un contrat de trois ans, et au terme de ma deuxième année, j’ai dit à Moratti que je n’en pouvais plus.
Pour quelles raisons ?J’étais contre un système que je ne pouvais pas changer, alors j’ai décidé de partir (il jouera tout de même quelques mois avec Brescia, nda). C’était vraiment un coup de folie, personne ne comprenait rien.
C’est de corruption que vous parlez ?
Non, plutôt toute cette hypocrisie du football professionnel, ces gens qui te poignardent dans le dos, ces amitiés qu’il fallait nouer avec des journalistes pour qu’ils parlent bien de toi et en tirer un avantage, je n’ai jamais pu supporter cela. En fait, j’ai toujours senti cela, mais plus les années passaient et plus cela me rendait malade. Je n’ai jamais compris qu’on pouvait parler si bien de moi, me sourire quand je réalisais de grandes performances, et que les mêmes personnes pouvaient me descendre quand j’étais moins bien.
Vous parlez de certains dirigeants, agents, journalistes ?Pas seulement, je pense aussi à des amis, à des membres de ma famille, un paquet de gens. Que l’attitude des gens changent envers toi selon tes résultats, cela m’a toujours écœuré. Bon, finalement, j’ai appris à l’accepter. Le football me manquait trop.
Quand vous prenez votre retraite, vous partez travailler à la campagne…Oui. J’ai investi mon argent dans une exploitation, en Argentine. J’avais des animaux, on produisait du lait : 800 litres par jour. Je me suis installé à la campagne, mais j’ai vraiment eu du mal à m’adapter. Je me suis rendu compte que c’était une vie vraiment difficile. Il faut être fait pour ça. J’avais 2000 animaux, je les regardais, et aucun ne me faisait l’effet que peut me faire un ballon. Qu’une vache me donne 40 litres de lait ou 23, pour moi cela revenait au même…
Vous n’avez donc pas seulement investi, vous travailliez au quotidien ?Oui, je trayais mes vaches, je vaccinais, je coupais les cornes de mes bovins, je conduisais des tracteurs, je semais aussi. Mais ce n’était pas mon truc. Une année, j’ai semé du maïs, et normalement, il faut suivre une ligne droite, ce que je pensais avoir fait. Mais quand le maïs est sorti de terre, les rangs étaient en zigzag. Je conduisais donc bien le tracteur, mais très mal. (rires)
À propos de votre reconversion, vous avez dit : « Il convient à beaucoup de gens que les footballeurs soient ignorants. » Aujourd’hui, parlez-vous à vos joueurs des dangers de l’après-carrière ? Oui. Au terme de sa carrière, un joueur qui a ouvert son esprit aura les outils en main pour mener une vie digne, il saura communiquer, raisonner, et se faire respecter par les autres. J’essaie donc d’inciter les joueurs à apprendre une langue étrangère, à étudier, et pas seulement pour préparer leur après-carrière. Car, à l’entraînement, il y a beaucoup plus de chance qu’un joueur qui étudie comprenne rapidement un exercice. J’insiste aussi sur le fait qu’il faut garder les pieds sur terre, ne pas se sentir au-dessus des autres car on est footballeur.
Et comment convaincre ceux qui persistent à penser qu’ils n’ont pas besoin d’autre chose que du football ?Je partage mes expériences, les erreurs, les horreurs même, que j’ai commises, pour qu’ils ne les répètent pas. La célébrité peut te faire perdre la tête, les tentations sont nombreuses, la plupart négatives, je les préviens de ces dangers.
Quelles erreurs avez-vous commises comme jeune footballeur ?Ma chance est d’avoir eu un physique privilégié. Tous les excès que je pouvais commettre, je ne les payais pas, car j’étais un fou d’entraînement. À la maison, je m’entraînais aussi, mais je faisais des choses qui ne sont pas conseillées à un footballeur…
Propos recueillis par Thomas Goubin, à Guadalajara