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« J’ai fait croire que je partais en vacances pour quitter la Libye »

Propos recueillis par Flavien Bories
8 minutes
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Indomptable. À 45 ans, Patrick Mboma a vu du pays et se raconte : Cameroun, France, identité, PSG, Japon, corruption, rencontre avec la famille Khadafi... Retraité depuis 2005, l'attaquant aux 33 buts en 56 sélections est consultant pour Canal + Afrique et passe ses diplômes d'entraîneur. À coup sûr, le périple de Mboma le Douala n'est pas terminé.

Comment avez-vous débuté le football ? J’étais un petit Bondynois vivant dans une HLM avec, autour de lui, beaucoup de gens, dont des grands frères faisant du sport, majoritairement du football. Il y avait des espaces pour jouer, des cours d’école et même un lopin de terre dans la cité. Et puis surtout, mon papa était un ancien joueur. Derrière, on suit naturellement et on se rend compte quand arrive la Coupe du monde 98 qu’on est fait pour le football.

À 19 ans, vous arrivez au PSG, mais on ne vous fait jamais vraiment confiance. Comment peut-on l’expliquer ?Déjà, aujourd’hui, si je suis supporter du Paris Saint-Germain, c’est parce que je le remercie de m’avoir donné l’accès au monde professionnel. Ensuite, j’ai fait ma carrière et je n’ai pas de regrets de ne pas y avoir laissé ma trace. Quand je traverse le Parc des Princes, je ne m’attends pas à voir ma photo, alors qu’on verra Raí, Ginola, Dahleb… Certains ont marqué l’histoire du club, moi je suis arrivé à une époque où il était difficile d’être un Francilien et de percer au PSG. La politique du club n’était pas tournée vers la formation. À 19 ans, je me suis dit que j’allais y arriver. J’ai fait mon premier match au Parc. J’ai marqué très vite. On se dit que ça va aller, mais il y avait une concurrence très forte avec George Weah, ce n’est pas facile lorsqu’on débute. Que ce soit Fernandez ou Ricardo, ils ne m’ont pas donné la confiance que j’estimais mériter. J’ai pensé qu’il était bon de partir. Il faut se rappeler une anecdote. Après un an au Japon où je termine meilleur buteur, je suis quand même contacté pour revenir au PSG. Le président Michel Denisot croyait en moi. Peut-être que j’aurais pu marquer ce club.

En 1997, vous décidez de partir au Japon. Pourquoi ?Je suis au PSG, Ricardo est l’entraîneur. Je ne joue pas beaucoup, mais mon ratio but marqué/match joué est intéressant. Mais si je suis bon, on considère que c’est normal, sinon c’est la fin du monde et c’est limite si je n’avais pas le droit à une convocation. Je me retrouve avec une proposition qui vient de nulle part. Je décide d’aller au Japon, car je jouerais et, accessoirement, on me propose huit fois plus que ce que je gagne. Entre être mécontent à Paris et content même loin de la médiatisation globale, j’ai fait le pari d’aller au Japon. Un an plus tard, j’ai réussi à revenir en Italie, en faisant un effort sur le salaire, preuve que je n’étais pas obnubilé par l’argent, mais par le fait de jouer au plus haut niveau. Je pense que si j’ai été un leader au Cameroun, c’est grâce à ce que j’ai appris en Italie : le combat, la compétition, l’envie de gagner. Je ne pense pas que j’aurais été champion olympique ou d’Afrique si j’étais resté au Japon.

J’ai réalisé un test où il fallait transvaser des petites boules qui étaient très glissantes, avec des baguettes en bois qui l’étaient aussi. J’ai été le seul dans l’histoire de l’émission à le réaliser.

Comment le Japon a-t-il vu votre arrivée, celle d’un Africain ?Quand je suis parti au Japon, j’ignorais tout de ce pays. J’avais juste entendu le mot « sushi » , mais je n’en avais jamais mangé ! Je connaissais le nom de cinq ou six villes par la guerre. Je me rappelle avoir été à la Fnac pour acheter un petit guide. J’ai appris à compter jusqu’à 10 ! On a commencé un toro le premier jour d’entraînement. Quelle a été la surprise de mes coéquipiers, lorsque j’ai moi aussi compté en japonais. En fait, je suis parti de France en me disant « on laisse le fromage et la baguette, et on va là-bas manger avec les baguettes » (rires). Ma volonté d’adaptation a été très bien perçue par les Japonais. Finalement, tout a été parfait. D’ailleurs, avant que le championnat ne reprenne, j’ai été l’invité d’une émission télé où on testait les connaissances de certaines stars étrangères du pays. J’ai réalisé un test où il fallait transvaser des petites boules qui étaient très glissantes, avec des baguettes en bois qui l’étaient aussi. J’ai été le seul dans l’histoire de l’émission à le réaliser. Tout ça a été relaté, médiatisé. Je me suis retrouvé très vite sous le feu des projecteurs. Mon premier but en championnat a été le plus beau de mon histoire au Japon. Tout cela a contribué à mon épanouissement. J’ai eu une chance extraordinaire de vivre dans un pays que j’ai apprécié, de même que ma famille. L’équilibre, l’aspect mental, c’était très important.


Pourquoi ne pas être revenu au PSG ?La peur de faire banquette. Avec peut-être un très bon salaire, mais je ne voulais pas être le joueur le mieux payé de troisième division (rires). La Coupe du monde arrivait 6 mois plus tard. Je ne voulais pas prendre le risque de ne pas jouer régulièrement. Je me suis dit que si je devais revenir en Europe, ce serait après la Coupe du monde et ça a été le cas.

Et vous choisissez Cagliari.Quitter le Japon où je gagnais beaucoup plus d’argent pour l’Italie, c’était le défi sportif. À l’époque, c’était le meilleur championnat au monde. Le challenge était : « Maintenant, tu as gagné un peu d’argent, tu dois faire parler de toi. » Je ne visais même pas un titre de footballeur africain, mais je voulais marquer des buts. Avec mon séjour au Japon, j’ai compris l’importance de parler la langue. Il ne m’a pas fallu plus de deux semaines pour apprendre l’italien. J’ai eu des soucis, notamment physiques, une fracture du pied qui ne m’a pas aidé. J’ai réussi à m’imposer au départ, mais les Italiens sont impatients. Lutter pour le maintien, je ne connaissais pas vraiment. C’était compliqué. Ça a été un challenge important que j’ai mis 6 mois à digérer, mais j’ai réussi à relever le défi. Au final, je sais que je peux aller à Cagliari tranquillement et que j’y suis reconnu comme ayant aidé le club à vivre de bons moments.


Vous débarquez ensuite à Parme, très bon club à l’époque.J’arrive à Parme avec un bon statut. J’ai fait deux années à Cagliari. Je suis repéré par les meilleurs clubs italiens. J’arrive dans une équipe qui lutte pour le Scudetto, mais je ne suis pas la recrue phare. J’y vais avec beaucoup d’humilité, c’est la moindre des choses avec tous les champions qu’il y a dans cette équipe. Quand j’arrive, je marque un doublé contre le Milan AC, un rival. Derrière, j’enchaîne les bonnes performances et je suis élu meilleur joueur africain. Je gagne vite le respect de mes pairs. Derrière, des blessures font que je n’arrive pas à exploser complètement, mais mon passage est quand même remarqué.

Ensuite, j’ai été en contact quatre longs mois avec son fils Saadi. Ça s’est très mal passé. Il traitait les gens comme des jouets

Ensuite, vous passez par l’Angleterre, puis la Libye. Comment vous êtes-vous retrouvé là-bas ?L’Angleterre, je regrette de ne pas y être allé avant. Ça a été rapide avec Sunderland, Je voulais jouer régulièrement avant la Coupe du monde 2002, mais je me blesse très vite dans un match à Highbury. Ensuite, la coupe se termine au premier tour pour nous qui visions le dernier carré. À 31 ans, c’est ma dernière très grande compétition. Je reçois une offre démente. Je pèse le pour, le contre : « Tu as joué au football, gagné des médailles, des titres, mais demain, ce n’est pas avec ça que tu vas aller faire tes courses. » Le choix était purement économique.

Vous avez rencontré le colonel Khadafi ?Pas lors de ce séjour, mais quelques mois plus tôt, à l’occasion d’un amical Libye-Cameroun où j’avais marqué trois buts et l’esprit de son fiston. Le soir, on avait été invité par le colonel chez lui. On avait mis beaucoup de temps avant de le voir, on se demandait d’où il allait sortir. Il nous a fait visiter sa maison, celle qu’il gardait comme un musée, celle où il y avait encore les traces des bombes américaines, lorsqu’il a perdu sa fille adoptive. Il nous raconte ça, nous sommes stupéfaits, puis il disparaît comme il est arrivé. Ensuite, j’ai été en contact quatre longs mois avec son fils Saadi. Ça s’est très mal passé. Déjà, parce qu’il traitait les gens comme des jouets. On était entre des Legos et des poupées Mattel. Pour lui, dépenser de l’argent pour faire venir Ikpeba ou Mboma n’était pas un problème, mais les traiter comme des êtres humains était plus difficile. Il voulait qu’on l’aide à gagner des titres, mais il en récoltait toute la gloire. Or son niveau était au mieux celui d’une Division d’Honneur française. C’était donc compliqué pour moi de marquer des buts et de voir qu’on ne parlait que de lui. En plus, des salaires n’ont pas été payés. Quand il fallait sortir du pays, même pour la sélection, un visa était obligatoire, on ne me le donnait pas. C’était difficile pour ma famille. Un jour, il s’est rappelé que ma femme était née à Haïfa (en Israël), ça lui posait problème. Du coup, j’ai pris mes valises, ma famille, et j’ai quitté la Libye.

Ils t’ont laissé partir sans problème ?J’ai fait croire que je partais pour les vacances…

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