- 100 Français en Serie A
- Ibrahim Ba
« J’ai commencé par les Harley Davidson, avec Tassotti… »
Parmi les 100 Français ayant évolué en Serie A, rares sont ceux restés vivre en Italie. Disparu des radars français, Ibrahim Ba fait partie de ces exceptions et raconte ses différentes reconversions au travers de quinze clichés Instagram.
1. Yokohoma, au Mondial des clubs 2007
« Ça, c’est lors de la dernière saison de ma carrière. J’étais revenu au Milan un an plus tôt, précisément à l’automne 2006. Après mon expérience à Djurgårdens, j’ai été opéré au genou et je faisais ma rééducation à Amsterdam. Le Milan jouait un match de Ligue des champions à Anderlecht, je suis allé les voir parce que j’étais resté en contact avec pas mal de joueurs. Galliani m’a proposé de me remettre sur pied à Milanello, en me disant que j’étais toujours le bienvenu. J’accepte, je termine ma rééduc’, je m’entraîne même avec le groupe et j’ai donc suivi toute l’épopée en Ligue des champions. Après la revanche contre Liverpool, Galliani me propose ou d’intégrer le staff, ou de signer un contrat. J’avais encore envie de jouer, alors j’ai accepté la seconde solution, mais c’était au salaire minimum, hein. Malheureusement, j’ai eu des problèmes de calcification à la cheville, j’étais donc de nouveau sur le carreau. Du coup, je suis devenu un peu le porte-bonheur, car un ami à moi avait remarqué que le Milan gagnait la plupart de ses trophées internationaux en jouant en blanc. Et avant chaque finale, Galliani, très superstitieux, me demandait quelles étaient les sensations de mon pote sur la couleur du maillot. »
2. Les chutes du Niagara
« Quand j’ai arrêté, je suis parti plusieurs mois au Sénégal, dans un village pour aider notamment à construire une mosquée. Puis, petit à petit, j’ai commencé à voyager. Cette photo, c’était avec les « Milan Glorie » à Toronto pour une rencontre face aux anciens de Benfica. On a décidé de faire une sortie et on est allé aux chutes du Niagara. La destination qui m’a le plus marqué est la Jamaïque, c’est quasiment comme l’Afrique. Il fait bon vivre, le programme c’est soleil et plage la journée, sorties le soir. Et puis, c’est petit, tout le monde se connaît, c’est l’occasion de faire des rencontres marquantes. »
3. La Jamaïque
« Un de mes meilleurs amis, Ricardo Gardner, avec qui j’ai joué à Bolton, est jamaïcain et a même joué le Mondial 98. On a de suite accroché, d’ailleurs, c’était une belle équipe, il y avait Djorkaeff, Ngotty, Okocha avec Allardyce comme coach. Avec Riccardo, on a continué à se fréquenter par la suite, je suis allé le voir chez lui avec Vieri. C’est à Kingston, la capitale, il y a des quartiers dangereux, mais c’est vraiment super. On a rencontré Usain Bolt, Asafa Powell. Ils se connaissaient tous, c’est comme s’ils avaient grandi ensemble. J’ai fait d’autres rencontres de ce genre durant mes voyages, par exemple le boxeur Lennox Lewis à Miami où je me rends souvent. »
4. Les thermes de Castrocaro
« Ah ça, c’est une rencontre particulière ! Il faut avoir le sens de la dérision ! Pour la « Fondazione Milan« , nous étions dans les thermes de Castrocaro du côté de Forli. Mussolini y avait sa résidence, son ancienne chambre a été conservée, d’où le buste. Il y avait toute une visite à faire, c’était très intéressant. Et puis voilà, là tu vois un homme de couleur, enfin, même deux (rires), c’est un joli contraste. L’héritage mussolinien n’est pas totalement renié ici. Pour tous les Italiens qui considèrent qu’il y a trop d’étrangers qui leur piquent leur boulot, il reste évidemment le symbole. C’est l’excuse facile. Si tu veux bosser, tu trouves, l’Africain, il est prêt à prendre sa pirogue pour aller chercher n’importe quel boulot ! »
5. Ibou et les motos
« En tant que footballeur, il y a toujours une clause dans les contrats d’interdisant de faire de la moto. Ça fait partie des choses que j’ai rattrapées une fois retraité. J’ai commencé par les Harley Davidson, avec Tassotti et d’autres anciens coéquipiers, on s’est fait des virées à Rome, à Saint-Tropez, en Autriche. J’ai une BMW aussi. Ce sont deux styles différents, mais les deux me vont. Ce cliché, c’est pour les 30 ans de la « Numero Uno« , un concessionnaire de motos à Milan, les meilleurs clients étaient conviés. Puis ici, c’est le pays de la moto, Aprilia, j’aime beaucoup, Moto Guzzi également dont les usines se situent à Lecco, sans oublier la Vespa, j’en ai une que j’ai conservée ! »
6. « Bobo, c’est vraiment un ami »
« On est un groupe d’anciens joueurs, on se fréquente tout le temps. Vieri, Angelo Carbone, Maldini, etc. Tous les samedis matin, on fait notre foot, puis on mange un morceau. Ce jour-là, il faisait beau, et on s’est dit « Paintball ! » Il n’y a pas d’âge pour y jouer, il y avait des gosses, des adultes, on a fait deux équipes et j’ai perdu. Bobo, c’est vraiment un ami, un ancien grand joueur, mais aussi très people, il faut l’avouer. C’est quelqu’un vraiment d’ »easy« , sans prise de tête. Il se crée une image pour se protéger. Il a sorti son autobiographie d’ailleurs, coécrite avec Mirko Graziano, journaliste de laGazzetta dello Sport.C’est moi qui l’ai invité à notre table d’amis et les ai fait connaître. Est-ce qu’il compte se marier un jour ? Ce serait très difficile, mais j’espère pour lui. »
7. La boxe avec Maldini
« Quand j’ai arrêté de jouer au foot, j’ai rien fait pendant deux ans, et j’ai atteint les 100kg. J’ai vraiment tout coupé, je n’avais même pas envie de continuer de taper dans la balle. Paolo m’a dit « Qu’est-ce que tu fous ? T’étais beau gosse avant, regarde-toi ! Je fais de la boxe, viens, on va voir si t’as des couilles ! » J’ai accepté le défi, et on s’est retrouvés à la salle à boxer deux fois par semaine. Avec Maldini, c’est un rapport différent que celui avec Bobo, car il est père de famille. Je le connais mieux, puisque je l’ai côtoyé en tant que coéquipier, c’était mon capitaine. On se parle énormément, on est comme deux frères. Et pourtant, au début, on ne se calculait pas trop. Par la suite, on s’est retrouvés à manger ensemble, à aller en vacances à Miami et à l’entraînement tous les jours. On s’appelle tous les soirs, on se mate des matchs chez moi, chez lui, ou à San Siro, ou même au Parc des Princes, la fois où il a parlé avec Nasser, même si c’est resté sans suite. »
8. « Boban s’entraînait avec Ivanišević »
« Ah le tennis, je suis accroc ! Je jouais déjà en tant que footballeur, face à Boban qui excelle dans ce sport. En même temps, il s’entraînait avec Ivanišević ! Maldini aussi est un adepte. Le tennis, pour un footeux, c’est un défi. Tu es tout seul face à ton adversaire, c’est à toi de trouver la faille pour gagner, tu ne peux compter sur personne d’autre. J’y joue vraiment tous les jours depuis deux ans avec un coach perso. Il m’arrive aussi de faire des tournois pour des œuvres caritatives. Cette photo-là, c’était en Sardaigne pour la Fondazione Milan. J’ai même mis Ricardo Gardner à ce sport. Le meilleur ? Candela se débrouille bien, mais ça reste Boban. »
9. Milan Glorie
« Ça, c’est le dernier match des « Milan Glorie » en Chine, je devais y aller, mais je me suis fait mal au genou. Il y a du beau monde sur cette photo, Eranio, Ambrosini, Papin. Il y a des mecs au sein du club qui s’occupent d’organiser tout ça, ils t’appellent, tu demandes qui est là, c’est comme organiser un foot entre potes. J’ai gardé un rapport privilégié avec le Milan. Après ma retraite, j’ai fait talent-scout pour eux, ça me plaisait, même si l’œil ne suffisait pas, il faut aussi de la chance. Je m’occupais du Sénégal, Mali, Guinée, tout ceci pendant trois ans. Seulement voilà, je me suis énervé, parce qu’on ne me prenait jamais de joueurs. En Italie, ils sont plus sudam’, ils pensent aux futurs Neymar et Messi, ce qui est aussi légitime quand tu regardes l’histoire du foot. Ensuite, j’ai fait la France jusqu’à l’an passé. En 2012, on me propose Kondogbia à 3 millions, je fais passer le message au Milan, notamment à Braida, l’ancien directeur sportif, il temporise et finalement Geoffrey va à Séville. On me le repropose un an plus tard, à 6 millions avant l’enchère qui l’envoie à Monaco. Moi, j’avais parlé directement avec lui et il était chaud pour venir. J’avais bien suivi la génération championne du monde U20, entraînée par Mankowski et dirigée par Hureau, deux personnes que j’ai connues au Havre. Toute est histoire de connexions dans ce milieu. Braida attendait de savoir si le Milan allait se qualifier en Ligue des champions. Il ne voulait pas prendre la responsabilité de mettre 6 millions sur un gars de 19 ans. Deux ans plus tard, Galliani était prêt à en mettre 35 ! C’est con, parce que c’est un profil qui manquait et qui manque encore. »
10. Ibou Ba et les médias
« J’ai fait plusieurs petits passages à la télé, même un matin chez beIN Sports France. En Italie, j’ai commenté le dernier Trophée des champions sur Gazzetta TV, mais je préfère plus les plateaux. Là, c’était à Mediaset Premium, avec Fabrizio Ferrari, un agent italien, on était en train de parler de Gonalons à Naples. Je n’ai jamais été très présent dans les médias depuis ma retraite, il faut dire qu’on m’appelle toujours pour parler de la même chose, France 98 et compagnie. Je préfère plus le taf que je fais pour Nike, mon ancien sponsor, je suis chargé de les aiguiller sur les jeunes sur qui miser. D’ailleurs, avant le Mondial 1998, j’étais un de ceux qui avaient le plus insisté afin que les joueurs puissent chausser les crampons de leur équipementier personnel… »
11. Les stages pour gamins aux États-Unis
« Je vais aux USA chaque année. Un groupe d’ex-joueurs composé de Costacurta, Cannavaro, Oddo, Ambrosini a fondé la Champions’ International Camps dont le principe est l’organisation de stages de football d’une semaine. Los Angeles, New-York, Seattle, Baltimore, de 8 à 16 ans. Là, c’est une lettre d’un des gamins qui m’a remercié. Très touchant ! En Italie, j’ai également coaché des jeunes, mais ça s’est fait par hasard. Paolo (Maldini) était parti aux US pour affaires, alors j’ai suivi son fiston Christian qui était prêté chez les U18 de Brescia. Un jour, je matais l’entraînement d’en haut et j’ai vu un mouvement mal fait. Je suis alors descendu sur le terrain le signaler au coach qui a apprécié, il m’a carrément demandé de lui donner un coup de main pour le reste de l’année. »
12. « J’ai quelques touches aux USA »
« Je n’ai jamais voulu être entraîneur à la base, je considérais ne pas avoir ça dans le sang. Joueur, je faisais mon boulot individuellement et collectivement, mais je n’étais pas du genre à faire des remarques. Et puis, c’est venu petit à petit en voyageant, en matant des rencontres. Quand on joue entre nous, je suis le casse-couilles qui replace tout le monde, on m’a même surnommé « coach ! » Je passe mes diplômes petit à petit, j’ai commencé par l’UEFA B, un cours qui a duré trois mois, c’était en alternance, une semaine sur deux. Du lundi au samedi, ça bossait, comme vous pouvez le voir sur cette photo. Ensuite, il me restera l’UEFA A pour entraîner jusqu’en 3e division, puis le master pour exercer partout. Je ne ferme aucune porte et j’ai quelques touches aux USA. »
13. La vie milanaise
« Milan est devenu ma résidence principale. Là, c’est chez moi, avant de partir au tennis. Ma mère, mon frère et ma sœur, beaucoup plus jeunes que moi, m’ont rejoint dès 2000 suite au divorce de mes parents. On a vécu trois ans tous ensemble. Ici, je fais ma vie et je suis parfaitement conscient que mon passé de footballeur me facilite les choses, ce qui n’est pas le cas pour tous les noirs qui habitent en Italie. Toutefois, je pense aussi avoir gagné le respect grâce à ma discrétion. Je ne suis pas un « m’as-tu vu« . J’ai beaucoup voyagé, mais à chaque fois, je suis revenu à Milan. Une ville finalement pas si grande que ça, beaucoup moins que Paris en tout cas. »
14. « J’ai plus de points de suture sur mon genou que le Milan ! »
« Foot à 7 entre potes, en novembre, un lundi soir comme tous les lundis. Je vais pour presser, j’entends « clac« , je suis par terre, et je savais ce que c’était, car cela m’était déjà arrivé. C’est le tendon rotulien qui a lâché, la première fois, c’était en 99, la même que Ronaldo. J’ai été amené directement à l’hôpital, on m’a opéré deux jours après. Regarde les points de suture, j’ai plus de points que le Milan (rires) ! J’en ai pour six mois d’arrêt. Du coup, le foot, je ne suis même pas certain de reprendre, c’est un coup, je ne ferai que du tennis. »
15. Ibou et la France
« Je suis arrivé à l’âge de 12 ans dans l’Hexagone, j’ai grandi à Barbés, j’ai connu Abbeville, Bordeaux, Le Havre. Je peux paraître distant avec la France, mais non, c’est le pays qui a donné la chance à ma famille, à mon père qui était également footballeur professionnel. J’y viens de temps en temps voir mes amis, j’ai même failli y passer mes diplômes de coach. Ce cliché, c’était après les attentats du 13 novembre. Je suis musulman, j’ai été élevé dans un contexte ultra-tolérant, sans haine. Sur cette photo, je suis avec un ami italien catholique. Ici, il y a le Vatican, l’Italie est aussi une cible, ne l’oublions pas. »
Propos recueillis par Valentin Pauluzzi