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Jacques Villeret, ce footballeur total
Acteur génial et regretté, Jacques Villeret faisait aussi des merveilles sur les terrains de football, où il s'imposait grâce à sa puissance et à sa vision du jeu. Ceux qui ont chaussé les crampons avec lui se souviennent, entre hommage ému, nostalgie de la camaraderie d'antan, et comparaisons un brin flatteuses.
François Pignon n’a qu’une seule mission, très simple. Appeler son pote du ministère Lucien Cheval, contrôleur fiscal, pour récupérer l’adresse de Pascal Meneaux, chez qui la femme de Pierre Brochant pourrait avoir trouvé refuge. Mais dès la première seconde du coup de fil, Lucien Cheval joue la provoc’, avec son jogging et sa canette de Kro à la main : « Alors, comment il va ce soir, monsieur l’Auxerrois ? » La conversation s’envenime, et 30 secondes plus tard, François Pignon raccroche violemment. « Ho, mais quel connard, ce type ! Aux chiottes l’OM ! Aux chiottes l’OM ! » Témoin de la scène, Juste Leblanc est fasciné : « Non, mais il est hors concours celui-là ! » La scène est mythique, et Jacques Villeret, Thierry Lhermitte et Francis Huster écrivent l’une des plus belles pages de la comédie française. Mais avant d’utiliser un match de football comme prétexte à des gags dans Le dîner de cons, Villeret et Huster avaient déjà partagé des moments forts autour d’un ballon, entre amis, sur un terrain ou devant une télé. « On a vécu ensemble la chose la plus extraordinaire, la demi-finale France-Allemagne de 82. On était dans la maison de campagne de Jacques. C’était extraordinaire, la seule fois où j’ai vu Villeret grandiose de colère et de rage » , se souvient Francis Huster. Jacques Villeret était en effet un fou de football, toujours prêt à en discuter et, plus étonnant vu son gabarit, à aller planter quelques buts. Francis Huster développe : « Il jouait des rôles où il était bedonnant ou grassouillet, mais rien à voir avec la puissance qu’il avait. C’était un excellent joueur, un demi-centre avec un regard sur tout ce qu’il se passait dans la partie, très technique. »
Jacques Puskàs
Le football, Villeret le découvre dans la petite ville de son enfance, à Loches, en Indre-et-Loire. Son père adoptif, Raymond Villeret, solide milieu de terrain de l’équipe du coin, l’emmène traîner sur les terrains, et Jacques y sera lui-même licencié quelques années plus tard, avant de s’envoler pour Paris et le conservatoire. Il y rencontrera certains de ses futurs coéquipiers, Francis Huster ou André Dussollier. Nous sommes au milieu des années 70, et la carrière au cinéma de Villeret n’a pas encore vraiment décollé. Il est malgré tout un membre régulier des équipes de célébrités de football et même de basket concoctées à l’époque par le journaliste cinématographique Gilles Durieux : « Chaque année au Festival de Cannes, j’organisais un match que tout le monde attendait et que tout le monde regrette encore. Un match réalisateurs contre acteurs. » C’est lors d’une de ces parties que Villeret découvrira la Croisette pour la première fois. L’équipe de Gilles Durieux, baptisée Cinequanon, du nom de la maison de production de son grand ami Jean Yanne, aligne Villeret dans sa ligne d’attaque. « C’était un très bon joueur, contrairement à ce qu’on peut penser avec sa petitesse et son poids supplémentaire. Il était remarquable, très puissant » , indique Durieux, avant d’oser ce parallèle : « C’était Puskàs, c’était ça ! » Francis Huster est à la reprise de volée : « C’est exactement la bonne comparaison. Villeret avait la même chose que Puskàs, une vision du jeu extraordinaire. Ils me font penser à des cow-boys dans les westerns. Ils tiraient le ballon comme une balle de revolver, c’était très soudain, très félin, pas du tout lourd. » Rien que ça.
Au festival de Cannes pour jouer au foot
La bande a vécu quelques grands moments, en faisant jouer des castings en or. Belmondo et Jacques Weber se relaient dans les cages, sauf quand Jacques Vendroux passe par là pour dépanner, comme lors d’un match en 1977 à Ploudaniel, le village breton de Gilles Durieux. Toute la clique est présente, même le sélectionneur Michel Hidalgo, venu en voiture depuis Bordeaux. Jacques Vendroux rembobine : « On s’était marrés, vous pouvez pas imaginer. Villeret était un bon footballeur, un numéro 10 gaucher pas ridicule. Déjà marrant, déjà chambreur. Il habitait à côté de chez moi dans le 16e arrondissement de Paris. On parlait souvent de foot, il était très fan de Saint-Étienne et de Platini, qui le lui rendait bien. » De là à le comparer à Puskàs ? « Ho, faut pas exagérer non plus. » Sur le terrain, les vedettes de l’époque s’en donnent à cœur joie. Jean-Claude Drouot, Francis Perrin ou encore Jacques Charrier, l’ancien mari de Brigitte Bardot, plus adroit en drague que devant les buts. « Une chèvre ! » accuse Gilles Durieux. « Il est arrivé dix fois seul balle au pied face à Belmondo, dix fois il a mis la balle à côté » De temps en temps, la team Durieux affronte d’autres équipes de stars pour des matchs qui n’ont d’amicaux que le nom. « Il ne fallait pas chercher de noises à Villeret, il se castagnait pour un oui ou pour un non » , jure Durieux, qui se rappelle une défaite devant plus de 2000 spectateurs face aux Polymusclés de « cet enfoiré de Charles Gérard » , après laquelle les joueurs de Cinequanon pleuraient en rentrant au vestiaire. À la même époque, Villeret s’inspire aussi du terrain pour écrire des sketchs comme ce Sport à la maison, dans lequel il raconte une dispute conjugale comme un commentateur sportif.
Tous fans du « petit gros »
Acteur immensément populaire à sa grande époque, Jacques Villeret savait aussi être l’un des chouchous du public sur les terrains. Gilles Durieux se souvient de l’époque où le comédien jouait dans son équipe de basket, et qu’il voulait le faire sortir pour faire jouer tout le monde : « Le public criait « Le petit gros ! Le petit gros ! » Je ne pouvais pas faire ce que je voulais, les gens le réclamaient ! » Quelques années plus tard, une nouvelle aventure footballistique débute avec la création du Racing Club Football de l’Alma, équipe de stars fondée cette fois par Pierre Huth, dentiste des people et membre de la FIFA. Au programme, presque les mêmes têtes, Francis Huster, Jacques Villeret ou André Dussollier, entre autres. « Dussollier, c’était le Beckenbauer. Il jouait très bien au football, mais il n’était pas assez méchant. Alors que Villeret était méchant, mais Dussollier jouait au football comme il jouait sur scène, très élégant, très simple » , commente Huster, qui joue numéro 9, car « en général, le glandeur-branleur, il joue avant-centre, il joue dix minutes par match ! » Des footballeurs leur prêtent parfois main forte lors de leurs matchs du dimanche matin, Gérard Houllier ou Safet Sušić par exemple. Quand il a le temps, Joël Quiniou vient arbitrer quelques matchs. Le Racing Club de l’Alma dure jusque dans les années 90, et Huster et Villeret devront attendre Le dîner de cons pour causer football à nouveau. Un film dont le scénario l’obligeait à supporter Auxerre au lieu des Verts, et même à scander « Allez l’OM » . Voilà qui méritait bien un César.
Par Alexandre Doskov, tous propos recueillis par AD