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J-sang : le Brésil est déjà très chaud
Après l’avancée des travaux hier dans le J-101, So Foot vous propose à J-100 un état des lieux de la violence au Brésil, entre contestation, mouvements sociaux et bastons autour des stades. Si les militaires présentent une équipe en juin, c’est eux qui auront le plus de spectateurs dans les stades.
Contexte budgétaire : le Brésil est une république fédérale. Les travaux de la Coupe du monde, initiative gouvernementale, sont en général financés par l’état fédéral (Brasilia), puis par l’état concerné (Rio, SP, Bahia, Pernambouc…), et en dernier ressort par les mairies, traditionnellement moins dotées fiscalement. Quand on parle de 11 milliards d’euros dévolus à la coupe, il faut donc comprendre que l’état fédéral en dégage l’essentiel. Or deux des postes budgétaires clés du gouvernement fédéral sont en temps normal l’enseignement supérieur et une partie du transport (routes nationales et aéroports, en cours de privatisation). Enfin, pour le gouvernement, les perspectives de croissance moindre (2,3% en 2013,) et les surcoûts de l’exploitation pétrolière ont mis un terme à l’euphorie de ces dernières années.
Contexte social : les manifestations de juin ont éclaté avec 3 revendications majeures : transport, éducation, santé. Si l’éducation et la santé attendront le second mandat de Dilma Roussef et l’allocation des (incertaines) rentes pétrolières, le gouvernement a décidé de faire d’une pierre deux coups en lançant, à l’occasion du Mondial, de gros investissements sur le transport. Le pacte pour la mobilité urbaine, annoncé en juillet par la présidente pour calmer la rue, a vu le déblocage en urgence de 50 milliards de reais brésiliens (BRL), soit 16 milliards d’euros. Dans ce cadre, la majorité des fonds devaient permettre à des travaux déjà engagés d’être conclus avant la Coupe du monde. C’est globalement raté, même si énormément de choses ont effectivement été engagées.
La poursuite des manifestations : au cri de « Não vai ter copa ! » ( « La coupe n’aura pas lieu » ), des manifestations continuent, essentiellement à Rio et São Paulo. Si les comptes sont moins impressionnants qu’en 2013 (1 000 personnes par ci, 2 000 par là), la violence est en revanche devenue systématique. D’un côté, le mouvement s’est essoufflé, et ne restent dans la rue que les plus radicaux. De l’autre, la police fait moins de détails, histoire d’en terminer avant l’arrivée des touristes. Problème, ça n’a pas l’air de les calmer. Dans la rue, difficile de trier le bon grain de l’ivraie, dans la mesure où des associations pacifistes – notamment les membres du Comitê da Copa Popular – sont débordées voire infiltrées par des groupes violents (et notamment les désormais fameux black blocs) qui font dégénérer beaucoup de rassemblements.
La violence dans le foot : Comme un écho footballistique aux manifs anti-foot, un peu partout des ultras se distinguent après les matchs par leur goût de la castagne. Ils montrent la mauvaise préparation de la police (en grève les 25 et 26 février derniers pour réclamer des moyens), et écornent encore l’image du foot brésilien. Depuis 2009, les morts dans et autour des stades ont augmenté de 233%. En 2013, le Brésil atteignait le premier rang mondial, avec 30 morts directement liées aux bastons entre supporters. « Le problème, c’est l’impunité » , explique Mauricio Murad au journal O Globo, spécialiste de la question depuis 1990. A priori, la violence dans les stades et la violence dans la rue des derniers mois viennent de deux phénomènes distincts. Mais la concordance alimente le climat d’insécurité que la presse est trop heureuse de relayer.
L’insécurité en général : En parler sans chiffres est vain. Mais la résumer par les chiffres ne permet pas de comprendre la réalité d’un quotidien. Rio est un cas particulier, d’abord : après une amélioration globale de la sécurité (des touristes) depuis 2009 dans la lignée de ladite « pacification » des favelas, l’édifice sécuritaire se lézarde aujourd’hui. La politique tant vantée semble surtout une gentrification de la violence, puisque depuis début 2013 les statistiques sont de nouveau à la hausse, un peu moins dans le centre (+9%) qu’à l’échelle de l’état de Rio (+16,7% d’homicides déclarés en 2013 pour un total de 4761). On est loin des chiffres des années 1990 (40 homicides pour 100 000 habitants), mais on y retourne doucement (29 en 2013). À São Paulo, la guerre des gangs a connu un épisode particulièrement dur en 2013. Ailleurs, difficile d’avoir des chiffres fiables. À Cuiabá, par exemple, 69 homicides annoncés entre janvier et février 2014, c’est à peu près 4 ans de Corse en 2 mois. Dernier phénomène apparu à Rio, les « justiciers » : déjà deux voleurs pris en flagrant délit ont été lynchés en pleine rue par des habitants.
Forcément, c’est le genre de données qui foutent le moral dans les crampons. Super, et alors, qu’est-ce qu’on fait ? Vous, pas grand-chose. Eux, investir dans l’éducation d’un côté et la formation des policiers de l’autre.
Le quotidien et la réalité pour les touristes : on ne vous rassure pas, rien n’a changé. Le cliché des jeunes noirs pauvres délaissés venus d’en haut qui agressent les riches blancs nantis qui habitent en bas a encore la vie dure. Mais dans les centres-villes, la situation est plutôt pacifique, voire tout à fait normale. Certes, en ce moment, c’est un peu plus chaud à São Paulo parce que les jeunes descendent chercher la clim dans les centres commerciaux, et c’est un peu plus chaud à Rio parce que la pacification connaît des ratés spectaculaires. Mais les phénomènes sont tellement complexes à décrypter qu’une analyse à court terme serait forcément biaisée. Ce qui est certain, c’est que le déploiement policier est de plus en plus impressionnant.
Ce qu’il va se passer pendant le Mondial : au prix d’une dispositif policier qui devrait étouffer rapidement toute velléité de protestation, aucun problème majeur ne sera à signaler. Au hasard : 2 supporters suisses seront blessés par des fumigènes d’agriculteurs à Brasilia, 1 Chilien prendra une matraque policière par erreur à São Paulo et 1 Hollandais pris pour un policier sera durement molesté par les blacks blocs à Rio. Bilan honorable à prévoir, donc, qui malheureusement ne tiendra pas compte des accidents de surf des Allemands avec les requins de Recife (attention, vidéo moche).
Par David Robert, correspondant à Rio