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Ivan Perišić, le pilote de ligne
Utile partout, indispensable nulle part, l'ailier de l'Inter s'impose pourtant dans chaque club où il passe et continue de s'affirmer comme un pilier des Vatreni, à 31 piges bien tassées. La marque d'un type un peu à la marge, dont le style de jeu légèrement anachronique se double d'une polyvalence parfaitement ancrée dans la modernité.
Un jour, Ivan Perišić a décidé de se taire. La chose remonte peut-être à l’exercice 2012-2013, où le joueur, relégué sur la touche par Marco Reus au Borussia Dortmund, avait chouiné dans la presse, en déclarant « avoir l’impression de mourir, chaque fois qu’il était sur le banc ». Jürgen Klopp, qui l’avait fait transférer à Wolfsbourg dans la foulée, ne s’était alors pas privé pour recadrer le jeune effronté. « Se plaindre en public est un comportement enfantin. Si un footballeur professionnel ne joue pas, il doit s’entraîner avec engagement et intensité, pas se plaindre aux journalistes. » Huit ans et des poussières plus tard, la leçon semble avoir été retenue. Ivan Perišić ne bave plus dans les journaux, reste sur une finale de Mondial avec la Croatie et vient de remporter la C1 avec le Bayern Munich.
On ne le verra pourtant pas davantage en Bavière, puisque le bonhomme a été refourgué à l’Inter cet été, où il a effectué son retour de prêt. Un rappel au bercail qui s’est effectué sans faire de bruit, pour un joueur qui n’a jamais convoqué des excès de sentimentalité chez les tifosi, mais reste salué et apprécié à chaque fois ou presque qu’on l’a vu aligné sur le pré. De fait, en club comme en sélection, le style d’Ivan Perišić n’est pas une affaire de génie, encore moins de fantaisie. Mais bien celle d’une méthode, rigoureusement et implacablement exécutée.
« Le terrain de football est le seul endroit où je peux donner mes réponses »
Alors, qui est donc Ivan Perišić ? Un professionnel, tout simplement. Avec le Bayern la saison dernière, on l’a vu aligné aussi bien sur le côté gauche qu’à droite. En sélection, Zlatko Dalić le fait tantôt évoluer sur une aile, tantôt dans l’axe. À l’Inter, beaucoup d’observateurs annonçaient le Croate condamné au banc, car ils n’imaginaient pas son profil d’ailier pur s’adapter au 3-5-2 d’Antonio Conte. Raté. Mi-septembre, le numéro 4 des Vatreni citait le légendaire quarterback Tom Brady sur les réseaux sociaux : « Peu importe si vous êtes un premier choix, j’étais le 199e à la draft. Mais écoutez, si vous avez une opportunité à prendre sur le terrain, ne la gaspillez pas, car vous n’en aurez peut-être pas une seconde. » Un mois plus tard, Perišić postule une place à gauche de la formation interista, où Conte semble le considérer comme une alternative crédible à Ashley Young. Le tout, sans placer un mot plus haut que l’autre. Le natif de Split persiste et signe : « Je n’aime pas voir ma tête dans les journaux tous les jours. Ce n’est pas mon truc … Le terrain de football est le seul endroit où je peux donner mes réponses. »
Le funambule
Alors oui, ce n’est pas toujours très drôle, mais Ivan Perišić ne s’éparpille plus. Pas le temps. Pas besoin. Sur le terrain, c’est toujours la même chanson. Balle au pied, il n’improvise pas. Mais exécute sa petite chorégraphie à lui. En face, il y a souvent la ligne de touche et des mètres à gagner. Les foulées sont d’abord précises, économes. Les feintes de corps subtiles. Les passements de jambes, nécessaires, jamais cosmétiques, et l’ensemble accouche souvent d’une accélération qui défie l’abîme de la ligne de but. C’est seulement là que le dernier mouvement de sa drôle de danse s’achève. Il y a toujours quelque chose de fascinant à voir Ivan Perišić à ce moment-là, en équilibre sur ce fin tracé blanc de quelques centimètres de large. Là, il peut adresser un ultime geste de défi à cette satané gravité, soit en ajustant un centre du gauche pour son attaquant, soit en repiquant dans l’axe, pour armer et frapper du droit. Alors oui, Ivan Perišić n’invente plus grand-chose et ne surprend pas davantage. Mais, un peu comme les joueurs d’antan, c’est un spécialiste outillé pour exceller à la tâche qui lui a été confiée, comme le résumait récemment Karl-Heinz Rummenigge : « C’est un joueur que j’aime. Il ne joue pas toujours de manière spectaculaire, mais il est efficace. » Face à la France ce mercredi, les esthètes guetteront quand même ce moment éphémère, mais jouissif, où Ivan Perišić semble comme plier à sa volonté cette ligne de but avec laquelle on espère le voir valser, pour de nombreuses années encore.
Par Adrien Candau