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Italie : la Supercoupe est pleine
Après avoir notamment fait un détour par le Qatar en 2016, voilà la Supercoupe d'Italie qui fait ses valises en Arabie saoudite, pour un Juventus-Milan aux contours déséquilibrés. Même si ce n'est pas de sportif que l'on cause le plus avant le match, mais bien du choix de la monarchie pétrolière pour organiser une rencontre dont la tenue divise l'opinion publique italienne.
C’est un trophée normalement vacciné aux voyages. Depuis 1993 et sa première expatriation aux États-Unis, la Supercoupe d’Italie a beaucoup bourlingué. Notamment à quatre reprises en Chine et deux fois au Qatar entre 2009 et 2016, sans que grand monde n’y trouve vraiment à redire. Jusqu’à cette année 2018, où les protestations ont considérablement enflé. La faute au lieu choisi par la Lega Serie A pour organiser la Supercoppa lors de trois des cinq prochaines années : l’Arabie saoudite.
Stade sectarisé
Au cœur du débat figure une interdiction partielle, qui a rapidement échauffé les esprits. Celle imposée aux femmes qui assisteront au match. Ces dernières seront en effet cantonnées dans certaines tribunes spécifiques réservées aux familles. Une première pour un trophée qui s’était jusqu’ici parfois tenu à l’étranger, mais dans des conditions globalement analogues à celles du déroulement d’un match de football classique en Italie. Y compris au Qatar, où il convient de rappeler, histoire de couper court à toute généralisation ou raccourci, que les femmes ne sont pas interdites de stade. La chose est plus complexe en Arabie saoudite, où elles ont accès à certaines enceintes sportives du pays seulement depuis le début de l’année 2018, sous réserve d’occuper certaines tribunes prévues à cet effet.
Les secteurs en violet et vert du stade de Djeddah (Arabie saoudite), où se disputera le match de Supercoppa italianna entre la Juventus et Milan, seront réservés uniquement aux hommes pic.twitter.com/chi8c93XrB
— FrSerieA (@FrSerieA) 3 janvier 2019
Forcément, la pilule ne passe pas pour tout le monde, alors que des organisations de défense des droits civils comme Codacons ont demandé à ce que les Italiens boycottent le match, « en forme de protestation contre la politique insensée de l’Arabie saoudite et contre la discrimination odieuse contre les femmes, qui sévit encore non seulement dans les pays arabes, mais aussi en Italie. » Le football italien s’est pourtant par le passé fendu d’initiatives symboliques en faveur des droits des femmes, comme en atteste la marque rouge sur la visage arborée par tous les joueurs de Serie A en avril et fin novembre dernier, pour adresser « un carton rouge à la violence » faite aux femmes.
Certains ne se privent dès lors pas d’accuser la Lega Serie A de construire un double discours, dont le vernis progressiste s’écaille dès que les billets verts viennent pointer le bout de leur nez. De fait, l’Arabie saoudite a payé très cher pour acquérir les droits de trois des cinq prochaines éditions de la Supercoupe d’Italie : à savoir entre 20 et 21 millions d’euros pour organiser trois matchs d’un trophée aux contours glamour, mais relativement anecdotique d’un point de vue sportif. En parallèle, la décision de la Ligue d’organiser la rencontre au sein de la monarchie pétrolière a été encore plus critiquée à la suite de l’assassinat du journaliste saoudien contestataire Jamal Khashoggi en octobre dernier, un meurtre qui aurait été commandité par Riyad.
Realpolitik
Mais le président de la Lega Serie A, Gaetano Micciche, est resté droit dans ses bottes à l’heure de justifier le choix de la Ligue de maintenir le match à Djeddah : « Le football ne peut être placé dans une position d’autorité en matière de politique internationale, pas plus qu’il ne peut imposer des choix quant au système qui régit un pays… L’Arabie saoudite est le plus grand partenaire commercial italien au Moyen-Orient, grâce à des dizaines d’importantes entreprises italiennes qui exportent et exercent leur activité… En revanche, le foot a un rôle social, en l’occurrence, c’est un vecteur d’union entre les peuples qui n’a d’égal dans aucun autre secteur. Donc, avec l’approbation de la FIFA, nous allons jouer une compétition officielle de football dans un pays avec ses propres lois, où nous sommes établis depuis des années. » Un discours qui explicite sans surprise une forme de realpolitik, approuvée par certains et réprouvée par d’autres. Et qui inscrit le football comme une activité économique parmi d’autres, puisque la Lega revendique simplement le droit de faire affaire avec l’Arabie saoudite comme n’importe quelle entreprise italienne désireuse de proposer ses services dans le Royaume. Au milieu de tout ce schmilblick, les joueurs de la Juve et du Milan, qui prêchent un peu dans le désert à tenter de recentrer ce match sur sa dimension sportive, se sont, eux, bien évidemment gardés d’exprimer un avis.
Par Adrien Candau
Tous propos issus de Foxsportsasia.com et The Guardian.com