- D1 Arkema
- GPSO Issy
Issy, c’est pas Paris
Au GPSO 92 Issy, la D1 Arkema se vit entre entraînements en fin de journée après le travail et lutte de pouvoir en sa défaveur au sein des instances. Considéré comme club amateur malgré sa place dans l'élite féminine, Issy est divisé entre une moitié de l'équipe qui vivote grâce aux primes de match et une autre qui essaye de joindre les deux bouts grâce aux collectivités territoriales, qui se substituent régulièrement à une Fédération française de football qui privilégie les clubs pros. Dans la dernière ligne droite pour un maintien sportif, le club féminin qui se veut le plus proche de Paris demande plus de moyens et de reconnaissance, avec l'espoir d'un passage vers le monde professionnel d'ici septembre. Reportage.
Lundi, 17h, cité des sports d’Issy-les-Moulineaux. Les joueuses du GPSO 92 Issy, arrivées en covoiturage, se pressent dans les allées du flambant neuf et gigantesque complexe sportif financé par la ville, où le club de D1 Arkema a pris ses marques depuis fin novembre. Elles ont rendez-vous à 17h30, avec une tolérance d’arrivée jusqu’à 18h pour celles qui travaillent ou étudient durant les autres heures de la journée. Au programme, une séance d’analyse vidéo dans le grand amphithéâtre de 300 places au sous-sol. « L’analyste vidéo est arrivé en stage en janvier, raconte Pierre Mangold, responsable administratif et juridique du club. C’est un nouvel apport pour nous, qui nous professionnalise davantage, et les joueuses sont demandeuses. Ça doit aussi jouer sur notre bonne dynamique. » Le GPSO est actuellement neuvième de D1 sur douze, à trois points de la zone de relégation, et a enchaîné trois victoires lors des trois derniers matchs contre Soyaux, Dijon et Saint-Étienne. Et cette bonne série se ressent forcément sur le groupe, qui ne se connaît pourtant pas depuis si longtemps.
Le masculin l’emporte sur le féminin
Trois étages plus haut, le directeur général Bernard Goudard, dont le bureau donne sur le stade, sait que le maintien serait un premier pas vers un brin de stabilité, là où le GPSO navigue à vue depuis deux saisons. « Sur les participations financières de la FFF cette saison et pour l’exercice précédent, on ne s’y retrouve pas, explique celui qui dirige l’un des trois clubs amateurs du championnat féminin, avec Fleury et Soyaux. Il y a eu des montants et des messages différents annoncés, sur la fin de saison on n’a pas reçu ce qu’on nous avait annoncé, et ça nous empêche d’avoir une perspective depuis deux ans. » À Issy, et comme souvent dans le football féminin, ce sont les collectivités territoriales qui finissent par mettre la main à la poche en fin de saison. « Sinon, on mettait la clé sous la porte », insiste-t-il. Le club doit d’ailleurs encore boucler le budget de sa saison, avec une audience DNCG qui selon lui devrait le valider. « Si sportivement on se maintient en D1, la saison prochaine on sera toujours là », assure le dirigeant.
Alors que l’on parle souvent d’une D1 féminine à deux vitesses, avec le PSG et l’OL seuls en tête puis le reste, Bernard Goudard explique qu’il y aurait presque une troisième vitesse composée des clubs amateurs : « Les clubs professionnels ont eu le droit à un chèque de la LFP après la chute de Mediapro et les rachats des droits TV, ce que nous, clubs amateurs avec Soyaux et Fleury, n’avons pas eu. Ça devait être compensé par la FFF, mais cela n’a pas été le cas entièrement. Cette année, on n’a pas encore reçu la compensation média… » Alors que certaines ligues européennes en Italie et en Espagne se professionnalisent, la D1 française attend de connaître à quelle sauce elle va être mangée par la commission de la FFF qui rendra son avis en septembre prochain.
Le bureau avec un point de vue omniscient
« Les collectivités ont fait leur boulot sur les infrastructures, maintenant si on veut professionnaliser le staff en l’étoffant, il faut que les fédérations sportives fassent leur job », lance le dirigeant sous forme de défi aux instances, dont le club ne fait pas partie en raison de son statut d’amateur. Si Bernard Goudard et le reste de l’équipe administrative sont d’ailleurs toujours coincés au bureau alors qu’Issy vit sa dernière soirée ensoleillée de la semaine, c’est parce que l’équipe semi-pro s’entraîne après les journées de travail de certaines. Avec 12 joueuses sur 22 en contrats fédéraux, et deux-trois dispos à temps plein parce qu’étudiantes, le staff, lui aussi salarié, doit « faire des concessions » afin d’inclure tout le monde. Pour le directeur général, cela présente tout de même quelques aspects positifs : « En s’entraînant à cette heure-ci, il y a beaucoup plus de monde qui voit les joueuses s’entraîner que si elles s’entraînaient le matin dans un centre d’entraînement caché. Ça remplit l’un des principaux objectifs du football féminin aujourd’hui : la visibilité. » Et ça permet aussi à certaines jeunes évoluant en U18 R1 de prendre part aux entraînements des « pros », après les cours.
Une démarche qui, Bernard Goudard l’espère, pourrait permettre d’augmenter encore son nombre de licenciées et donc « accroître son rôle politique », alors que le club « subit les évènements » plus qu’il n’y prend part. « Ce sont les acteurs masculins qui prennent les décisions pour les clubs féminins, s’agace le dirigeant qui rappelle que la gestion du foot masculin et féminin n’a pas grand-chose à voir.Nous, comme Soyaux qui est aussi 100% féminin, ne sommes pas dans la commission. On pourrait l’être en tant que club féminin, on a voix au chapitre comme les autres. Finalement, ce sont des clubs pros masculins ayant des sections féminines, mais on calque ce qui se fait dans le masculin sur le féminin, alors qu’une voix autonome permettrait de faire avancer plus de monde en étant uniquement concentré sur le foot féminin. »
« Un jour il y aura les écussons de clubs de Ligue des champions », est convaincu Bernard Goudard
Précarité, solidarité et « double projet »
Lui et le reste des neuf salariés du club entre staff et administratif, ont d’autres réclamations à porter, qui n’atteindront pas forcément ceux qui les dirigent : davantage de liens entre les deux mastodontes que sont le PSG et l’OL avec les clubs « du fond du panier », notamment avec des prêts de joueuses, des indemnités de formation reconnues par la FFF pour cesser de former « à perte », une conception plus homogène du championnat… En évoquant ces espoirs, Bernard Goudard et Pierre Mangold gardent un œil sur la pelouse quelques mètres plus bas, où les joueuses viennent d’arriver. Il fait encore bon sur le synthétique neuf d’Issy où les billes se mêlent au pollen et au soleil rasant.
Sur la piste d’athlé, qu’elles ont dû traverser à la hâte pour rejoindre le carré vert, deux cours de sprint et d’endurance vont les accompagner dans leur entraînement quotidien. Bien loin des terrains planqués qu’elles trouvent dans certains clubs pros ou d’une pelouse en lisière de forêt pour un amical à Clairefontaine, les filles aux maillots rouges s’entraînent aux yeux de tous, parents venus récupérer leur petite d’un entraînement omnisport, spectateurs venus voir la séance ardue des sprinteurs ou bien juste des curieux qui veulent voir à quoi ressemble une équipe de D1. Pendant qu’elles enchaînent les tours de terrain par petits groupes, le RER C passe et contraint Camillo Vaz, l’entraîneur, à lever la voix pour donner ses consignes. À la fin de la semaine, le GPSO affronte Bordeaux, un club pro pratiquement « en vacances » de par son classement, comme l’explique Guilad Silver, team manager de l’équipe.
Le RER C est passé, le coach peut se remettre à brailler
La petite vingtaine de filles qui s’entraînent ce lundi soir ont, elles, encore cinq matchs couperets à jouer, avec à la clé un maintien en D1 et des primes supplémentaires. Si douze d’entre elles jouent au football à plein temps, et ont un salaire payé par les collectivités qui leur demandent en retour certaines contreparties, les dix autres et celles qui font la navette entre U18 et D1 doivent se contenter de primes de match, de victoire et de match nul qui se cumulent, de défraiements kilométriques, des frais de manifestation, certaines sont aidées pour leur logement… Le code URSSAF stipule que la prime de match correspond à 140 euros minimum, « et ça ne correspond même pas au montant que l’on donne », précise le directeur général, qui ne souhaite pas dévoiler les montants « par rapport à la concurrence ».
Pour compenser, deux joueuses sont profs d’EPS, une autre est vendeuse en boutique, la plupart sont étudiantes, parfois en alternance. « Certaines ont déjà séché les cours pour venir s’entraîner », reconnaît à demi-mot Guilad Silver, qui se souvient aussi que l’une d’entre elles a dû s’absenter en raison d’un examen universitaire… de football. Des situations plus ou moins privilégiées au sein du groupe, mais qui n’entachent pas la solidarité développée dans un effectif entièrement renouvelé à l’été, dans un mercato qui n’a pu commencer qu’à la mi-juillet à cause d’un budget en suspens. « On joue avec nos forces, et la nôtre, c’est le groupe, la solidarité », explique Gwenaëlle Butel, défenseuse qui travaille en dehors. « Quand j’ai commencé, j’avais 15 ans, et à l’époque, c’était forcément en « double projet », il n’y avait pas de contrats », se rappelle celle qui en compte aujourd’hui 33 et qui a commencé à Juvisy, où tout le monde bossait. « Si on gagne, on a des primes, sinon moi, j’ai mon travail », résume-t-elle.
Issy tout le monde met la main à pâte
L’espoir fait vivre
À sa gauche sur le banc en ferraille, Morgane Martins, 24 ans, est elle aussi une précaire du foot féminin. Elle « essaie de survivre jusqu’en juin » avec ce que lui donne le club et espère en vivre dès la saison prochaine. Pendant que ses jeunes coéquipières apprennent des noms d’oiseaux à Cosette Morché, l’une des deux gardiennes américaines de l’équipe, sur le banc d’à côté, Morgane Martins explique son tiraillement entre espoir d’une professionnalisation d’ici trois ans et manque de reconnaissance. « Le fait de n’avoir que des joueuses professionnelles, ça permettrait forcément d’augmenter le niveau de la D1 aussi, avance celle qui remarque aussi que sportivement, la notion de championnat à deux vitesses est de moins en moins vrai. Ici, vu que certaines travaillent, on ne peut pas faire deux entraînements par jour, alors que certaines équipes s’entraînent matin et soir. Plus on ira dans cette direction-là, plus les filles seront performantes sur le terrain. » De son côté, Gwenaëlle Butel, qui ne se fait plus trop d’illusion quant à la professionnalisation de sa génération, est un peu plus optimiste pour celles d’après : « On ne mérite pas moins que les garçons, donc j’espère que d’ici peu de temps, elles pourront en vivre. »
Si l’une ne se considère pas amateur, quand l’autre oui, elles concèdent toutes les deux que le temps et les efforts que cela leur demande font de l’effectif des « professionnelles », à qui il ne manque que le statut et la paie. À Issy, on essaie de gérer le club comme tel, avec un préparateur mental qui restera au moins jusqu’en fin de saison, un médecin qui vient régulièrement aux séances et suit les joueuses blessées, une salle de musculation et un cabinet de kinés devant ouvrir bientôt au sein de la cité des sports… Un ensemble de progrès qui permet aux joueuses un certain optimisme, quand le directeur général préfère la prudence : « Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs : quand il y aura une vraie reconnaissance du football féminin, après il y aura forcément davantage de moyens économiques, des investisseurs. » En attendant, à Issy, il est 19h30, soit le moment pour Gwenaëlle et Morgane, deux des pilotes du groupe, de ramasser les plots et de reprendre la route : « On n’aura pas le temps de prendre la douche, faut qu’on ramène les filles. »
Vidéo, foot, covoit, in that order
Par Anna Carreau, à Issy-les-Moulineaux