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Irrésistibles Français : « Il nous a manqué ce moment de partage »

Propos recueillis par Adrien Hémard
8 minutes
Irrésistibles Français : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Il nous a manqué ce moment de partage<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Président-fondateur des Irrésistibles Français, Hervé Mougin a passé presque autant de temps que les Bleus en Russie. S’il n’a pu être de retour pour la parade manquée sur les Champs-Élysées, il regrette la façon dont la fête s’est passée. Que ce soit à Moscou, ou à Paris.

Comment avez-vous fêté la victoire dans le stade Loujniki ?(Il tousse.) J’en ai encore des retours justement, je suis tombé malade… La Coupe a été remise trente minutes après la fin du match, sous une pluie battante. On a dû rester 1h30 en tribunes à chanter, complètement trempés. C’était une superbe communion, on se tombait tous dans les bras. Dès qu’on croisait un bleu-blanc-rouge, on devenait amis pour la vie. On a chanté, on a pleuré, on a appelé nos proches. Mais la pluie, c’était terrible.

On ne peut pas nous dire qu’on fait partie de l’équipe et agir comme ça.

Les joueurs sont venus fêter ça avec vous ?Ils sont venus vers nous avant d’avoir la Coupe, ils ont fait un clapping, ils ont chanté avec nous. C’était superbe. Mais après la remise du trophée, on ne les a plus revus. J’ai pensé à lancer un chant pour dire « On veut voir la Coupe » , mais j’ai préféré attendre de voir s’ils venaient d’eux mêmes. J’aurais dû… Finalement, seuls Griezmann et Kimpembe sont passés quelques secondes. On a vu des joueurs glisser sur le terrain mouillé, prendre des photos entre eux et avec la famille, mais aucun pour nous présenter le trophée. Ils n’ont pas eu cette présence d’esprit, je le comprends, mais je le regrette autant. Après nous avoir tant demandé d’être là pour eux, nous avoir rappelé qu’on était le douzième homme, etc., on voulait voir ça. Il nous a manqué ce moment de partage pour nous montrer la Coupe qu’on a gagnée ensemble. Des centaines de personnes l’ont vue de très près, juste en étant proches de Macron ou autre, sans rien à voir avec le foot. Nous, on a fait des milliers de kilomètres, des sacrifices, et on ne l’a pas vue. C’est ça qui m’embête. Je suis content pour les gamins qui étaient à l’Élysée, mais nous aussi, on le méritait. Nous, les clubs de supporters, on n’existe pas pour le ministère des Sports. On ne peut pas nous dire qu’on fait partie de l’équipe et agir comme ça. Les éducateurs, les bénévoles du foot aussi doivent se sentir floués.

Entre la finale à Moscou, et le défilé sur les Champs, il s’est passé quoi pour vous ?On a continué de chanter en tribunes jusqu’à temps de se faire sortir. On a continué dans les coursives du stade. On s’est fait expulser du stade, on a continué dans le métro. L’idée, c’était de retourner à la Casa Bleue à l’ambassade de France, et certains ont préféré la place Rouge. Personnellement, j’étais malade, je suis allé au restaurant en face. Et je suis rentré me coucher. J’ai fait la pire fête de champion du monde de l’histoire. Je ne suis sorti qu’à 19h le lendemain à cause de la fièvre. Du point de vue du groupe, on a essayé de se renseigner pour les Champs-Élysées. On a eu l’information le soir même qu’il se passerait quelque chose à 17h30. Des adhérents ont avancé leur vol exprès pour y être, ça leur a coûté plusieurs centaines d’euros. Les gens ont dormi sur les Champs en attendant les Bleus. Beaucoup ont fait le combo match et Champs. J’aurais pu le faire si je n’étais pas tombé malade.

Personne de la FFF dans le car n’est intervenu. Même les joueurs l’ont regretté, mais personne n’a dit « Putain, pourquoi on va si vite ? »

Le bus a descendu l’avenue en dix minutes. Sur Twitter, vous avez parlé de « Honte des Champs » , à quel point ? Au sein du groupe, ça a créé un petit débat. On est tous partagés, et on s’est concertés avant de communiquer parce que ce n’est pas dans nos habitudes. Il y a ceux qui acceptent, au regard des conditions de sécurité, etc. Et ceux qui n’acceptent pas des choses aussi incohérentes. Dire que ce qu’il s’est passé n’est pas normal, on a le droit. Nous, on nous avait promis une parade d’une heure. C’était très jouable, en matière de sécurité, je pense que c’était kif-kif. Je pense que c’était un problème de timing à cause du retard. Mais, parmi tous leurs rendez-vous, ce n’était sûrement pas celui-là qu’il fallait écourter. C’était le moment où une équipe rencontrait son public, partageait son trophée. On a été foutu de gaspiller ça en dix minutes. Je ne sais pas qui a fait qu’on aille aussi vite, mais la personne qui a pris cette décision a complètement oublié le symbolisme de cet évènement, soit par incompétence, soit par problématique de sécurité, ce que je peux comprendre. Je trouve ça juste con, parce qu’il y avait des centaines de milliers de personnes sous une chaleur accablante, pour voir les joueurs douze secondes. Qu’est-ce qu’on peut avoir en si peu de temps ? Aucun regard, rien. L’émotion ne se transcrit pas. C’est un problème de relation entre l’équipe et ses supporters, mais les deux n’ont rien à voir là-dedans, puisque c’est un élément tiers qui a causé cela. Là, personne de la FFF dans le car n’est intervenu. Même les joueurs l’ont regretté, mais personne n’a dit : « Putain, pourquoi on va si vite ? »

Que ce soit les joueurs ou les supporters, tout le monde l’a vécu sur son téléphone : ça a gâché la fête ?C’est un phénomène de société qui est problématique. On ne vit plus les choses par nous-mêmes, on les filme. On vit l’événement pour les autres pour s’en vanter sur les réseaux sociaux. Les joueurs ont tellement besoin d’alimenter leurs réseaux qu’ils le font aussi. Finalement, ce matériel électronique crée paradoxalement une distance, alors que là, on avait besoin d’une proximité. On n’a pas laissé les joueurs établir une relation personnelle avec les gens, un regard, une parole…

Reste en chien

On a déjà gagné en 1998, donc on compare. 1998 on l’a tellement glorifié, qu’on en a oublié les problèmes. On n’a gardé que les bons moments qu’on a en plus romancés depuis.

Est-ce qu’on peut être déçu quand on compare ce défilé aux célébrations croates et belges, où les joueurs ont vraiment communié avec le public ?Déjà, je n’échangerais pas ma place pour la leur, parce que le principal, c’est de pouvoir dire pendant quatre ans qu’on est champions du monde. Il ne faut pas faire la fine bouche, même si on peut critiquer. Belges et Croates, dans les deux cas, c’est leur meilleur résultat en Coupe du monde, et ils sont sortis la tête haute, donc ça explique la ferveur de leur peuple. Que leur public vienne les saluer, c’est mérité.

Est-ce aussi parce qu’on a gardé 1998 en tête ?1998, on l’a tellement glorifié, qu’on en a oublié les problèmes. On a gardé que les bons moments, qu’on a en plus romancés depuis. Ensuite, on est dans des conditions de sécurité différentes, même si la Belgique a connu aussi des attentats. Il ne faut pas oublier que l’équipe de France est une cible réelle. Ma seule crainte, c’était de voir un attentat ou un gros problème aux Champs-Élysées. Et ça, ça créé forcément une distance physique. J’ai revu les images des Croates, d’ailleurs leur car n’allait pas moins vite, ce n’était pas une ligne droite unique comme nous. Eux se sont baladés en ville. Mais ils n’ont pas les mêmes problématiques de sécurisation.

Vous avez précisé que ce n’est pas de la faute des joueurs si le bus est passé aussi vite. À qui vous en voulez ?C’est difficile à dire. J’ai l’impression que tout le monde se renvoie la balle. La problématique sécuritaire joue évidemment, on s’est posé la question si l’Élysée avait accéléré le processus pour les journaux de 20h, malheureusement on ne saura jamais. Je pense que la FFF n’était pas assez puissante pour décider, ça m’étonnerait énormément que ce soient eux les fautifs, Noël Le Graët a tellement œuvré pour développer les supporters… Je pense vraiment que le protocole sécuritaire – justifié – a manqué d’humanité. Après, si le président de la République n’a pas les moyens d’appeler le préfet pour calmer le jeu, qui ? J’appellerai moi-même la prochaine fois, s’il le faut.

Justement, on donne rendez-vous aux Bleus dans quatre ans pour faire une vraie fête ? (Rires.) On ne remplacera jamais une fête par une autre. On en fera une autre, en plus ce sera à Noël ! On doit en retenir des leçons. Après, j’espère qu’on sera dans un autre contexte international. Mais on peut se poser des questions : pourquoi l’Élysée le soir même ? Pourquoi pas une journée supporters, puis une autre plus solennelle ? Finalement, tout le monde est perdant, on a loupé notre lundi, personne n’est content. Tous, à tous les niveaux. La prochaine fois, il faut qu’on sache faire une vraie fête, un vrai défilé, pour éviter ce genre de fiasco.

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