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Les Bleus et les blocs bas, le nœud qui résiste
Trois jours après un succès éclatant face aux Pays-Bas, l’équipe de France a retrouvé, à Dublin, un contexte avec lequel elle peine souvent à faire du feu : un adversaire oscillant entre bloc médian et bloc bas, qui lui a filé le contrôle de la rencontre et l’a obligé à emballer les débats. Malgré des progrès dans le pressing, les Bleus ont peiné.
Il avait été promis à la caravane bleue une nuit de fièvre au bord de l’eau et, dimanche, Didier Deschamps ne s’était pas planqué : « L’Irlande restera toujours dans sa tradition, avec de la générosité et de l’enthousiasme. Cela fait partie de son ADN, donc oui, ça va pousser, et il ne faudra donc pas faire moins que face aux Pays-Bas. » Quelques secondes à peine auront suffi pour confirmer que l’on n’avait pas été trompé sur la marchandise. Oui, comme prévu, cet Irlande-France, 18e du nom, a été une bagarre, une vraie, de celle où l’on s’arrache chaque centimètre de territoire – pour preuve, il faudra imprimer une photo des deux tacles dégainés au même moment par Jayson Molumbi et Antoine Griezmann au tout au début de la seconde période – et où l’on suffoque jusqu’à la dernière seconde. Bien heureuse, l’équipe de France possède dans ses rangs un pacemaker de premier plan avec Mike Maignan, héroïque à deux reprises dans les derniers instants pour assurer la deuxième victoire consécutive d’un gang auteur d’un coup bien plus abouti, vendredi soir, face aux Pays-Bas (4-0).
Cette fois, les choses ont été bien plus compliquées pour des Bleus qui ont notamment retrouvé à Dublin un contexte tactique face auquel ils peinent très souvent à transformer les étincelles en feu : un bloc médian qui a tranquillement pu s’installer en bloc bas face à leur circulation de balle souvent bien trop monotone et qui leur a laissé le contrôle de la rencontre, donc l’obligation d’emballer les débats au risque de finir la soirée avec un gros sac de frustration. Là où les Pays-Bas avaient rapidement tendu une batte pour se faire rosser, l’Irlande s’est avant tout contentée de laisser l’équipe de France jongler avec ses maux et a également profité des choix d’un Deschamps qui avait titularisé Olivier Giroud pour la première fois de 2023. Sur le papier, l’idée d’envoyer le meilleur buteur de l’histoire du pays sur le gazon pour fixer une ligne défensive adverse regroupée peut évidemment se défendre. Mais lundi soir, son manque de mobilité a rapidement été un frein et a vite fait regretter les séquences vues quelques jours plus tôt avec un autre type de pointe, Randal Kolo Muani, dont la capacité à libérer des espaces pour ses potes et à alterner entre les masques avait bluffé.
« Ce n’est pas facile de rentrer là-dedans »
Ce qu’il s’est passé a alors été simple : pendant une large partie de cette bataille, les Bleus ont été trop lisibles et ont semblé être privés d’électricité, laissant les centres s’enchaîner (17 en première période) sans réussite, même si Benjamin Pavard, préféré à Jules Koundé, a su amener du danger lorsqu’il a accepté d’enchaîner en première intention (38e). Très à l’aise vendredi, Kylian Mbappé, presque constamment pris à deux, a cette fois très souvent reçu le ballon dans les pieds et n’a pu cavaler dans les grands espaces qu’à une seule reprise (23e). Le capitaine du bateau tricolore, qui a encore été assez avare en appels à vide, a surtout peiné à se trouver dans des zones pour armer – il n’a pu frapper que deux fois, une première contrée par Egan (16e) et une autre en bout de course en fin de match (88e) – et à combiner, faute de courses dans la profondeur ou de mobilité (Mbappé, Rabiot et Hernandez, voire parfois Griezmann, ont évolué très proche les uns des autres, ont souffert d’un manque de rythme et de précision dans les échanges, et ont souvent tourné dans le vide). À la pause, Deschamps est alors venu souffler au micro de TF1 : « C’est un bloc très dense, ça demande de la vitesse… Ce n’est pas facile de rentrer là-dedans. » Malgré ce constat, l’équipe de France est revenue en seconde période avec les mêmes hommes.
Un vieux chantier
Et avec la même attitude ? Plus ou moins, même si Eduardo Camavinga a continué à amener de l’équilibre, à envoyer de l’impact et à tenter de faire monter le tempo d’un cran, ce qu’il a encore plus réussi à faire en seconde période, et si Antoine Griezmann a gagné en justesse au fil de la soirée. Il est, de toute façon, très difficile de bousculer un bloc aussi bien organisé que celui de l’Irlande en étant brouillon techniquement et en refusant de prendre des risques. Lundi soir, les Bleus ont finalement su le faire lorsqu’ils ont réussi leurs séquences de pressing – à plusieurs moments de la rencontre, ils ont su aller chasser haut la relance irlandaise pour forcer le jeu long et ont vu la paire Konaté-Upamecano, pourtant pas aussi impériale que face aux Pays-Bas, boulotter le jeune Ferguson – et, surtout, de contre-pressing. La merveille de Pavard est même une récompense de l’envie du joueur du Bayern qui, en première période, a déjà tenté d’insuffler un poil d’intensité sans ballon (exemple avec son gros pressing du quart d’heure de jeu qui a offert une bonne touche aux Bleus) et a parfaitement anticipé une passe mal ajustée de Josh Cullen pour fusiller Bazunu. Plus tard dans la rencontre, le gardien de Southampton a été poussé au décollage par Moussa Diaby, entré à la place de Giroud, à la suite d’une autre contre-pression réussie par Rabiot dans les pieds de Jason Knight.
Le débarquement dans le match du joueur du Bayer Leverkusen aura d’ailleurs montré à quelques reprises – qu’il faut évidemment mettre en relation avec l’évolution du score et la volonté irlandaise de revenir – ce qu’aurait pu être cet Irlande-France avec un trio offensif plus mobile et davantage capable d’exploser dans la transition. À ce petit jeu, Kolo Muani s’est, au passage, encore dépouillé comme un dingue. « Ça a été compliqué de trouver la faille dans les trente derniers mètres, a appuyé Rabiot après la rencontre. En jouant ainsi, l’Irlande aurait mis en difficulté n’importe quel adversaire : le Brésil, le Portugal, l’Argentine… Ces matchs, il faut savoir les gagner et peut-être qu’à un autre moment, ce match-là, on ne l’aurait pas gagné. » Pas faux. C’est peut-être ce qu’il faut avant tout retenir du soir. Pas brillante et peu dangereuse (0.83xG généré), l’équipe de France s’est prouvé qu’elle avait encore du boulot à effectuer sur le chantier éternel de l’ère Deschamps (réussir à créer des décalages et à faire sauter des blocs quand ils n’offrent que peu de grands espaces à dévorer), mais aussi qu’elle savait passer par la petite porte, même si sa défense aura été secouée dans de belles largeurs en fin de match. C’est toujours mieux pour continuer à bosser en paix.
Par Maxime Brigand