- Coupe de France
- 8es
- Iris Croix-Dijon (0-3)
Iris Croix de bois, Dijon de fer
Une friterie flambant neuve, des supporters massés sur plusieurs rangées derrière la main courante, quelques Bourguignons avinés et des ultras lillois venus en nombre pour acclamer Florent Balmont : sur le papier, tous les ingrédients étaient réunis pour faire du stade Henri-Seigneur un traquenard. Mais Dijon n’est pas tombé dans le piège, plombant rapidement les ardeurs des supporters de l'Iris Club de Croix qui, pour une bonne partie d'entre eux, n'ont pas vu grand-chose des débats.
Stationner dans le centre-ville de Croix est une vraie mission. Qui plus est un soir de match historique pour l’Iris Club (National 2) et à l’heure de pointe, celle où les trams ont systématiquement la priorité sur les véhicules engagés sur l’avenue de Flandres, qui relie Lille et la place de l’Opéra à Roubaix via La Madeleine, Marcq-en-Barœul, Villeneuve d’Ascq, Wasquehal et donc Croix. Une fois un stationnement improvisé, suivre les indications du speaker, crachées par les haut-parleurs du stade Henri-Seigneur, archi-comble depuis le milieu d’après-midi. « Numéro 1, Clément Pétrel… Numéro 5, le plus ancien au club, Mamadou Dia… »
Premier arrivé, premier parti : on joue depuis quatre petites minutes quand le capitaine de l’Iris déséquilibre un attaquant dijonnais sur le point de marquer. Olivier Thual est sans pitié : péno et rouge. Côté opposé, au pied de la MJC, dont le parvis est bondé, on s’interroge : « Ils ont encore droit à la double peine ? » Pas le genre d’injustice qui émeut Júlio Tavares. D’un contre-pied puissant, « Carolino » (si l’on se fie à la feuille de match) fait bondir le mini-parcage bourguignon et voler en éclats, déjà, les espoirs de supporters nordistes encore occupés à essayer de trouver un malheureux angle de vue autour de la main courante. « Ils auraient dû faire comme sur les photos de classe, mettre les plus petits devant » , commente un stadier, dont la ronde croise celle d’un vendeur de chichis au panier encore plein.
Ultras, djembé et vétérans
Dans la salle de tennis qui fait face à la tribune d’honneur et surplombe l’aire de jeu, Philippe se tient à l’écart. « De toute façon, on ne voit rien. » Préposé à la buvette annexe, le quinqua préfère disserter des tournois de jeunes du club avec Patrick, qui a comme lui mouillé le maillot vert jusque chez les vétérans. Sur le terrain, l’exclusion de Dia a contraint Giuseppe Bianco à une réorganisation de sa défense, déjà privée de ses quatre titulaires (Dos Santos, Carvalho, Zmijak, Derville), tous suspendus. À la buvette également, c’est le branle-bas de combat : confinée derrière le but de Clément Pétrel, côté halle couverte omnisports, la poignée d’ultras dijonnais doit de toute urgence être approvisionnée en boissons et en victuailles. « S’ils sont énervés, qu’ils prennent de la bière » , préconise Patrick.
C’est à peu près tout ce que la buvette de fortune a à leur proposer : pour trouver plus goûteux, s’adresser au club house, équipé d’une véritable friterie, inaugurée pour l’occasion et désormais opérationnelle à chaque match. Le National avant l’heure ? « Il faut ce qu’il faut, commente sobrement « Phiphi ». On aime les frites dans le Nord, et puis ça marche bien. Bon, niveau choix, ce ne sera pas une vraie friterie, ils te feront une saucisse, une merguez, un mexicano à la rigueur, mais ça s’arrête là. » Devant la salle, la jeunesse croisienne tente à sa manière d’inverser le cours du match. « Ça vient !, gueule-t-elle dès qu’un Dijonnais reçoit le ballon dos au jeu. Oh, Balmont, t’as pas de pieds ! » L’ancien du LOSC laisse alors ses pieds prouver leur existence, envoyant un pruneau que seule la moitié du stade a vu, mais qui refroidit un peu plus Henri-Seigneur. 2-0. « Des 25 mètres, Balmont il tire une lucarne, décrit un témoin. Tant pis, on n’ira plus à son académie avec les gamins. » Juché sur une borne de gaz, Yassine, claquettes-chaussettes aux pieds et djembé dans les bras, tente mollement de relancer l’ambiance, résigné : « Ils vont gérer maintenant. »
Petit pont, chômeurs et Ryan Mendes
Les deux dirigeants sont soudain un peu moins seuls derrière leur table de kermesse. Car certains songent déjà à noyer leur déception. « À 2-0, c’est le bar maintenant » , replace un supporter au jean délavé à l’excès. Avant de désigner le coupable : « C’est l’arbitre qui tue le match. Il le pousse à peine dans le dos, faut arrêter une minute ! Quand on voit Fekir, le taquet qu’il met à Paredes l’autre jour… » Sur le gazon synthétique, Ryad Habbas claque un petit pont et réchauffe les cœurs. « Lui, l’année prochaine, si tu montes pas en National, tu ne le vois plus » , prophétise Geoffrey, jeune dirigeant des U18 du club venu avec ses potes dès 13h. Sur le sol, les morceaux de plastique vert des trompettes distribuées à l’entrée se multiplient, comme les analyses transferts du monsieur mercato croisien : « Paris, il voulaient tout le monde cet hiver. Même Ryan Mendes (sic). »
Côté terrain, le chrono défile. Alex Rúnarsson passe l’essentiel de son temps à dix mètres de sa surface, n’y revenant que pour cueillir les quelques centres nordistes mal ajustés. Mi-temps. Tandis qu’Olivier Thual et ses assesseurs regagnent leur vestiaire sous la bronca de la tribune d’honneur, Carlos Da Cruz, l’homme qui a fait passer l’Iris de la PH au National 3, livre son analyse de la première période. « Mamadou Dia doit laisser marquer l’attaquant, tranche le technicien, toujours domicilié à 500 mètres du stade et venu – à pied, la bonne idée – voir jouer son fils, 18e homme. Ce qu’il leur manque ? Un joueur, déjà ! Automatiquement, devant, ils manquent de poids. Sinon, je verrouillerais un peu plus l’axe, Dijon passe trop facilement. Mais bon, chacun ses convictions. Après, je pense qu’il a bien fait de ne pas faire de changement tout de suite, certains joueurs seront fatigués en deuxième mi-temps. » Antoine Kombouaré, lui, ne résiste pas plus longtemps à la tentation d’assister à un remplacement à l’ancienne, pancartes numérotées à la main, et lance Sony Kaba dès la reprise. Moment choisi par les ultras dijonnais pour brandir leur calicot « Chômeurs on tour » et entonner un chant de saison : « Vive le ven’, vive le ven’, vive le vendredi, le samedi on est bourrés et le dimanche aussi. » Le mardi aussi, visiblement.
DVE, hooligan et rats musqués
À vingt mètres de là, Clément enrage. Membre des Dogues Virage Est, la principale frange d’ultras lillois, cet arbitre amateur prévient le stadier chargé de barrer l’accès au parcage : « Il y a plein de DVE, ça peut chauffer à tout moment. Leur bâche, elle peut vite sauter. » La raison de leur présence ? Florent Balmont, ancien de la maison losciste. « Balmont hooligan » , comme ils aiment à l’appeler « depuis qu’il a mis un coup de tête à un mec » . Habitué des stades et festivals nordistes, Tayeb, le stadier, se lance dans un partage d’expériences avec l’ultra. Et se fait systématiquement recevoir : « Lens ? Arrête, contre Nice y avait de l’ambiance aussi à Lille ! Le Vélodrome ? Arrête, y a plein de rats. J’ai un pote qui a fait une vidéo, l’autre fois. Des rats musqués, en plus ! » Et Dijon ? « La moutarde vous pend au nez, la Ligue 2 vous attend ! » , balance Clément, qui ne récolte qu’indifférence et pouces levés de la part des Lingon’s Boys.
Pour l’heure, ce qui attend Dijon, c’est un quart de finale de Coupe de France. La tonalité des trompettes s’est progressivement éteinte, jusqu’à ce troisième but signé Wesley Saïd au bout du temps additionnel. Corner pour l’Iris. Clément se précipite contre la main courante et beugle un « BALMONT HOOLIGAN » pour attirer l’attention du milieu dijonnais. En vain. « Je veux juste son maillot. » Il ne l’aura pas. Philippe, lui, quittera Henri-Seigneur avec la liquette de Fouad Chafik, destinée au musée du DFCO que ce fan dijonnais de toujours – « y compris quand le club s’appelait Cercle Dijon Football, avant 1998 » – tient depuis trois ans dans sa cave. Maillots, fanions, billets, programmes, affiches de match : c’est simple, tout ce qui touche de près ou de loin au club bourguignon y est le bienvenu. Sa plus belle pièce ? Impossible à dire : « Tout a une certaine valeur. » Y compris, donc, un maillot porté par un remplaçant non entré en jeu lors d’un huitième de coupe face à un club amateur : « Il est unique. » Encore plus quand on sait que ce jour-là, Balmont Hooligan a planté.
Par Simon Butel, à Croix
Photos Iconsport et Simon Butel.