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IPTV, le football sans chaînes
Pour certains gangsters des internet, nul besoin de cumuler un abonnement à Téléfoot, RMC Sport, Canal + et beIN Sports pour regarder à volonté la Ligue 1, la C1 comme les championnats étrangers. Une simple application ou un boîtier IPTV suffisent aujourd'hui pour se gaver de football, pour un prix défiant toute concurrence, mais en toute illégalité. Un phénomène dont le succès illustre le fossé qui se creuse entre les ayants droit et des fans de foot excédés par une offre télévisuelle de plus en plus onéreuse et morcelée.
Les dingues de foot l’ont bien compris, il faut vivre avec son temps. L’année dernière, Hadopi, l’autorité chargée de la protection des droits sur Internet, publiait les résultats d’une étude sur la consommation illicite de programmes TV en direct sur la seconde moitié de l’année 2018, marquée notamment par la Coupe du monde. Bilan : près d’un quart des Français verserait dans l’illégalité pour regarder la téloche. Entre le streaming et les réseaux sociaux, les moyens ne manquent pas. Surtout qu’un petit nouveau, l’IPTV (Internet Protocole Television), a décidé de se faire une place de choix dans le monde du piratage.
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« Ce n’est pas encore le volume de piratage le plus important en France, qui reste une terre de streaming, pointe Caroline Guenneteau, la directrice juridique de beIN Sports. Mais on sait que c’est déjà très présent dans les pays du Maghreb et que ça vient doucement chez nous, où c’est amené à s’intensifier. Le streaming pourrait bientôt se faire dépasser par l’IPTV, c’est une menace très sérieuse.» En 2018, 5% des Français utilisaient les fameux boîtiers ou applications d’IPTV, selon cette même étude. Celle-ci précise que 54% d’entre eux se sont désabonnés d’une offre payante après avoir souscrit à une offre illégale, ou encore que 69% des adeptes de l’IPTV ont commencé à s’en servir en 2018. Une sacrée explosion.
Hype et TV
« Je suis nul en informatique, mais il y a zéro difficulté et c’est accessible facilement. » Martin, utilisateur d’IPTV
Une nouvelle tendance qui doit son succès à deux éléments : la facilité d’installation et d’utilisation de l’outil. Pas besoin d’être un geek ou un bidouilleur professionnel pour se lancer dans l’IPTV. « Je suis nul en informatique, mais il y a zéro difficulté et c’est accessible facilement, explique Martin, 28 ans et utilisateur comblé depuis l’été 2019. J’ai payé 30 euros pour un abonnement d’un an via PayPal, avant qu’on ne m’envoie un mail me permettant de télécharger l’application ou de prendre le boîtier. Et c’est hyper complet, tu trouves toutes les chaînes que tu veux ! » Même son de cloche chez François, qui a failli céder aux sirènes de l’IPTV cet été : « J’ai été en coloc’ avec un gars qui avait le boîtier il y a deux ans, je l’ai beaucoup utilisé. L’immense avantage, c’est qu’il y a tout. »
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Pour un coût annuel oscillant entre 30 et 100 euros en fonction des offres, les voraces de ballon rond peuvent avaler des matchs par dizaine, en zappant entre beIN Sports, RMC Sport, Canal + ou encore Téléfoot. Le tout avec une qualité d’image souvent impeccable. « Au départ, je craignais les bugs, les coupures. C’est un peu ce qui me retenait, enchaîne Martin. Mais avec la fibre, ça ne lague quasiment jamais. Je peux parfois avoir deux ou trois secondes de retard sur le direct, mais c’est tout. Tu n’as même pas le temps d’être spoilé par les potes sur Messenger. » De quoi effrayer les diffuseurs, à commencer par les petits nouveaux comme RMC Sport ou Téléfoot, raillés pour les problèmes techniques qui ont pu entraver leurs débuts. « Il faut avouer que le système en plug and play de l’IPTV, ça marche très bien. C’est très efficace, souffle Caroline Guenneteau. Je suis désolée de le dire, mais c’est à croire que ça fonctionne mieux qu’un système légal. »
« Ça n’a aucun sens de devoir multiplier les abonnements. C’est trop »
Et si le succès croissant de l’IPTV illégale était avant tout la conséquence d’une incompréhension ? Entre les utilisateurs et les diffuseurs, les rapports semblent de fait plus conflictuels que jamais. En première ligne : la somme à débourser pour pouvoir se goinfrer de foot, de la Ligue 1 aux championnats étrangers, en passant par les compétitions européennes. Les offres proposées sont-elles devenues problématiques pour les consommateurs ? Julien Bergeaud, le directeur général de la chaîne Téléfoot, se félicitait pourtant récemment d’avoir pu coupler les droits des coupes d’Europe 2020-2021 à ceux de la Ligue 1 : « S’ils s’abonnent à notre chaîne, les gens vont avoir une large offre de foot, avec le championnat de France et la Ligue des champions, pour 25,90 euros… Je pense que c’est une réponse apportée à ceux qui seraient tentés par un abonnement à un streaming pirate. » Reste qu’en France, il faut souscrire des abonnements pour pouvoir suivre les compétitions majeures à sa guise.
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« Ce n’est pas forcément une affaire de moyens, mais de principes, tranche François, qui a finalement décidé de tester Téléfoot sans engagement. Je ne comprends pas cette inflation, pour un spectacle qui est resté le même. C’est une course en avant des prix à la hausse, dont je ne vois pas le bout… J’ai refusé de souscrire à RMC Sport l’année dernière. Pour moi, ça n’a aucun sens de devoir multiplier les abonnements. C’est trop. » Un constat partagé par Martin : « Je ne sais même plus sur quelles chaînes sont diffusés les matchs, c’est trop bordélique. À l’époque, je m’en sortais pour environ trente euros avec le duo Canal-beIN pour tous les matchs, c’était très bien. » Du côté des diffuseurs, on préfère pourtant penser que l’hyper morcellement de l’offre n’est pour rien dans la progression galopante de l’IPTV et du streaming illégal. « Je ne suis pas certaine que la fragmentation de l’offre soit leur motivation, estime Caroline Guenneteau. Le piratage a toujours existé : quelqu’un qui ne veut pas payer, il ne paye pas. »
« Ce n’est pas forcément une affaire de moyens, mais de principes. Je ne comprends pas cette inflation, pour un spectacle qui est resté le même. » François, utilisateur d’IPTV
À l’assaut des pirates
Pour ne pas se retrouver largués par les fournisseurs d’IPTV illégale, une douzaine d’ayants droit (TF1, Mediapro, RMC Sport, Canal, beIN, etc.) ont décidé de faire front commun en France. « On a monté une association qui s’appelle l’APPS (Association pour la protection des programmes sportifs) qui a été lancée en janvier 2018 et qui regroupe tous les télé-diffuseurs de programmes sportifs, payants comme gratuits » , poursuit Caroline Guenneteau. Un regroupement de chaînes qui veut d’abord faire en sorte de renforcer l’appareil judiciaire, pour saborder le piratage illégal. Plusieurs mesures visant à endiguer le phénomène ont été intégrées à l’amendement que le député Cédric Roussel (LREM) avait déposé en février dernier contre le streaming illégal sportif, dans le projet de loi audiovisuel.
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« Il y aura encore des moyens pour contourner ces dispositifs, les pirates existeront toujours. Ils ont une longueur d’avance sur nous à chaque fois. » Caroline Guenneteau, directrice juridique de beIN Sports
« Ce texte donne la possibilité aux ayants droits de saisir le juge afin d’obtenir une ordonnance dynamique autorisant le blocage ou le déréférencement de tout site diffusant illégalement une compétition sportive, abonde l’élu. Jusque-là, les dispositifs de lutte contre les sites pirates n’étaient pas adaptés à la célérité de l’offre. On pouvait saisir le juge dans l’urgence, mais uniquement sur la base des sites déjà identifiés. Dans la pratique, dès l’engagement de la procédure, un nouveau site pirate apparaissait… » De fait, impossible de combattre l’IPTV illégale sans s’attaquer au cas épineux de ces sites dits « miroirs » . « Quand vous faites bloquer une adresse web, en deux minutes, on peut en créer une autre pour la remplacer, détaille Caroline Guenneteau. On connaît la facilité des pirates à pouvoir changer l’adresse et contourner les mesures de blocage. Pour bloquer des adresses IPTV au fur et à mesure, les ayants droit ont proposé de s’adresser à une nouvelle autorité indépendante, l’ARCOM, (autorité de régulation qui devrait prochainement naître de la fusion entre Hadopi et le CSA, N.D.L.R.), qui pourrait rapidement demander aux fournisseurs d’accès internet de bloquer ces sites. »
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Un dispositif prometteur, mais encore en sursis, alors que la crise du Covid-19 a bouleversé les priorités du gouvernement et relégué la question du piratage au second plan : « Le Covid a remis en cause le calendrier législatif, confirme Caroline Guenneteau. Il y a eu un remaniement ministériel et il me semble que Roselyne Bachelot (nommée ministre de la culture début juin, N.D.L.R.) a indiqué que le piratage sera programmé à l’agenda parlementaire très rapidement. » De quoi blinder un peu plus la carapace des ayants droit dans la cyberguerre actuelle, même si une escalade du conflit informatique est à prévoir : « Il y aura encore des moyens pour contourner ces dispositifs, les pirates existeront toujours. Ils ont une longueur d’avance sur nous à chaque fois, reconnaît Caroline Guenneteau. Mais ce qu’il faut enrayer, c’est le volume, la recrudescence, c’est les 20% d’audience que rassemblent le streaming et l’IPTV illégale à eux deux. » Une démarche légitime, mais qui ne risque pas de réconcilier les ayants droit avec une audience lassée par une offre footballistique télévisuelle de plus en plus morcelée et financièrement corsée.
Clément Gavard et Adrien Candau