- Angleterre – 6 clubs cultes dans l’ombre – Ipswich Town
Ipswich Town, la confédération paysanne
Club rural et sans histoire amené à passer son existence dans l’anonymat des divisions inférieures, Ipswich Town a eu l’exquise idée de nommer à deux époques différentes deux entraîneurs qui allaient devenir légendaires : Alf Ramsey et Bobby Robson. Grâce à ces deux futurs sélectionneurs des Three Lions, les paysans moqués du Suffolk ont marché sur l’Angleterre et sur l’Europe. En crampons crottés et sans aucun complexe.
En quoi c’est culte ?
Ipswich en 1936 : dans la petite capitale du Suffolk, région à majorité agricole et rurale située au nord-est de Londres, les Cobbold règnent en maîtres, telle une famille seigneuriale sur ses vassaux. Leur spécialité, c’est la bière du même nom, avec une grande brasserie qui trône au cœur de la ville et qui tourne à plein régime. Puissants économiquement et politiquement, les Cobbold veulent offrir à leur bon peuple le divertissement qu’il mérite. Propriétaires du club de football de la ville, ils décident alors d’y injecter de l’argent pour lui permettre d’exister sur la scène nationale. C’est ainsi que près de 60 ans après sa création en 1878, Ipswich Town FC change de dimension : la formation de niveau régional se professionnalise et grimpe petit à petit les échelons, avant et après-Guerre. En 1955 est nommé au poste d’entraîneur un ancien bon joueur de Tottenham qui vient tout juste de prendre sa retraite : Alf Ramsey. L’homme est ambitieux et les résultats de son équipe spectaculaires : montée en D2 en 57, première montée historique en D1 en 61 et victoire en championnat la saison suivante ! Le petit promu qui s’impose, la surprise est totale. Matt Busby lui-même est impressionné par le séduisant jeu offensif produit par les Blues d’Ipswich. Mais l’euphorie ne dure pas : en 1963, Alf Ramsey est appelé à prendre la tête de la sélection (qu’il emmènera au titre mondial à domicile trois ans plus tard), laissant le club qui l’a révélé en tant que technicien redescendre en deuxième division. Le purgatoire dure quatre ans, de 64 à 68. Un an plus tard en 1969, la direction d’Ipswich, décidément très inspirée, fait confiance une nouvelle fois à un jeune entraîneur : Bobby Robson, 36 ans à l’époque, ancien attaquant international. Quoiqu’un peu plus long à se dessiner, le succès d’Ipswich sous l’ère Robson est tout aussi remarquable qu’à l’époque de Ramsey, voire même plus spectaculaire encore. Car à défaut de conquérir un nouveau titre en championnat, les Blues se font spécialistes des coupes : victoire en FA Cup en 1878 (1-0 en finale face à Arsenal) et victoire en Coupe UEFA en 1981 (3-0, 2-4 contre AZ). Les joueurs marquants de cette glorieuse époque des paysans du Suffolk faisant la nique à l’Europe se nomment Terry Butcher, John Wark, Paul Mariner, Paul Cooper, Kevin Beattie, Russell Osman, les Hollandais Frans Thijssen et Arnold Mühren… Ce sont des stars, à tel point que certains d’entre eux sont réquisitionnés pour jouer les figurants du film À Nous la Victoire de John Huston, avec Stallone et Pelé, sorti en 1981. Cette vidéo datant de 1980 montre à quel point Ipswich dominait son sujet à l’époque, avec une victoire 6-0 sur MU malgré trois pénaltys arrêtés par le gardien mancunien en première période !
Pourquoi ça a merdé ?
Le départ de Bobby Robson en 1982 a été fatal. Comme Ramsey avant lui, ses succès à Ipswich lui ont permis de taper dans l’œil de la fédé et de devenir sélectionneur national, poste qu’il occupera jusqu’à la Coupe du monde en 1990, terminée en demi-finale face au futur vainqueur allemand. Pendant ce temps à Ipswich, l’ancien assistant de Robson, Bobby Ferguson, promu entraîneur principal, n’a pas la même réussite que son prédécesseur et l’équipe finit par retomber en deuxième div’ en 1986. Depuis, les Blues semblent s’être durablement installés dans l’antichambre, n’en sortant que deux fois pour retrouver l’élite, d’abord entre 1992 et 1995 puis entre 2000 et 2002. Une seule saison à retenir parmi ces cinq : la saison 2000-2001, terminée à la cinquième place, à 3 points seulement d’une qualification pour la Ligue des champions. George Burley est élu cette année-là entraîneur de l’année en Premier League, devant Gérard Houllier et Alex Ferguson. C’est à cette époque que l’équipe d’Ipswich Town est désignée par certains supporters adverses chambreurs du sobriquet de « Tractor Boys » , un peu sur le modèle des paysans guingampais aujourd’hui. Mais les bouseux du Suffolk ne surprennent qu’une seule saison : dès la suivante en 2001-2002, ils redescendent en Championship et n’en ont plus jamais bougé, faisant pour le coup plus penser à notre Châteauroux national, éternel pensionnaire de Ligue 2. En 2009, les dirigeants ont bien cru réussir à trouver leur nouveau Ramsey/Robson en la personne de Roy Keane, mais l’ancien chien fou de Manchester United a échoué dans sa mission de faire remonter le club en Premier League et a fini par se faire virer en 2011.
Où ça en est aujourd’hui ?
Bien, mais pas top : voici ce qu’on peut dire de l’état de forme du moment d’Ipswich Town, qui occupe actuellement la 6e et dernière place qualificative pour les play-offs, à mi-saison. Le gros point positif, c’est la série de sept matchs d’invincibilité qui court depuis fin novembre. L’entraîneur irlandais Mick MaCarthy (en poste depuis un an) dispose de quelques bons compatriotes parmi l’effectif pour performer, parmi lesquels le défenseur Daryl Murphy et l’attaquant David McGoldrick (11 buts depuis le début de saison pour ce dernier). Depuis 2007, les « Tractor Boys » sont la propriété de l’homme d’affaires Marcus Evans, qui a épongé une partie des importantes dettes du club. Aux dernières nouvelles, Ipswich Town continuerait néanmoins à perdre de l’argent, ce qui pourrait constituer à terme une menace pour son avenir. Dans ce contexte, une remontée en élite serait vue comme une véritable aubaine.
À suivre : Nottingham Forest
Par Régis Delanoë