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Gor Manvelyan : « Je ne dirais pas non à la carrière de Mikautadze »
Comme beaucoup dans la machine à broyer du football moderne, Gor Manvelyan est un ex-futur crack. Il a à peine eu le temps de remporter une Coupe de France avec le FC Nantes, son club formateur, qu’il est parti, direction l’Arménie, son pays d’origine. Pour jouer contre Chelsea en Ligue Conférence, quand même. Il raconte son chemin.
Tu es allé voir Monsieur Aznavour au cinéma ?
Il y a un film sur lui ? Je n’étais pas au courant, mais là, dit comme ça, tu me donnes envie d’y aller. C’est une des légendes d’Arménie. Bon, à Nantes, on connaît aussi Michel Der Zakarian.
En optant en septembre 2023 pour le Noah FC, en Arménie, tu te dis que ton choix de carrière pourrait être le point de départ d’un beau biopic ?
Je suis originaire de là-bas, plus précisément de la région du Haut-Karabagh. On vivait à Stepanakert, la capitale. Mon père bossait dans l’armée. Mes parents ont fui la guerre et nous ont emmenés avec eux, avec mes frères et sœurs. J’avais 5 ans quand on est partis. Aujourd’hui encore, beaucoup de monde quitte le Haut-Karabagh. La guerre dure depuis longtemps maintenant, c’est très compliqué.
Vous arrivez en Normandie à l’époque…
Oui, dans la Manche. Pour mes parents, il fallait partir et nous offrir une meilleure vie. En France, ils ont enchaîné les petits boulots. Mon père et mon frère sont garagistes maintenant.
Tu te plais en Arménie ?
En réalité, j’ai vraiment découvert l’Arménie au moment de mon transfert, en début de saison l’année dernière. Je n’y étais pas retourné depuis mon arrivée en France, je n’avais aucun souvenir. Je ne regrette pas ce choix, d’autant plus que je parle la langue, donc ça a facilité mon adaptation. Et puis je ne vis pas dans la campagne, mais dans la capitale Erevan, et c’est une dinguerie ! Je ne m’attendais pas à quelque chose d’aussi moderne, avec des quartiers comme on voit en France. Après, je ne vois pas trop de différences avec mon quotidien de footballeur à Nantes. On joue tous les quatre jours, il y a très peu de temps de repos pour profiter d’un bon plat arménien, ceux avec beaucoup d’épices.
Pourquoi as-tu décidé de quitter le FC Nantes ? Tu n’avais plus aucun espoir avec l’équipe professionnelle ?
Ce n’est pas du tout une décision facile, mais c’est sûrement un mal pour un bien. J’avais signé mon premier contrat pro deux ans avant, mais je ne voyais pas trop de perspectives. Je n’avais pas beaucoup de temps de jeu à Nantes, j’étais redescendu avec la réserve en deuxième partie de saison 2022-2023. C’était six mois vraiment très durs, et j’avais besoin d’aller dans un endroit qui allait me donner du temps de jeu.
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Tu étais prêt à aller n’importe où ?
Non, quand même pas. Le projet sportif du Noah FC m’a plu. C’est un club très récent (fondé en 2017, NDLR), avec beaucoup d’ambitions, donc on a beaucoup de moyens pour rivaliser avec le haut niveau. Ce n’est pas le cas dans tous les clubs ici, il y a encore beaucoup de différences. On a un centre d’entraînement en reconstruction, et, franchement, il pourra rivaliser avec des grands d’Europe. L’idée est de devenir un grand club dans la région et de jouer régulièrement en Europe. Un peu comme Astana ou Qarabağ.
La Ligue Conférence, ce n’est pas une compétition en bois ?
Non, pas du tout ! Ici, c’est une grosse compétition. Très peu de clubs arméniens se sont qualifiés en coupes d’Europe. Un peu dans les années 1970, mais c’est tout. On sait aussi que la Ligue des champions, c’est réservé aux meilleurs, donc ici on a notre place. Des grands clubs la jouent en plus. Nous, on fait un exploit quand on bat l’AEK Athènes lors des tours préliminaires. Personne n’y croyait, nous à peine.
Tu t’es même retrouvé à jouer contre Chelsea la semaine dernière.
C’est pas mal, non ? Les gens attendaient ce match depuis le tirage au sort. Je n’avais pas eu la chance de connaître la Ligue Europa sur le terrain à Nantes (il a été deux fois remplaçant en phase de poules, contre Fribourg et Qarabağ, NDLR), mais l’ambiance était dingue. En plus, on avait gagné notre premier match (contre les Tchèques du Mladá Boleslav, NDLR). On avait hâte d’aller à Londres, sans pression.
C’était dur ?
On n’avait rien à perdre, mais on est tombés sur beaucoup plus forts que nous (défaite 8-0). On a montré quelques bonnes choses. C’était une belle expérience à vivre. Ce qui m’a le plus marqué, plus que l’ambiance, c’est la pelouse. C’est la meilleure sur laquelle j’ai joué.
Tu es formé à Nantes avec une belle génération 2002 (Quentin Merlin et Lohann Doucet jouent cette saison à Marseille et au Paris FC). Tu ne joues qu’un match, en Coupe de France. Pourquoi as-tu résilié ton contrat ?
C’était une période très compliquée. J’avais perdu le plaisir du foot, j’étais de moins en moins avec mes potes, c’était dur. J’avais pour ambition de réussir avec Nantes. C’est mon club formateur, l’histoire aurait été belle. Mais bon… Ça m’a peut-être un peu forgé aussi, et fait réaliser que ma famille était à mes côtés. J’ai su grandir grâce à ça.
Tu arrives avec l’étiquette d’ancien crack, ça a été dur à porter ?
À partir des U17, puis de plus en plus en U19, on parlait de moi. J’avais été sollicité par les équipes jeunes d’Arménie, j’avais l’impression que les supporters nantais m’attendaient… On gagne le championnat de France U17. On était très bien placés en U19, en championnat comme en Gambardella, mais la saison a été arrêtée par le Covid. À cette époque-là, on était une bande de potes, on prenait beaucoup de plaisir sur le terrain. Je m’éclatais.
Tu t’attendais à ça ?
Je ne m’en rendais pas compte quand j’arrive en U14 à Nantes. C’est surtout le nom du club qui me fait venir, pas le fait de savoir s’ils lancent les jeunes en pro ou pas. Donc je m’attendais à jouer automatiquement, mais ce n’est pas aussi simple. J’entendais beaucoup dire que c’était dur, mais je ne m’attendais pas que cela soit aussi difficile. Il y a un gros écart de jeu entre les niveaux jeunes et la réserve, mais alors entre la réserve et les pros, c’est encore quelque chose. J’ai passé des moments galères, surtout au niveau mental. Les moments où tu vas t’échauffer, et tu reviens mettre ton survêtement sur le banc sans entrer, ce n’est pas facile à digérer.
À Nantes, y a-t-il plus d’attente autour des jeunes qu’ailleurs ?
Les supporters sont beaucoup de notre côté. Ils viennent nous voir, ils nous soutiennent, et attendent beaucoup de nous, par rapport à l’histoire du club. Ça fait partie des trucs qu’on voit sur les réseaux et dont on parle dans les vestiaires : « Il faut le lancer, lui, il va percer, c’est sûr, il est meilleur que tel ou tel joueur. » Ça joue positivement pour nous, ça nous motive surtout.
Amis Nantais, il est temps pour moi de tourner une nouvelle page et de dire au revoir à mon club formateur. Je tiens à remercier sincèrement toutes les personnes que j’ai côtoyer durant ces années, et également les supporters pour votre soutien ! Merci @FCNantes pic.twitter.com/opHrKQfIcw
— Gor Manvelyan (@ManvelyanGor) September 10, 2023
Tu te vois t’épanouir en Arménie ?
Je suis très bien ici, j’ai porté le brassard en club, j’ai marqué mon premier but en sélection, mais je ne vais pas mentir en disant que revenir en Europe n’est pas un objectif. Le but, c’est de faire de très bonnes performances ici pour y revenir.
Tu es le nouveau Georges Mikautadze ?
Je ne dirais pas non à sa carrière ! Plus que Mikautadze, qui a plus un profil de buteur que moi, en Arménie, on a déjà parlé de moi en me comparant à Henrikh Mkhitaryan. Lui, c’est vraiment la star du pays, le meilleur buteur de l’histoire de la sélection.
Le nouveau Ludovic Blas, alors ?
Ludo, c’est encore un bon pote. J’ai encore de ses nouvelles, comme de Marcus Coco. Lui est plus percutant, plus rapide que moi. Après, ouais, j’ai un beau pied droit, assez technique, mais je dois encore bosser.
Propos recueillis par Ulysse Llamas