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Interdiction du voile : entre hypocrisie et opportunisme
L'interdiction du port du voile dans le sport fédéré et donc dans le foot est de retour via un amendement de la Loi sur le sport adopté au Sénat. De quoi provoquer en partie son blocage législatif. Rien de surprenant malheureusement. Cette question ressort du bois alors que la future campagne présidentielle est largement hantée par ces problématiques.
La commission mixte paritaire Sénat/Assemblée nationale n’a pas réussi, ce lundi, à se mettre d’accord sur un texte définitif de la loi « visant à démocratiser le sport en France ». Pourtant, largement vidé de toute substance, y compris sur la question de la parité à la tête des fédérations, le document n’avait franchement pas vocation à provoquer une crise entre les deux chambres. Or, comme l’a expliqué Belkhir Belhaddad, député LREM de la Moselle, « aucun accord avec le Sénat n’a pu être trouvé, en raison de divergences sur le port du voile dans des compétitions sportives ». En effet, les sénateurs avaient rajouté un amendement introduisant que « le port de signes religieux ostensibles est interdit pour la participation aux événements sportifs et aux compétitions sportives organisés par les fédérations sportives et les associations affiliées ». À l’initiative de cette inflexion, Michel Savin, un des grands spécialistes du sport chez LR, n’a pas manqué de tacler, selon lui, la faiblesse de conviction laïque de ses « opposants » , surtout députés : « La France est donc moins disante en matière de laïcité que le mouvement olympique !(…)Les députés ont quant à eux proposé de faire reposer sur les fédérations la responsabilité de faire respecter le principe de la laïcité. Cela n’était pas acceptable. Lutter contre la communautarisation de notre société et promouvoir l’égalité homme-femme imposent que le principe de laïcité soit respecté à l’école, mais aussi dans les compétitions sportives. Avec ce blocage, la majorité tourne le dos au principe de laïcité, renonce à protéger les plus jeunes des dérives communautaires et s’engage un peu plus dans la voie du communautarisme. »
Deux salles, deux ambiances
À la lecture de ce communiqué, on comprend que la crispation ne relève pas simplement d’un quelconque rapport de force ou d’un vague ergotage sur les procédures parlementaires. La « majorité » mise en accusation peut même sourire, puisqu’elle a déjà largement mis la pression à ce propos sur le monde associatif. C’est d’ailleurs ce qu’avait souligné Roxana Maracinenau, défavorable à cet amendement au nom de l’existence du contrat d’engagement républicain, issu de la loi contre « le séparatisme » et que doivent parapher désormais les fédérations et les associations sportives, par exemple si elles veulent conserver leurs agréments et leur subvention. Mais l’enjeu est tout autre. Le débat public a été considérablement focalisé ces derniers temps autour de la candidature d’un Eric Zemmour en croisade contre « l’islamisation » et « le grand remplacement » de la société française. Du coup, beaucoup à droite veulent prouver qu’eux aussi ont conscience de la menace et garder leurs électeurs tentés d’aller chez le pire disant.
Et peu importe ce qui se passe vraiment sur les terrains stabilisés de banlieue. Nous sommes effectivement bien loin d’un raz-de-marée de filles voilées devant les cages défendues par Marianne sein nu, imposant leurs règles ou leurs principes. Les Hijabeuses, équipe de foot de filles voilées comme son nom l’indique, a de la sorte organisé un petit match devant le Sénat et lancé une pétition en ligne pour défendre leur droit à jouer au foot : « Lundi 19 janvier, le Sénat a voté l’interdiction du port du voile lors des compétitions sportives. Concrètement, ça va contraindre des centaines de jeunes femmes, comme nous, à abandonner leurs passions et leurs rêves. » Elles ont reçu divers soutiens, dont celui des Dégommeuses, club LGBT luttant contre toutes les discriminations dans le petit monde du ballon rond, et avec lesquelles elles ont déjà disputé de nombreuses rencontres amicales.
La problématique du voile n’est de fait pas franchement récente. La FFF et la FIFA ont déjà dû accorder leurs différences de point de vue sur le sujet par le passé. Récemment encore, la FFF avait resserré les boulons. Énième revirement. Au début des années 2010, la bataille s’était aussi déroulée entre Noël Le Graët, plutôt conciliant car désireux d’obtenir le Mondial féminin (en 2014 la FIFA avait validé la possibilité de porter un voile lors de compétitions officielles), et Frédéric Thiriez, farouchement contre au nom d’un mélange d’interprétation des valeurs du sport et de la laïcité version intégrale. Depuis, rien de clair et des évolutions au gré des polémiques et de la bascule du curseur de l’opinion. Seul constat : le voile d’une joueuse choque infiniment plus que le signe de croix à chaque début de match de 100 hommes. Une fois de plus, le foot sert à faire de la politique sans l’assumer et sans jamais demander ou tenir compte de la réalité du terrain.
Par Nicolas Kssis-Martov